Premier pas vers un déconfinement progressif

Le gouvernement du Québec a confirmé mardi la réouverture des cinémas et des piscines pour « accommoder » les familles au seuil de la relâche scolaire. Si la situation le permet, d’autres allègements sont à prévoir le 8 mars, soutient le premier ministre Legault.

Allègements pour la semaine de relâche

« J’espère que les Québécois vont être prudents »

Québec — Le gouvernement jette du lest pour « accommoder » les familles à la veille de la relâche scolaire en permettant la réouverture des cinémas et la reprise de certaines activités intérieures. Des allègements qui seraient en vigueur « pour de bon », de l’aveu même de François Legault, qui laisse présager un déconfinement progressif du Québec.

Le gouvernement a également annoncé que la région de l’Outaouais basculerait du rouge à l’orange à compter du 22 février. C’est le statu quo pour le reste du Québec « pour l’instant », a affirmé M. Legault. Parce que d’autres régions pourraient tourner à l’orange une fois la relâche terminée, si tout se passe bien.

« On va dans la bonne direction, j’espère que les Québécois vont être prudents pendant la semaine de relâche et qu’on ne vivra pas ce qu’on a vécu pendant le temps des Fêtes. Si c’est le cas, oui, c’est possible qu’on ouvre davantage le 8 mars », a affirmé M. Legault. Il doit préciser la suite des choses le 2 mars.

Il faut dire qu’à l’extérieur du Grand Montréal, des régions comme la Capitale-Nationale, Chaudière-Appalaches ou la Mauricie et Centre-du-Québec ont des situations épidémiologiques somme toute stables. Mais Québec dit, « par prudence », ne pas vouloir « trop déconfiner » avant la relâche scolaire.

En Outaouais, le changement de couleur n’est pas étranger au retour à l’orange de la ville d’Ottawa, qui rouvrira ses restaurants. La situation serait devenue intenable en raison des liens naturels entre Gatineau et la capitale fédérale.

Par ailleurs, à moins d’un revirement, les allègements annoncés en zone rouge sont là pour de bon. « Moi, je comprends que c’est pour de bon », a lancé le premier ministre. « Si je pensais qu’il n’y a pas de chances que les cinémas restent ouverts, je ne les aurais pas rouverts, parce qu’on ne veut pas commencer à jouer au yo-yo », a-t-il précisé.

Évidemment, la menace des variants pèse dans la balance. Le Québec compte actuellement 16 cas confirmés de nouvelles souches de la COVID-19, dont 13 du variant du Royaume-Uni. En tout, 86 cas font l’objet d’une investigation. « Le variant, celui du Royaume-Uni notamment, est plus contagieux. Si on ne fait pas attention, le nombre de cas pourrait exploser en quelques semaines », a bien fait valoir M. Legault.

« Donc, il y a un bout qu’on ne contrôle pas », a-t-il nuancé.

Mais Québec est aussi encouragé par l’horizon de la vaccination qui s’éclaircit avec les approvisionnements de Pfizer qui reprennent de la vitesse au pays. « Si on est capables de faire toutes les [résidences privées pour aînées] puis, éventuellement, tous les gens qui ont plus de 65 ans, on va être en voiture », s’est réjoui M. Legault.

« On serait capables d’en avoir une bonne partie de faite en mars », a-t-il ajouté, martelant que « l’on a encore quelques semaines difficiles devant nous ». Le bilan à la baisse se poursuit également et la situation dans les hôpitaux s’améliore peu à peu.

De l’air pour les familles

Québec donne donc le feu vert à la réouverture des salles de cinéma à compter du 26 février. Le port du masque médical sera obligatoire et une capacité d’accueil sera fixée pour assurer une distanciation physique. Le maximum est de 250 personnes par salle, même dans celles de très grande taille.

Pourquoi le cinéma et pas le théâtre ? « Avoir des productions dans des salles de spectacles pour vendredi de la semaine prochaine, ce n’est pas très réaliste. Et je pense qu’on peut occuper plus d’enfants avec des cinémas », a soutenu M. Legault.

Il sera aussi permis de pratiquer des sports à l’intérieur. Les piscines et les arénas pourront rouvrir pour la tenue d’activités libres, en bulle familiale. L’heure n’est pas encore venue pour le retour des sports organisés comme le hockey. À l’extérieur, il sera possible pour huit personnes de se réunir. Cette limite était fixée à quatre.

Les activités à nouveau permises à travers la province sont à « faible » risque, a assuré le Dr Horacio Arruda.

Par ailleurs, le couvre-feu est maintenu à 20 h dans les zones rouges et à 21 h 30 en zone orange. Il demeure strictement interdit de se rassembler à l’intérieur de maisons privées.

Le gouvernement a aussi tranché sur le sort des déplacements interrégionaux. Même si ce n’est « pas idéal », il ne sera pas interdit de louer un chalet ou une chambre d’hôtel dans une autre région que la sienne à condition de rester dans sa bulle et de respecter le couvre-feu.

Québec n’ordonnera pas non plus l’installation de barrages routiers. « On va demander aux policiers de surveiller de façon spéciale les endroits où il y a beaucoup de tourisme. Ça veut dire des hôtels, des chalets, oui, beaucoup d’activités », a indiqué M. Legault. La ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, doit offrir des détails sur le rôle des policiers au cours de la semaine.

Variants dans la ligne de mire

Les autorités assurent qu’elles suivent de près l’apparition de nouveaux variants. Le ministre de la Santé, Christian Dubé, soutient avoir eu l’assurance que 75 % des échantillons positifs à la COVID-19 seraient criblés dans le Grand Montréal d’ici vendredi. On pourrait atteindre 100 %, comme il s’était engagé, d’ici lundi prochain.

À Laval, par exemple, la totalité des échantillons sont soumis au criblage pour détecter la présence de variants, alors qu’à Montréal, c’est « plus entre 25 et 30 % ». En matière de séquençage, un procédé plus complexe qui vise à identifier de nouvelles souches, le Québec l’applique toujours sur environ 8,5 % des échantillons positifs. Ce chiffre pourrait atteindre 15 %, a rappelé le DArruda, qui soutient au passage que « la chose la plus importante » avec les variants, « c’est l’adhésion aux consignes sanitaires ».

L’Institut national de santé publique du Québec doit d’ailleurs présenter ce mercredi la plus récente modélisation de l’évolution de la pandémie dans le Grand Montréal « en tenant compte des scénarios d’adhésion aux mesures sanitaires et en considérant l’impact potentiel d’un variant plus transmissible » comme celui du Royaume-Uni.

Moins de 700 nouveaux cas

La tendance à la baisse de la propagation de la COVID-19 se poursuit au Québec. La province rapportait mardi 669 nouveaux cas, 17 décès supplémentaires et une diminution de 33 hospitalisations. La propagation de la COVID-19 semble revenue au niveau observé à la fin du mois de septembre. Les nouveaux cas rapportés mardi portent à 921 la moyenne quotidienne calculée sur une semaine. À noter, ce faible nombre de nouveaux cas survient alors que le nombre de tests de dépistage a été particulièrement bas. La province rapporte avoir effectué seulement 16 824 prélèvements dimanche. La baisse des décès est revenue au niveau observé au début de novembre. Les décès rapportés mardi ont porté à 24 la moyenne quotidienne des décès mesurée sur une semaine. La situation continue à se détendre dans les hôpitaux de la province. On recense présentement 771 personnes hospitalisées, soit 33 de moins que la veille. De ce nombre, 134 se trouvent aux soins intensifs, soit une baisse de deux.

— Pierre-André Normandin, La Presse

Un plan salué par certains, décrié par d’autres

Bien reçues par certains, les mesures sanitaires annoncées mardi par Québec ne font toutefois pas que des heureux. Si le milieu du sport salue les allègements, les gyms, les spas et les restaurants ruent dans les brancards. Les partis de l’opposition, eux, appellent à « redoubler d’efforts » pour protéger les populations.

Un plus pour le sport

« On comprend qu’il faut y aller progressivement, étape par étape », dit la présidente de Sports Québec, Julie Gosselin, pour qui les nouvelles mesures sont un « bon départ ». Les piscines et les arénas rouvriront pour la tenue d’activités libres, en bulle familiale. À l’extérieur, la pratique d’activités physiques sera dorénavant permise à huit. Jusqu’ici, c’était quatre. Son groupe désire toutefois « être ailleurs après la relâche » si la baisse des cas se poursuit d’ici au 8 mars. « On espère qu’on pourra retourner à une pratique en gymnase. Toutes les fédérations sont prêtes et ont des plans précis. Il y a beaucoup d’options et on peut être créatifs », assure Mme Gosselin. Pierre Lavoie, fondateur du Grand Défi qui porte son nom, est aussi de cet avis. « S’il n’y a pas plus d’ouverture après la semaine de relâche, on va mettre beaucoup plus de pression, parce que là, on perd une génération. Ça va faire un an que nos jeunes bougent moins, alors qu’entre 12 et 17 ans, c’est une période très importante pour leur développement. Ça prend un plan pour qu’au début de mars, les mesures arrivent vite et clairement », martèle-t-il.

Des oubliés, des négligés ?

Pour plusieurs, les mesures du gouvernement manquent toutefois de cohérence et de nuances. C’est le cas pour l’Association des spas du Québec, dont les installations ne pourront rouvrir. « L’été dernier, il n’y a eu aucune éclosion de COVID-19 dans nos établissements alors que nous avons accueilli des centaines de milliers de personnes. Pourquoi les piscines et les centres de ski même en zone rouge peuvent ouvrir, tout comme les gyms et salles de spectacles en zone orange, alors que les spas demeurent fermés ? Qu’est-ce que ça prend de plus pour la réouverture ? Peut-on nous fournir des réponses ? », demande sa présidente, Véronique Lemieux. Même son de cloche pour la fondatrice des studios de yoga IDOLEM à Montréal, Melody Benhamou. « Depuis le début, tout est incohérent. Nos membres ne tombent pas malades, et pourtant, on est fermés depuis octobre. Le pire, dans tout ça, c’est qu’on n’a pas de scénario clair de réouverture. On n’arrive pas à planifier nos dépenses, nos projets, rien », déplore l’entrepreneure. « C’est quoi, le barème pour dire qu’on ouvre une piscine, mais qu’on laisse un gym fermé ? Si au moins on avait des réponses claires, on pourrait accepter ce qui se passe », déplore pour sa part le propriétaire du Méga Fitness Gym à Québec, Dan Marino.

La zone orange bien accueillie en Outaouais

La Direction régionale de santé publique de l’Outaouais s’est quant à elle réjouie de son passage en zone orange, alors que « l’amélioration de la situation épidémiologique » depuis quelques semaines, dont la baisse du nombre d’éclosions et d’hospitalisations, a permis cet allègement. Mardi, la région n’a recensé que neuf cas de COVID-19. « Nous accueillons très bien cette annonce », a dit une porte-parole, Patricia Rhéaume, en précisant que la Dre Brigitte Pinard, directrice régionale de santé publique de l’Outaouais, fera le point sur la situation mercredi. Malgré ce changement de palier, la région demande néanmoins à la population locale « de demeurer prudente ». « Il faut continuer à limiter le nombre de contacts sociaux non essentiels. Le respect des mesures sanitaires demeure notre meilleur outil pour prévenir d’autres éclosions », a notamment prévenu le CISSS de l’Outaouais.

« On est au bout du rouleau »

Les restaurants en zone rouge ne pourront rouvrir leurs salles à manger. « C’est malheureux pour nos membres dans la Capitale-Nationale, notamment, qui espéraient beaucoup des changements », dit le vice-président aux affaires corporatives de l’Association Restauration Québec (ARQ), François Meunier. « Il va falloir envoyer un message concret à notre industrie, parce qu’on va perdre beaucoup d’expertise. D’ici quelques semaines, nos travailleurs vont arriver à la fin de leur assurance-emploi. On est tous au bout du rouleau. On ne peut plus laisser les salles à manger fermées indéfiniment, sans donner d’horizon », explique-t-il. Chez Restaurants Canada, le vice-président Québec, Olivier Bourbeau, abonde dans le même sens. « C’est sûr qu’on est déçus, mais on aime mieux attendre ne serait-ce que deux semaines de plus pour ensuite rouvrir pour de bon. Nos membres l’ont démontré : nos établissements sont sécuritaires et on est l’alternative pour ne pas avoir de rassemblements à la maison », avance-t-il.

Le risque d’un reconfinement

À l’Assemblée nationale, les partis de l’opposition ont réservé un accueil mitigé aux nouvelles mesures. Se réjouissant des allègements pour le sport extérieur, le co-porte-parole de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, a toutefois demandé un suivi serré d’autres mesures. « Jouer au yo-yo avec les mesures de confinement, ce n’est bon pour personne. Il faut redoubler d’efforts pour mieux protéger les populations en zone orange, que ce soit par des contrôles routiers, du dépistage ou plus de vérifications pour les chalets et les restaurants », a insisté le député de Gouin. Chez les libéraux, la critique en matière de santé, Marie Montpetit, a réitéré la nécessité de rester « très prudent face aux variants ». « Le gouvernement doit mettre tout en œuvre pour limiter leur propagation. Il doit revoir et renforcer sa stratégie de dépistage via l’utilisation des tests rapides », a-t-elle dit. Au Parti québécois, le député Joël Arseneau, porte-parole en matière de santé, n’a pas mâché ses mots. « Le gouvernement navigue à vue et il n'a aucun plan de match pour la suite et refuse toujours de dévoiler les critères sur lesquels reposent ses décisions, présentes et à venir », a-t-il dénoncé.

Un « pari risqué », selon des experts

S’ils comprennent la nécessité d’assouplir les mesures pour « accommoder » les familles pendant la semaine de relâche, des experts consultés par La Presse s’inquiètent toutefois des risques associés à l’allègement des mesures sanitaires, prévenant qu’avec les variants, la situation pourrait rapidement dégénérer.

« C’est un pari risqué », indique la professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal Roxane Borgès Da Silva.

« On comprend tous que le congé aurait été difficile pour bien des parents sans allègements, mais j’espère que le gouvernement est conscient que ça pourrait, en une semaine, passer de 600 à 2500 cas. On le voit à Terre-Neuve, en ce moment », explique la spécialiste en santé publique, en faisant référence à l’annulation des élections dans cette province à la suite d’une éclosion.

À ses yeux, Québec devrait envisager tout un éventail supplémentaire de mesures, dont le déploiement de tests rapides à l’entrée des cinémas, des piscines et des arénas, qui rouvriront leurs portes. « Partout dans le monde, c’est ce qu’on voit en ce moment pour arriver à neutraliser les super-propagateurs. Le gouvernement refuse d’aller chercher ce filet de plus, et je ne comprends pas pourquoi », s’inquiète Mme Da Silva.

Cette dernière invite d’ailleurs la population à privilégier les activités extérieures, comme la glissade ou le ski, pendant le long congé, par mesure préventive. « Au bout du compte, c’est toujours mieux qu’en milieu clos, même si on nous l’autorise », soutient l’experte, qui appelle aussi les autorités à être plus transparentes.

« Qu’on arrête de tenir les gens en haleine en promettant des réajustements dans deux semaines et qu’on soit honnête : disons clairement que tant qu’il n’y aura pas de vaccins, ça ne changera pas vraiment sur le fond. »

— Roxane Borgès Da Silva, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal et experte en santé publique

En conférence de presse, le premier ministre François Legault a pour sa part plaidé qu’il faudrait être « plus prudent que moins […] avant de trop déconfiner ». Cela dit, l’allègement des mesures sanitaires « donne une petite liste d’activités à faire pour occuper les enfants », a-t-il convenu.

Période de « transition »

Pour le spécialiste des maladies infectieuses de l’Hôpital général juif, Matthew Oughton, le Québec est dans une « phase de transition claire » dont il faudrait tenter de profiter au maximum, en tant que société.

« Les restrictions sont très dures, certes, mais le fait de composer avec plusieurs vagues de cas est aussi très dur pour le réseau. Je pense que ce serait le moment idéal pour amener les cas au seuil le plus bas possible. On aurait ainsi plus d’espace et de ressources pour prévenir d’éventuelles éclosions plus importantes des variants », raisonne-t-il.

Du point de vue épidémiologique, la décision la plus « prudente » aurait été de maintenir les restrictions en place encore quelques semaines, soutient le DOughton, pour laisser le temps à la Santé publique de mieux analyser la présence des variants dans la province. « Ce risque que la transmission reparte à la hausse est encore bien réel », fait-il valoir.

« C’est un peu comme si nous avions le pied sur le frein, que la voiture ralentissait, mais qu’elle allait encore trop vite pour en sortir. Il faudrait attendre encore un peu. »

— Le Dr Matthew Oughton, spécialiste des maladies infectieuses de l’Hôpital général juif

À l’Université du Québec à Montréal, le virologue Benoit Barbeau est assez d’accord. « Je comprends que le gouvernement veuille annoncer de bonnes nouvelles, mais la réalité, c’est que chaque fois qu’on ouvre un peu, il y a toujours cette possibilité de créer plus de problèmes. La tendance actuelle est bonne, je dois l’admettre, mais on n’est jamais à l’abri de nouvelles éclosions importantes des variants », rappelle-t-il.

Se disant « satisfait » par la stratégie en place à Montréal, où 100 % des échantillons seront criblés afin d’y déceler la présence de variants, M. Barbeau est toutefois d’avis que les chiffres actuels pourraient n’être que la pointe de l’iceberg. « C’est une balance. Quand on s’aperçoit qu’on a des tests positifs de ces nouvelles souches, la question est toujours : est-il trop tard ? Ce sera à suivre, mais chose certaine, on doit tous et toutes demeurer très vigilants », affirme le professeur.

« Le gouvernement vous dira certainement que c’est un risque calculé, alors, maintenant, ce sera à lui de s’assurer qu’on teste beaucoup, efficacement et rapidement », conclut le virologue.

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