Michel Cymes

Docteur confiance

À la radio comme à la télévision, l’ORL est devenu le médecin de famille de la France. Face au virus, il appelle au calme et à la discipline. « En ce moment, mon cabinet compte 60 millions de patients. Je bosse comme un fou pour n’être pas approximatif. »

Les sujets médicaux les plus sérieux n’échappent pas à son humour. Pourtant, avec la Covid-19, le DGood est sous pression. Celui qui sait être savant sans jamais être pédant et informer sans faire monter la panique n’ignore pas que les Français sont, plus que jamais, suspendus à ses lèvres. En quelques jours, il est devenu l’homme le plus écouté du pays. Un hyperactif qui présente cinq émissions à la télé, une chronique quotidienne sur RTL, anime des conférences, dirige trois journaux médicaux grand public. Pas de quoi lui faire oublier sa première passion : ses consultations ORL à l’hôpital européen Georges-Pompidou. 

Michel Cymes se lave les mains toutes les heures, s’interdit la bise et, depuis jeudi dernier, porte un masque chirurgical lors de ses deux matinées hebdomadaires de consultation à l’hôpital Georges-Pompidou. 

Levé dès 5 heures, le médecin s’informe, via divers sites médicaux, des évolutions de l’épidémie ; il sait que toutes les questions, les plus délirantes comme les plus sérieuses, lui seront posées. « Ma responsabilité est énorme. Je bosse comme un fou pour ne jamais être approximatif », confie-t-il. 

Ayant ainsi lu qu’on soupçonne la climatisation de favoriser la diffusion du virus, il appelle une virologue puis vérifie auprès de l’Institut Pasteur et élabore une réponse, nourrie des dernières connaissances acquises dans cette course effrénée entre la science internationale et le virus à couronne, cette minuscule terreur galopant autour de la planète.

« Tout le monde est inquiet et les gens me font confiance. Or, je ne suis qu’un passeur. Mon boulot consiste à chercher des sources fiables et les partager. En ce moment, mon cabinet compte 60 millions de personnes. »

— Michel Cymes

Michel Cymes, qu’on écoutait le matin sur RTL raconter, de sa voix de basse, qu’il convient d’éviter de casser des noisettes avec les dents ou d’utiliser son Smartphone aux toilettes, la position assise favorisant les hémorroïdes, se révèle aujourd’hui bien plus qu’un simple animateur rigolo. « Il est le docteur de la France », selon son frère Franck Cymes. Le docteur de la France ? En tout cas, celui dont chaque prise de parole pèse lourd. 

Le week-end dernier, la responsable des grands comptes sur Facebook l’a contacté : voudrait-il réactiver son compte et diffuser des messages sanitaires ? Michel Cymes accepte, enchaînant télévisions et radios, virevoltant sur son scooter, le bras droit bandé depuis qu’il s’est claqué le tendon au ski. Dès qu’il est sur un plateau, les audiences, dopées par l’anxiété collective, caracolent : 2,9 millions de téléspectateurs devant Quotidien sur TMC le 10 mars, autant le 3 mars pour la spéciale de France 2, et 5 millions de vues sur Konbini. 

Si la crise sanitaire explique ce besoin d’explications, pourquoi est-ce lui, l’ex-ORL d’Antony aux sourcils dansants, que les Français écoutent ? Comment Michel Cymes est-il devenu notre blouse blanche nationale ?

Son histoire est celle d’une réparation. Dans le salon d’un appartement minuscule, rue Myrha, dans le XVIIIarrondissement de Paris, Michel partage sa chambre – et un lit escamotable – avec Franck, né neuf ans après lui. Le soir, les deux frangins jouent au foot en tapant une balle de papier contre les murs. 

Les machines à coudre de leur père, Nathan Cymes, tailleur dans le Sentier, ronronnent dans le salon. Homme joyeux et bosseur frénétique, Nathan se fait appeler Jeannot depuis qu’un gendarme français a frappé à la porte, un matin de 1942, l’enjoignant lui et sa mère, Glika, de se cacher dans des cartons. Chaïm Cymes, son père, arrêté et conduit au gymnase Japy, a été déporté à Auschwitz. La guerre achevée, Jeannot épouse une fille de déporté, Annette Chochembaum. 

« Depuis sa naissance, Michel a une mission : il doit vivre, il doit réussir », analyse son amie Patricia Chalon, présidente de l’association Enfance Majuscule. L’attente exigeante de ces parents blessés pèse sur le jeune élève dissipé. Il doit passer son bac au rattrapage, mais, interrogé sur la politique économique de Lénine, il écope d’un fatal 6 sur 20. « J’étais désespéré. Mes parents m’attendaient, fous de joie que le premier Cymes obtienne le bac. » 

Aujourd’hui encore, il se demande pourquoi l’examinatrice l’a si durement noté, refusant d’envisager que l’étoile de David, qu’il portait autour du cou à l’époque, ait pu l’indisposer à son égard. « Rétrospectivement, ce fut le plus extraordinaire coup de pied au derrière », car il décide de conjurer sa désinvolture. « Truc de dingue, le gars qui a redoublé son bac réussit médecine du premier coup », raconte Laurence Ferrari, son amie depuis trente ans. « Mes parents voulaient le meilleur pour nous. Nous devions accéder à une profession prestigieuse », explique Franck Cymes. 

Michel veut devenir chirurgien. Un métier qui brille, un métier qui émeuve la grand-mère chérie, Glika, qui soutient financièrement ses études. Patatras ! il est recalé au concours. Sauf que le quota d’étudiants étrangers admis a été dépassé ; onze recalés sont repêchés, et Michel Cymes est le onzième. Ses parents sablent le champagne.

Premiers pas

Le jeune médecin ouvre à Antony un cabinet ORL avec un copain de collège, Jacky. Il découvre qu’il aime expliquer sa science et dessine une bande dessinée sur l’otite séreuse, qu’il vend à un laboratoire. Lorsqu’un journaliste, croisé lors d’un rallye auto, lui fait observer qu’il devrait essayer la radio, il adresse quelques pastilles à Autoroute FM, qui les refuse, puis à France Info, qui l’engage. Son ton débonnaire, ses blagues potaches et cette pédagogie constante séduisent. 

Il enchaîne avec une chronique dans Télématin, puis avec Le journal de la santé, qui deviendra Le magazine de la santé : vingt ans d’émissions sur France 2, au succès exponentiel. « Son naturel séduit. Il est le bon pote qui raconte simplement mais rigoureusement l’information médicale », analyse son producteur historique, Christian Gerin, avec qui il a créé la société audiovisuelle 17 Juin. « Le succès est venu très lentement, c’est pourquoi il dure », croit, pour sa part, Michel Cymes.

Quand, en 2016, il s’installe dans le classement des personnalités préférées des lecteurs du Journal du dimanche, il emmène son second fils, Martin, au gymnase Japy. Et là, debout au milieu du bâtiment, agitant l’hebdomadaire vers le ciel, il apostrophe son grand-père Chaïm : « Ces Français qui t’ont déporté il y a soixante-quinze ans, eh bien  ! ils m’aiment… » La prière impulsive d’un homme dont la foi se borne à célébrer Kippour et à verser de l’argent à la synagogue de Saint-Cloud. 

« Cette notoriété un peu dingue m’a secoué. Il fallait en faire quelque chose. Je me suis dit que j’avais étudié médecine pour que les gens aillent mieux. »

— Michel Cymes

C’est alors que naît son virage, critiqué, vers la prévention et le bien-être. « Michel promeut le sport, le sommeil. C’est sympa mais il s’éloigne de la pure médecine », observe Gérald Kierzek, urgentiste, intervenant dans le groupe TF1. « Il martèle des messages d’hygiène de vie, certes, mais ses informations sont scientifiques », tranche Jean-François Lemoine, ancien chroniqueur médical sur Europe 1.

« Michel marche sur un fil. Il fait de la voltige mais ne tombe jamais », observe une amie historique. La voltige, c’est l’humour carabin qu’il pousse jusqu’au précipice, s’aventurant à raconter, assis à la table de François Hollande lors d’un dîner de gala au château de Versailles, la blague de la femme dont le sexe sent l’oignon. Silence stupéfié, puis le président éclate de rire.

Développement commercial

La voltige, c’est aussi le développement commercial de son image, à laquelle le Conseil de l’ordre n’a jamais trouvé à redire. En 2014, son frère, ex-directeur des droits dérivés à France Télévisions, lui propose de devenir « une marque de confiance ». Ensemble, ils lancent Club Prévention Santé, une société donnant des conférences, gratuites pour le public, durant lesquelles le Dr Cymes invite à « devenir acteur de sa santé ». Soixante-cinq conférences en cinq ans – financées par Harmonie Mutuelle. « On a inventé le show médical », se félicite Franck. 

Puis ils créent un magazine Prévention et bien-être, titré Dr. Good, bimensuel vendu à 210 000 exemplaires. Suivront Dr. Good ! C’est bon !, – spécialisé en nutrition, puis Dr. Good ! Kids, le tout racheté par Reworld Media. « On gagne de l’argent, et alors ? Michel contrôle tout ! Il valide chaque page de pub et interdit celles des laboratoires pharmaceutiques », plaide Franck Cymes. « Si Michel voulait faire fortune, il aurait quitté depuis longtemps la télévision publique. Il a refusé des propositions mirobolantes », renchérit Christian Gerin.

« L’avantage de gagner beaucoup, c’est qu’on peut ne plus penser à l’argent et partager avec ceux qu’on aime », commente Michel Cymes. Qui, à 62 ans, vit, chante, danse, travaille et écrit des livres, entouré d’une poignée d’amis dont la plupart l’ont connu gamin. Patricia Chalon est la fille d’un tailleur du Sentier qui partageait la boutique de son père ; Jacky, son premier associé en cabinet, est un copain de collège ; Mithridade, stomatologue et petit-fils d’un boulanger iranien, est un ami d’enfance. Michel n’a plus quitté Philippe, généraliste parisien rencontré pendant l’internat à Chartres, ni Christian, chirurgien en pédiatrie cardiaque connu depuis sa coopération au Sénégal. 

Ces copains d’avant le surveillent, scrutant chacune de ses émissions, avalant les replays et traquant les rediffusions avant de décrocher leurs portables et de l’agonir d’injures, lui reprochant une émission vulgaire ou le sermonnant pour telle plaisanterie déplacée. « Michel a besoin de ses amis sûrs qui l’ont vu grandir. Ils l’empêchent de changer », observe Anne, qui l’a connu coopérant à l’hôpital de Dakar. « Ils sont ma garde rapprochée. Si je prends un centimètre de périmètre crânien, ils me tapent dessus », commente Cymes.

À ce noyau originel se sont agrégés, voici vingt ans, un ancien joueur professionnel de rugby, Christophe Brun, rencontré « nu dans les vestiaires du Racing », et le journaliste Patrice Romedenne, corédacteur de ses livres best-sellers. Et c’est tous ensemble, accompagnés de leurs épouses, que les membres de la bande Cymes skient chaque année à La Clusaz, fêtent les 60 ans de Michel sur une île des Baléares, enchaînent les soirées déguisées et les concours de karaoké, et l’écoutent parfois jouer des chansons de Barbra Streisand au saxo. L’été, ils partent en convoi vers sa maison du Var, où l’épicurien cultive vigne et oliviers. 

Pilier de ces retrouvailles, Nathan-Jeannot, 87 ans, que l’un ou l’autre des invités amène en voiture. Le programme est effréné. Lever aux aurores, beaucoup de sport, beaucoup de cuisine. Cymes fait les courses tôt le matin. « Et ne lui demandez jamais de rapporter du pain, il revient avec quinze baguettes », raconte Christophe Brun. « C’est un viandard, il adore la barbaque », précise Christian Gerin, membre du Club Abats, au sein duquel ces messieurs cuisinent à tour de rôle tripes, rognons et andouillettes. 

Outre la bonne bouffe, le sport, passion atavique contrariée. Quand un recruteur du PSG frappa dans les années 70 à la porte de l’appartement familial pour obtenir que Franck devienne professionnel, Mme Cymes le chassa du salon. Le foot n’est pas un métier. Conscients que rien n’ébranlerait leur mère, les deux frères sont devenus sociétaires du club parisien, dont ils ne manquent aucun match. Michel Cymes embarquera dans le jet privé de Nagui pour assister, en Russie, au match France-Argentine de la Coupe du monde. 

Leur père a couru son premier marathon à 70 ans et aligne encore trois footings par semaine. Quant à Michel, il a grimpé à vélo le mont Ventoux et pédalé 750 kilomètres entre Paris et le Var, l’été dernier. « Un mental de chien de chasse. Il aurait pu être un sportif de haut niveau », assure Christophe Brun.

Son inébranlable popularité s’explique par cette cohérence : Cymes pratique ce qu’il prône. « Il ne joue pas les experts, il parle comme un médecin de famille », analyse Christophe Brun. Un médecin de famille soucieux, concentré, mais écartant la panique. Ayant conseillé à sa femme et à ses enfants de ne plus sortir, il invite les Français au calme et à la discipline. « Soyons sérieux et vigilants. Nous ne risquons pas l’extinction de la race humaine, mais il faut la jouer collectif. »

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