le montréal des sans-papiers

Montréal n’est pas (encore) une « ville sanctuaire »

Malgré une déclaration unanime de son conseil municipal, en février, Montréal est encore loin de pouvoir se prétendre « ville sanctuaire ». Au contraire, l’ampleur de la collaboration entre les policiers montréalais et les agents fédéraux des services frontaliers suggère qu’il faudra tout un virage pour que les sans-papiers de la ville n’aient plus à craindre d’être expulsés, révèlent des chiffres inédits.

Le 20 février, Montréal s’est officiellement proclamé « ville sanctuaire ». Qu’est-ce que cela signifie ?

Jusqu’ici, très peu de choses. Par définition, une « ville sanctuaire » est un endroit où les sans-papiers peuvent recevoir des services municipaux sans craindre d’être expulsés. Le mouvement s’est amorcé il y a plus de 30 ans à Los Angeles, terre d’asile pour ceux qui fuyaient les dictatures latino-américaines soutenues, à l’époque, par les États-Unis. Il s’est étendu à plusieurs autres villes américaines, qui ont beaucoup de pouvoirs par rapport aux villes canadiennes. « Elles revendiquent leur autonomie et refusent toute collaboration avec les autorités d’immigration. C’est le modèle fort d’une ville sanctuaire », explique David Moffette, professeur adjoint au département de criminologie de l’Université d’Ottawa.

En février, le maire Denis Coderre a promis de limiter la coopération entre la police de Montréal et les services d’immigration, pour éviter l’expulsion de sans-papiers appréhendés pour des délits mineurs. Ce mur de Chine a-t-il été érigé ?

« Pour l’instant, rien n’a changé pour nous, répond Maurizio Mannarino, directeur adjoint, investigations et renvois de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Lorsqu’un individu est visé par un mandat d’arrestation, un agent de la paix doit exécuter ce mandat. Je ne vois pas comment cela pourrait changer. Si un policier intercepte une personne recherchée par l’Agence, il a un devoir légal de nous en informer. Sinon, je pense qu’on risque de mettre la communauté en danger. »

En effet, les policiers municipaux sont tenus par la loi d’exécuter un mandat d’arrêt lancé par l’ASFC. Il n’y a pas d’exception, même pour les policiers de Toronto, qui s’est pourtant déclaré « ville sanctuaire » dès 2013. « Tant que la loi ne changera pas, la police ne pourra jamais être considérée comme un service accessible » pour les sans-papiers au Canada, estime David Moffette.

Mais alors, si un policier a le devoir légal d’exécuter un mandat d’arrestation, comment les autorités municipales pourraient-elles lui demander de ne pas collaborer avec l’ASFC ?

Il s’agit d’appliquer la doctrine « don’t ask, don’t tell » : pas de questions, pas de dénonciations.

« Lorsqu’une personne traverse la rue au mauvais endroit, le policier pourrait se contenter de lui donner une contravention, sans chercher à savoir si un mandat d’arrêt a été lancé contre elle par l’ASFC, explique David Moffette. Les autorités pourraient aussi interdire aux policiers de Montréal d’appeler l’ASFC pour vérifier si un visa de séjour est expiré. Il y a des moyens de limiter le pouvoir discrétionnaire de la police, puisque, pour le moment, la police va bien au-delà de ses obligations minimales. »

Les policiers montréalais en feraient donc plus que nécessaire ?

Beaucoup plus, si l’on se fie aux chiffres obtenus par David Moffette auprès de l’ASFC en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. Ainsi, en 2016, des policiers montréalais ont communiqué avec l’Agence à 2872 reprises pour obtenir des renseignements sur une personne. Dans 83 % des cas, ils voulaient vérifier son statut d’immigration. « Ces policiers contactent l’ASFC sur la base de soupçons. Cela suggère une forme de profilage », souligne le professeur.

Il y aura donc tout un changement de culture à opérer au sein du SPVM pour faire de Montréal une « ville sanctuaire » ?

Oui, et même si on y parvient, on n’obtiendra qu’une « version limitée » des « villes sanctuaires » que l’on retrouve aux États-Unis, selon David Moffette. « Là-bas, les policiers refusent de collaborer avec les services d’immigration pour éviter de perdre la confiance de certaines communautés. Au Canada, les policiers semblent plutôt vouloir collaborer avec l’ASFC et en être assez fiers. » Le plan de Denis Coderre risque d’être mal accueilli dans certains quartiers, ajoute-t-il. « À mon avis, le SPVM va essayer de lui mettre des bâtons dans les roues. Aucun corps de police n’aime qu’on limite son pouvoir discrétionnaire. »

Qu’en disent les autorités municipales ?

Rien, ou presque. Malgré nos demandes répétées auprès de la Ville de Montréal, nous n’avons obtenu aucune information sur l’avancement du dossier. Le maire Coderre n’a pas donné suite à nos demandes d’entrevue. Le professeur Moffette est pessimiste : « Ce projet ne s’en va nulle part. Cela s’est fait sans consultation, une déclaration unilatérale qui passait bien dans les médias à une époque où les revendicateurs du statut de réfugié traversaient la frontière américaine. Il n’y a pas d’échéancier, pas de mécanisme de suivi… Le modèle de Montréal, à mon avis, c’est le pire de tous. »

Montréal clandestin

Montréal n’est pas (encore) une « ville sanctuaire »

Malgré une déclaration unanime de son conseil municipal, en février, Montréal est encore loin de pouvoir se prétendre « ville sanctuaire ». Au contraire, l’ampleur de la collaboration entre les policiers montréalais et les agents fédéraux des services frontaliers suggère qu’il faudra tout un virage pour que les sans-papiers de la ville n’aient plus à craindre d’être déportés, révèlent des chiffres inédits.

Le 20 février, Montréal s’est officiellement proclamé « ville sanctuaire ». Qu’est-ce que cela signifie ?

Jusqu’ici, très peu de choses. Par définition, une « ville sanctuaire » est un endroit où les sans-papiers peuvent recevoir des services municipaux sans craindre d’être déportés. Le mouvement s’est amorcé il y a plus de 30 ans à Los Angeles, terre d’asile pour ceux qui fuyaient les dictatures latino-américaines soutenues, à l’époque, par les États-Unis. Il s’est étendu à plusieurs autres villes américaines, qui ont beaucoup de pouvoirs par rapport aux villes canadiennes. « Elles revendiquent leur autonomie et refusent toute collaboration avec les autorités d’immigration. C’est le modèle fort d’une ville sanctuaire », explique David Moffette, professeur adjoint au département de criminologie de l’Université d’Ottawa.

En février, le maire Denis Coderre a promis de limiter la coopération entre la police de Montréal et les services d’immigration, pour éviter l’expulsion de sans-papiers appréhendés pour des délits mineurs. Ce mur de Chine a-t-il été érigé ?

« Pour l’instant, rien n’a changé pour nous, répond Maurizio Mannarino, directeur adjoint, investigation et renvois de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Lorsqu’un individu est visé par un mandat d’arrestation, un agent de la paix doit exécuter ce mandat. Je ne vois pas comment cela pourrait changer. Si un policier intercepte une personne recherchée par l’Agence, il a un devoir légal de nous en informer. Sinon, je pense qu’on risque de mettre la communauté en danger. »

En effet, les policiers municipaux sont tenus par la loi d’exécuter un mandat d’arrêt lancé par l’ASFC. Il n’y a pas d’exception, même pour les policiers de Toronto, qui s’est pourtant déclaré « ville sanctuaire » dès 2013. « Tant que la loi ne changera pas, la police ne pourra jamais être considérée comme un service accessible » pour les sans-papiers au Canada, estime David Moffette.

Mais alors, si un policier a le devoir légal d’exécuter un mandat d’arrestation, comment les autorités municipales pourraient-elles lui demander de ne pas collaborer avec l’ASFC ?

Il s’agit d’appliquer la doctrine « don’t ask, don’t tell » : pas de questions, pas de dénonciations.

« Lorsqu’une personne traverse la rue au mauvais endroit, le policier pourrait se contenter de lui donner une contravention, sans chercher à savoir si un mandat d’arrêt a été lancé contre elle par l’ASFC, explique David Moffette. Les autorités pourraient aussi interdire aux policiers de Montréal d’appeler l’ASFC pour vérifier si un visa de séjour est expiré. Il y a des moyens de limiter le pouvoir discrétionnaire de la police, puisque, pour le moment, la police va bien au-delà de ses obligations minimales. »

Les policiers montréalais en feraient donc plus que nécessaire ?

Beaucoup plus, si l’on se fie aux chiffres obtenus par David Moffette auprès de l’ASFC en vertu de la Loi d’accès à l’information. Ainsi, en 2016, des policiers montréalais ont communiqué avec l’Agence à 2872 reprises pour obtenir des renseignements sur une personne. Dans 83 % des cas, ils voulaient vérifier son statut d’immigration. « Ces policiers contactent l’ASFC sur la base de soupçons. Cela suggère une forme de profilage », souligne le professeur.

Il y aura donc tout un changement de culture à opérer au sein du SPVM pour faire de Montréal une « ville sanctuaire » ?

Oui, et même si on y parvient, on n’obtiendra qu’une « version limitée » des « villes sanctuaires » que l’on retrouve aux États-Unis, selon David Moffette. « Là-bas, les policiers refusent de collaborer avec les services d’immigration pour éviter de perdre la confiance de certaines communautés. Au Canada, les policiers semblent plutôt vouloir collaborer avec l’ASFC et en être assez fiers. » Le plan de Denis Coderre risque d’être mal accueilli dans certains quartiers, ajoute-t-il. « À mon avis, le SPVM va essayer de lui mettre des bâtons dans les roues. Aucun corps de police n’aime qu’on limite son pouvoir discrétionnaire. »

Qu’en disent les autorités municipales ?

Rien, ou presque. Malgré nos demandes répétées auprès de la Ville de Montréal, nous n’avons obtenu aucune information sur l’avancement du dossier. Le maire Coderre n’a pas donné suite à nos demandes d’entrevue. Le professeur Moffette est pessimiste : « Ce projet ne s’en va nulle part. Cela s’est fait sans consultation, une déclaration unilatérale qui passait bien dans les médias à une époque où les revendicateurs du statut de réfugié traversaient la frontière américaine. Il n’y a pas d’échéancier, pas de mécanisme de suivi… Le modèle de Montréal, à mon avis, c’est le pire de tous. »

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