Grande entrevue Mapi Mobwano, PDG d’ArcelorMittal Canada

Quatre ans pour transformer un géant

Mapi Mobwano, ingénieur minier, détenteur d’une maîtrise en gestion des ressources minérales et d’un MBA, est originaire de la République démocratique du Congo, mais il a vécu les 25 dernières années de sa vie en Afrique du Sud, où il a étudié puis occupé des postes de haute direction auprès de différentes sociétés minières avant de se joindre, l’an dernier, à ArcelorMittal comme chef de l’exploitation des activités canadiennes du groupe. Mapi Mobwano a été nommé au début du mois PDG d’ArcelorMittal Canada et il nous explique quels sont les défis qu’il entend relever.

Vous avez vécu toute votre vie en Afrique et vous êtes maintenant installé depuis l’été 2019 au Québec, où vous devez souvent vous rendre à Fermont. Comment s’est faite votre adaptation ?

Je suis venu un première fois en novembre 2018. Je suis parti de mon bureau, en Afrique du Sud, en veston-cravate et j’ai transité par Atlanta avant d’arriver à Montréal.

Déjà, je voyais un changement de température mais je suis parti directement à Mont-Wright visiter la mine et là, j’avais l’air d’un touriste. On m’a rapidement prêté un manteau.

Mais je me suis bien acclimaté. J’ai été chanceux parce qu’on dit que l’hiver dernier a été relativement doux… Mais le plus difficile, pour moi, ç’a été de recommencer à parler français. J’ai vécu les 25 dernières années en Afrique du Sud, ma femme vient de là-bas et mes enfants parlent anglais. Les deux premières semaines, je parlais dans les deux langues, mais aujourd’hui, mon français est complètement revenu.

Vous êtes arrivé en poste à la suite de plusieurs changements à la haute direction d’ArcelorMittal Canada au cours des dernières années. Qu’est-ce qui a motivé un tel mouvement ?

La haute direction d’ArcelorMittal souhaitait une hausse de la productivité de nos activités canadiennes. Il y a eu une réorganisation majeure en 2016, à la suite de la chute des prix du minerai de fer. Il fallait retrouver une meilleure capacité à réagir aux conditions du marché.

Les prix sont passés d’un sommet à 160 $US la tonne en 2012 à 35-40 $US la tonne en 2015. Il faut être capable de mieux manœuvrer dans les cycles haussiers comme baissiers. Là, depuis que le plus gros producteur au monde, Vale, a connu des problèmes au Brésil, les prix sont remontés à 120 $US la tonne, mais on s’attend à ce qu’ils se stabilisent autour de 70 $US.

En bas de 50 $US la tonne, ça devient compliqué pour nous d’opérer, il faut donc transformer ArcelorMittal Canada pour en faire une organisation plus efficace et plus productive. On doit améliorer nos processus.

C’est le mandat qu’on vous a donné ?

Oui, on doit transformer nos opérations afin de créer la plateforme qui nous permettra de réaliser une autre ronde d’investissements d’ici quatre ans.

On va le faire en s’attaquant à quatre piliers. Il faut d’abord créer un environnement sain et sécuritaire pour nos employés. C’est un enjeu important pour nous. J’ai grandi dans des petits villages miniers en Afrique et j’ai vu ce que les accidents de travail pouvaient produire comme catastrophes. Il faut améliorer notre bilan.

Notre deuxième enjeu est de devenir l’employeur de choix numéro un dans le secteur minier. On a beaucoup de concurrence, notamment des producteurs aurifères qui profitent des bons prix de l’or.

On doit aussi mettre en place une chaîne de valeur plus performante en visant l’excellence opérationnelle pour pouvoir concurrencer la production du Brésil, notamment. Enfin, on veut être une organisation responsable tant au niveau du respect de l’environnement que des collectivités où on est impliqués, soit à Fermont, Port-Cartier et auprès des communautés autochtones.

Vous vous donnez combien de temps pour y arriver ?

C’est un plan de quatre ans, qu’on a baptisé 26-25-24, qui se résume à arriver à produire 26 millions de tonnes de minerai de fer à un prix de 25 $US la tonne d’ici 2024.

Vous ne seriez pas rentable aujourd’hui avec un prix de 25 $US la tonne ?

Non (rires). On n’est pas là, mais on va y arriver en réduisant le gaspillage, notamment en récupérant davantage les particules de fer qui se retrouvent dans nos résidus. On va réduire nos pertes en améliorant la récupération, et cela va avoir un impact sur l’environnement.

On peut y arriver en recourant davantage à l’intelligence artificielle. Moi, ça m’excite d’être à Montréal, dans la capitale de l’IA, c’est une opportunité pour nous que de profiter davantage de cette richesse qui est chez nous.

L’essentiel de votre production est destiné à répondre aux besoins des aciéries de votre propriétaire ArcelorMittal. Est-ce que cela vous donne un avantage ou est-ce un inconvénient ?

De 60 à 70 % de notre production est destinée aux aciéries d’ArcelorMittal en Europe, un autre 20 % est destiné à Taïwan et à la Corée pour les besoins de notre partenaire China Steel et enfin 10 % de la production, soit plus de 2 millions de tonnes, sert aux besoins de nos scieries canadiennes de Sorel et de Hamilton.

On a des clients captifs, mais il faut être compétitif par rapport aux prix mondiaux. Vale au Brésil produit 350 millions de tonnes par année. Notre production annuelle équivaut à ce qu’ils produisent en un mois. Il faut être compétitif.

Vous occupez une place importante au Québec avec vos 2500 employés à Longueuil, Sorel, Fermont et Port-Cartier, et vous souhaitez vous ancrer davantage dans la communauté. Pourquoi ?

On est le plus important producteur minier au Québec et, évidemment, le plus important producteur de minerai de fer avec une production de 25,5 millions de tonnes par année.

Mais on aimerait réduire le « fly-in, fly-out » et que nos employés résident davantage en permanence à Fermont comme à Port-Cartier. On a 800 employés à Fermont, toute la ville tourne grâce à notre activité. Mais la ville, qui a déjà compté 5000 habitants, n’en a plus que 3000. C’est pourtant une région de lacs magnifiques où on devrait développer le tourisme.

On aimerait augmenter la population, mais il faudra faire des investissements en infrastructures. On compte 1500 employés à Port-Cartier, mais il y en a plusieurs qui ne sont pas résidants. La pandémie nous a démontré la fragilité des régions, et on préfère garder l’homogénéité de nos communautés.

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