Où est-ce qu’on s’en va avec nos skis ?

Même si c’est par défaut, même si c’est par dépit, il y a en ce moment au Québec un formidable élan vers les activités de plein air. Pour qu’il en reste quelque chose l’an prochain, il faut que les villes se déniaisent et appuient sur l’accélérateur.

Après les souliers de course, après les vélos, c’est le tour des skis de fond. J’ai vécu il y a deux semaines ce qu’on pouvait lire dans La Presse lundi : un achat de skis sur rendez-vous dans une boutique sur le bord de la rupture de stock.

On a vendu des vélos en quantité record. Les boutiques de souliers de course ont fait des ventes historiques, même sans tenir compte des semaines de fermeture pandémique.

Bon, parfait, maintenant, où est-ce qu’on s’en va avec nos skis ou nos raquettes ?

Il est assez extraordinaire qu’une ville nordique comme Montréal commence à peine à développer les installations de ski de fond. Je n’ai rien contre le déneigement des pistes cyclables, mais ça concerne combien de cyclistes hivernaux ? Ce sera toujours une forme d’exploit que de se déplacer en février à vélo. À côté de ça, on a de superbes terrains de jeu d’hiver qu’on commence à peine à exploiter.

Le parc du Mont-Royal est un lieu béni. Huit autres grands parcs auront des pistes tracées cet hiver. Mais comment se fait-il que l’île Sainte-Hélène, accessible en métro, ne soit pas aménagée sérieusement pour le ski de fond ?

Hadrien Parizeau, responsable des sports au comité exécutif, me dit que ça avance. Il signale que la Ville a acheté deux nouveaux Bombardier. Le parc Jean-Drapeau sera aménagé pour l’hiver dès l’an prochain. Le superbe parc Frédéric-Back (ex-carrière Miron), qui s’améliore d’année en année, sera tracé cet hiver.

On progresse, on progresse…

« On a vu une augmentation fulgurante de l’utilisation des parcs depuis le début de la pandémie, me dit-il. Ça va de 100 % à 170 % dans certains cas (Cap-Saint-Jacques, dans l’Ouest). On veut que ça continue cet hiver, et il n’y a pas de meilleur sport pour la distanciation que le ski de fond. À côté des pistes tracées, on dame le terrain beaucoup mieux, pour la raquette ou la course à pied. »

Le site de la Ville permet aussi de connaître l’état des conditions de neige dans les grands parcs.

« Si les gens se déplacent deux, trois fois et se retrouvent devant une piste glacée, ils risquent de décrocher », dit le conseiller Parizeau.

C’est justement ça qui est en jeu : profiter de la vague, éviter qu’elle ne casse. Rendre permanent ce qui pourrait être une sorte de voie de secours pour snowbirds confinés ou parents exaspérés. Localiser le plein air, pour qu’on en fasse en pleine ville.

D’un coup on aimerait ça pour vrai…

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Une ville a compris ça bien avant Montréal : Chicoutimi (qu’on nomme légalement Saguenay).

En plein milieu de la ville, il y a le parc de la Rivière-du-Moulin, 8,3 km2 de forêt cédés par les sœurs Augustines. Alain Dumas y est le superviseur. Chaque année, le nombre de skieurs augmente de façon marquée.

Ce n’est pas un effet du hasard. C’est le fruit d’une stratégie. La Ville de Saguenay a acheté de l’équipement et entretient le parc. Pierre Lavoie, avec son « Grand défi », a fourni 200 équipements, mais à une condition : que ce soit toujours gratuit pour les enfants de 12 ans et moins. Et pour finir, les écoles de la région ont intégré l’activité à leurs cours d’éducation physique.

« Ça marche à fond la caisse, j’ai des groupes scolaires matin et après-midi chaque jour », dit Alain Dumas, superviseur du parc, et un des fondateurs du Tour des monts Valins, un évènement de ski de fond de 55 km tenu chaque année au mois de mars.

Avant que les écoles ne viennent, le parc était visité surtout par les retraités la semaine et quelques familles le week-end. Maintenant, les familles peuvent y venir sans avoir à acheter de l’équipement.

Pierre Lavoie, qui a eu l’idée de la « Petite Expé », voulait que ce soit facile et accessible. Pas pour trouver un prochain Alex Harvey (bien que Lavoie lui-même soit un fondeur compétitif). Pour développer une culture de l’activité physique… toute l’année. En particulier en hiver, où les Québécois ont tendance à entrer en hibernation.

Le Grand défi a distribué plus de 3000 paires de skis à travers les réseaux de la SEPAQ.

Lavoie raconte qu’il a eu une prise de bec mémorable avec un dirigeant de l’organisme, à qui il reproche sa passivité. « À Saint-Bruno, je me suis rendu compte qu’il y avait seulement les gens avec de l’argent qui faisaient du ski de fond. Les écoles qui s’y rendaient, c’étaient des écoles privées. Leur mandat, c’est de faire découvrir la nature aux Québécois, c’est à tout le monde ce territoire-là ! »

Il est tombé 15 centimètres dimanche soir au Saguenay. On commence déjà à damer. La saison va commencer dans deux semaines si tout va bien. Les trois clubs, de la municipalité, de Jonquière à La Baie, s’activent…

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« On a une occasion formidable de s’approprier l’hiver, dit Pierre Lavoie. La nordicité, c’est aussi à Montréal. Les Québécois veulent aller dehors en ce moment, c’est le temps d’en profiter. Il faut développer ça. On me dit : oui, mais la température varie, la neige fond. On a juste à en faire ! On a au Québec (à Boischâtel, précisément) une compagnie qui est un leader dans la fabrication de neige artificielle, elle vend des canons partout. C’est très simple à faire, ça pourrait être installé au canal de Lachine. »

On n’a pas le choix, on va jouer dehors plus que jamais – enfin, plus que depuis longtemps. Il faut un plan pour qu’il en reste quelque chose, l’hiver prochain. Et les autres après.

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