Constitution du Québec

Le fruit est mûr

L’idée de doter le Québec de sa propre constitution, même à l’intérieur du Canada, n’est pas neuve. Elle remonterait à 1858 ! Plus récemment, en 2007, le député et constitutionnaliste Daniel Turp a même déposé une proposition de Constitution du Québec à l’Assemblée nationale1. En 2019, dans un vaste exercice de participation citoyenne, l’Institut du Nouveau Monde en a, lui aussi, rédigé une2.

En 2022, lors de l’adoption de la loi 96, le ministre Simon Jolin-Barrette a rappelé à son tour à bien des Québécois que, dans le cadre de la Constitution canadienne, le Québec pouvait tout à fait se donner une constitution qui lui est propre.

En effet, la loi constitutionnelle de 1867 contient une section que les provinces peuvent modifier à leur guise, section qui s’apparente à leur « constitution interne ». La loi 96 a modifié cette section et y a inscrit le fait que les Québécoises et les Québécois forment une nation dont la langue commune est le français.

Doter le Québec d’une constitution écrite, c’est pousser cette idée jusqu’au bout et inscrire notre propre constitution dans le cadre constitutionnel canadien. La première ne pourrait pas contredire le second, mais elle l’enrichirait de nos volontés collectives.

Pourquoi se donner une constitution ?

Depuis la conquête de la Nouvelle-France en 1760, le peuple québécois a été régi par six constitutions successives et il n’a approuvé directement aucune d’entre elles. Une partie de nos éternelles remises en question existentielles vient de cette faille. Pour savoir ce que nous voulons devenir, il faudrait d’abord dire ce que nous sommes. Pour améliorer le contrat qui nous lie, encore faut-il en avoir un.

Nous l’avons vu hier3, une constitution est une loi fondamentale, c’est la base juridique et identitaire d’un État. On y définit notre vision de la démocratie, nos mécanismes d’exercice du pouvoir, nos valeurs principales, nos droits et nos devoirs... c’est une description de notre personnalité collective ou, autrement dit, le contrat selon lequel nous acceptons de vivre ensemble.

C’est également un récit national.

Le préambule d’une constitution peut raconter l’originalité d’un peuple. René Lévesque y aurait peut-être inscrit ceci : « Nous sommes les héritiers de cette fantastique aventure que fut une Amérique d’abord presque entièrement française [et autochtones] et, plus encore, de l’obstination collective qui a permis d’en conserver vivante cette partie qu’on appelle le Québec4. »

C’est dans ce préambule que nous définirions ensemble, par exemple, notre vision des relations entre nation québécoise et nations autochtones, du Québec terre d’accueil, du Québec où s’épanouit une communauté anglophone, etc. Écrire les quelques paragraphes de ce préambule serait un défi immense, mais « tout cela se trouve au fond de cette personnalité qui est la nôtre », dirait Lévesque. Je suis convaincu que nous pourrions y arriver.

Outre le récit national, c’est dans une constitution qu’un peuple inscrit les principes qui lui sont les plus chers. Nous pourrions y enchâsser, par exemple, le français langue commune, l’égalité hommes-femmes, la laïcité ou encore l’interculturalisme.

Un mot sur l’interculturalisme.

L’interculturalisme à la québécoise se veut une réponse au multiculturalisme. Pour le multiculturalisme canadien, il n’y a pas de culture ou de groupe particulier dont l’identité serait à protéger, tout n’est qu’individualisme. Dans les faits, cette approche laisse toute la place à la culture et à la langue dominantes. Pour le Québec, ou encore pour les nations autochtones, pareille approche signifie, à terme, l’effacement.

L’interculturalisme reconnaît quant à lui l’existence d’une ou de plusieurs communautés d’accueil qui, elles aussi, font partie de la diversité du monde et qui, à ce titre, doivent être protégées. D’où l’existence de droits collectifs. Ce modèle d’intégration n’a jamais été adopté officiellement par le gouvernement du Québec, ce qui rend son application hasardeuse (ce danger a été brillamment exposé dans La métropole contre la nation ?, de David Carpentier). De plus, l’interculturalisme permet de construire une société basée non pas sur nos différences, mais sur notre projet commun. C’est l’essence même d’une constitution : le projet commun.

Constitution et rapport de force

Quand le gouvernement fédéral s’est attaqué à la loi 101, il a affaibli une de nos lois. Quand il s’attaque à sa nouvelle mouture, la loi 96, c’est encore une de nos lois qu’il remet en question. Quand il conteste la loi sur la laïcité, c’est la même chose, il ne conteste qu’une loi. Quand, pour répondre au multiculturalisme, le Québec légiférera sur l’interculturalisme, le fédéral s’y attaquera encore, c’est écrit dans le ciel.

Si nous enchâssons ces principes dans une constitution, dans un document adopté par référendum, le Canada ne s’attaquera plus à de simples lois, mais carrément à notre constitution. Il n’y a pas meilleur rapport de force.

Le processus

Au sens de la loi, le pouvoir d’adopter une Constitution du Québec appartient à l’Assemblée nationale. Il lui suffirait d’un vote majoritaire pour en adopter une. Toutefois, l’histoire, l’ancienne comme la récente, nous a bien démontré que les résolutions de l’Assemblée nationale, même unanimes, n’impressionnent pas tellement le gouvernement fédéral. Il faudra viser plus haut.

Seul un référendum peut donner à une constitution la légitimité qu’elle mérite. Aucune autre méthode n’est digne de l’importance du document. Aucune autre méthode ne lui donnerait la force dont elle aura besoin pour résister aux assauts fédéraux.

L’âme d’une nation est constituée de souvenirs communs et du désir de construire ensemble l’avenir. Parce qu’elle porterait notre récit national et les valeurs que nous voulons promouvoir, une Constitution du Québec nourrirait puissamment ce « nous » qui change le monde. Constituons !

1. Lisez la proposition de Constitution du Québec de Daniel Turp

2. Lisez la proposition de Constitution citoyenne de l'Institut du Nouveau Monde

3. Lisez la chronique du 7 mars : « Le fruit est pourri »

4. Option Québec. Un livre de René Lévesque que tous les Québécois devraient lire.

Deux livres à lire sur le sujet

La Constitution québécoise – Essais sur le droit du Québec de se doter de sa propre loi fondamentale, Daniel Turp, JFD Éditions, 2013

A written constitution for Québec ? Ouvrage collectif sous la direction de Richard Albert et de Léonid Sirota, McGill-Queen’s University Press, janvier 2023

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