COVID-19

Gare au sentiment d’« impuissance acquise »

La crise de la COVID-19 s’étire et les mesures de confinement aussi. Ce contexte peut mener à un sentiment d’« impuissance acquise » chez certaines personnes, craint la neuropsychologue Johanne Lévesque. Entrevue et pistes de solution.

Est-ce que vous voyez l’impact de la prolongation du confinement chez vos patients ? Est-ce que ça se sent ?

Absolument. Et ça se sent dans une tranche d’âge particulièrement : les adolescents. Selon moi, ce sont les adolescents qui sont plus touchés par la prolongation du confinement, parce que pour eux, ça veut dire encore plus de mois perdus, encore plus de projets abandonnés. Le temps est compté pour la période de l’adolescence, tandis que la période de temps de l’âge adulte est beaucoup plus grande.

Les jeunes ont aussi peut-être moins de recul que les adultes…

Ça joue aussi, mais en ce moment, même les adultes ont parfois de la difficulté à prendre du recul par rapport à la situation de la pandémie, avec les nouvelles souches du virus qui émergent et la complexité d’aplatir la fameuse courbe. On commence à sentir l’impuissance acquise s’installer. Des jeunes et des adultes me disent qu’ils ont déjà pris l’habitude de moins être en relation avec les autres. Il y a une forme de désespoir, si on veut, qui s’installe chez eux.

Qu’est-ce que c’est, l’impuissance acquise ?

C’est un concept psychologique développé dans les années 1970 et 1980. Ça a d’abord été testé avec un chien, qu’on a attaché à une chaîne. Au bout de la chaîne, on a mis un bol de nourriture que le chien ne pouvait atteindre. Le chien a essayé, essayé, essayé de se rendre au bol jusqu’au jour où il a arrêté d’essayer. Et quand on a détaché le chien, il n’a jamais tenté de se rendre au plat : il avait compris que ça ne donnait plus rien d’essayer.

Et ce concept s’applique aux humains ?

Oui, c’est un concept bien connu en psychologie. Il y a des gens qui finissent par se convaincre que, peu importe ce qu’ils essaient de faire, ça ne donne plus rien. Ça peut être lourd de conséquences en termes de désespoir et de suicide.

Vous craignez que ça mène à des suicides ?

Oui, c’est vraiment ce que je crains. En 20 ans de pratique, c’est la première année que j’ai conscience qu’autant de mes clients ont pensé à se suicider ou ont tenté de le faire. Et on s’entend : je suis neuropsychologue, je ne suis pas psychologue. Ce n’est pas censé arriver tant que ça dans ma clientèle ! Et dans mon entourage, à un ou deux degrés de distance, par personne interposée, j’ai été consciente de 11 suicides. Et les 11 suicides, c’est chez des gens de moins de 40 ans.

L’arrivée du vaccin n’annonce-t-elle pas le bout du tunnel ? Ça n’aide pas le moral des gens ?

Ça ne semble pas avoir autant d’impact qu’on aurait pu anticiper. Peut-être parce qu’on sait que le vaccin n’empêche pas d’avoir la COVID-19. Le nombre élevé de cas en ce moment vient peut-être aussi entacher la joie du vaccin. Et les jeunes ne font pas nécessairement le lien que si des personnes âgées et le personnel soignant sont mieux protégés, ils vont peut-être récupérer une vie semi-normale.

Vous conseillez aux gens de déjouer leur cerveau pour retrouver une vie plus positive. Comment fait-on cela ?

L’idée, c’est de regarder nos options et nos possibilités et de réussir à avoir du plaisir au quotidien. Sinon, le cerveau va rentrer dans un cercle vicieux de négativité et la neurochimie de notre cerveau va répondre à ça. La sérotonine va diminuer, la dopamine va diminuer, la noradrénaline va diminuer. Mais si on fait l’inverse et que tous les jours, on écoute un spectacle d’humour, on regarde une comédie, on va marcher, on fait du sport, on essaie de se divertir d’une façon ou d’une autre, ça induit le processus inverse dans le cerveau : ça maintient le niveau de dopamine, de sérotonine et de noradrénaline. C’est comme si on prenait notre cerveau en otage et qu’on l’envoyait dans la direction qu’on veut.

Même après 10 mois de pandémie, ça peut marcher ?

La difficulté pour ça, sincèrement, c’est que ça prend beaucoup de discipline sur le plan de la pensée. Pour réussir, il faut faire volontairement abstraction de ce qui ne va pas et mettre l’accent sur ce qui va. Des fois, on entend les athlètes dire : « je contrôle tout ce que je peux contrôler, mais je ne dépense pas une seconde sur ce que je ne peux pas contrôler, parce que ça ne donne rien ». C’est comme ça que les athlètes arrivent à se remettre d’une contre-performance et à atteindre leurs objectifs. C’est la même chose pour les gens en ce moment. Mais ça prend de l’énergie, de la discipline, de la volonté.

Avez-vous un dernier conseil à donner ?

Je dirais qu’en ce moment, notre plus grande alliée, c’est la présence. D’être ici, maintenant, ça n’a jamais valu aussi cher. Parce que demain, on ne le sait pas, et qu’hier, c’est fini. Il faut se concentrer sur chaque jour. Et si c’est trop long, on divise la journée en trois : le matin, l’après-midi et le soir. Et on en tire le meilleur.

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