La Presse à Berlin

Sous le signe du souvenir…

En replongeant dans l’époque de son enfance, le cinéaste français Mikhaël Hers offre l’un des plus beaux films que nous ayons vus jusqu’à maintenant dans cette Berlinale. La cinéaste québécoise Miryam Charles est par ailleurs venue présenter un essai poétique directement inspiré de souvenirs de famille.

Le propos qu’on retrouve dans Les passagers de la nuit, en lice pour l’Ours d’or, est beaucoup plus intime que politique, mais le récit du nouveau film de Mikhaël Hers (Amanda) commence néanmoins le 10 mai 1981, alors que la fête descend dans les rues de Paris pour souligner la victoire de François Mitterrand à la présidence et l’arrivée de la gauche au pouvoir.

« Même si j’étais un enfant à cette époque, et je crois qu’il en est de même pour tous les gens de ma génération, j’ai senti qu’il se passait quelque chose d’important ce jour-là, a expliqué le cinéaste dimanche, lors d’une conférence de presse. C’était un sentiment étrange parce qu’on sentait déjà aussi les germes de la désillusion à venir. Ça procède de l’ambiance de l’époque. »

Délicieux spleen

Un film d’ambiances. Voilà ce qu’est avant tout ce film traversé de bout en bout par un spleen délicieux et une mélancolie réconfortante, même si cela peut paraître contradictoire de prime abord.

Dans ce long métrage dont le scénario est coécrit par Maud Ameline, qui avait aussi collaboré au scénario d’Amanda, le récit est divisé en trois chapitres, l’intrigue se déroulant en 1981, en 1984 et en 1988. Charlotte Gainsbourg incarne Élisabeth, une femme que vient de quitter son mari. Désormais seule à diriger une maisonnée comptant deux adolescents (Quito Rayon-Richter et Megan Northam), Élisabeth doit aussi vivre avec une peine qu’elle a du mal à surmonter.

Les ressources financières n’étant pas glorieuses, Élisabeth tente de regagner le marché du travail et se dirige d’abord vers une animatrice de radio de nuit (Emmanuelle Béart) à qui elle a écrit. Cette rencontre amorce une espèce de tournant, dans la mesure où, embauchée pour accueillir les appels des auditeurs, elle décide spontanément de donner refuge à une jeune itinérante (Noée Abita) venue se confier au micro de l’animatrice.

Tout en douceur

Cela dit, ce ne sont pas tant les détails de l’intrigue qui captivent, mais plutôt la manière qu’a Mikhaël Hers de les raconter, tout en douceur. Il évoque aussi une espèce de chaleur dans les relations familiales, belle à voir, qui tranche nettement avec les illustrations attendues et habituelles de situations de crise. Une volonté manifeste de s’éloigner des clichés aussi, même pour ce personnage d’adolescente rebelle ayant fui un milieu difficile.

Charlotte Gainsbourg irradie ce film où l’état d’esprit des années 1980 est également bien évoqué, sans recourir aux évidences.

C’est bel et bien une affiche de Gremlins qu’on voit à l’entrée d’un cinéma où entrent les trois ados, mais c’est Les nuits de la pleine lune qu’ils vont voir. Et dont on nous montre des extraits. Cela donne bien le ton d’un film nourri de souvenirs marquants de l’époque.

Vraiment, une belle réussite.

Les belles évocations de Cette maison

Cette maison, de la cinéaste québécoise Miryam Charles, est présenté à la Berlinale dans la section Forum. À la fois documentaire et fiction, ce premier long métrage revêt davantage les allures d’un essai poétique, directement inspiré d’un drame qu’a vécu la famille de la réalisatrice il y a plusieurs années. Ainsi, Schelby Jean-Baptiste prête dans ce film ses traits à l’adulte que serait devenue la cousine de Miryam Charles, morte dans des circonstances tragiques à l’âge de 14 ans.

« Au départ, l’idée était de faire un documentaire plus traditionnel et d’aller de maison en maison interviewer des membres de ma famille, a indiqué la réalisatrice à La Presse. Le tournage a commencé au début de la pandémie et plusieurs d’entre eux étaient plus ou moins à l’aise de laisser entrer une équipe de cinéma chez eux. C’est là que m’est venue l’idée de mettre en scène des souvenirs de famille avec des comédiens en me concentrant essentiellement sur les belles choses qui ont existé dans la vie de ma cousine. »

Sur ce plan, de très belles évocations parsèment ce long métrage dont l’histoire fait aussi écho à la diaspora haïtienne, installée à la fois aux États-Unis et au Québec. On remarquera en outre ce passage situé en 1995, au soir du référendum québécois sur la souveraineté, dont le résultat est accueilli avec grand soulagement au sein de la famille. Qui s’en fait même une fête.

« Mes parents sont arrivés au Québec au milieu des années 70, sans vraiment connaître l’histoire du Québec ou du Canada, précise la cinéaste. Ils ne comprenaient pas vraiment ce qui se passait ni la complexité des enjeux. À tort ou à raison, ils pensaient que si le Oui l’emportait, les immigrants ne seraient plus vraiment les bienvenus. Ce sentiment était très répandu dans la communauté, même si rien ne pouvait le justifier. Je me souviens que nous avions beaucoup célébré le Canada ce soir-là et je trouvais intéressant de proposer une perspective qu’on voit plus rarement. Je ne vous cacherai pas que mon producteur en fut très surpris ! »

Mais au-delà de cette parenthèse à caractère politique, qui relève ici davantage d’un souvenir d’enfance, Cette maison rend surtout hommage à la mémoire de l’adolescente disparue. Miryam Charles propose à cet égard un film lumineux, qui prolonge dans un geste artistique la vie d’une jeune fille tant aimée.

72e Berlinale

en bref

Une grande année pour Denis Ménochet

En plus de tenir le rôle-titre dans Peter von Kant, le nouveau film de François Ozon (en lice pour l’Ours d’or), Denis Ménochet a tourné dans pas moins de trois autres longs métrages, parmi lesquels Chien blanc. Dans cette adaptation du livre de Romain Gary que porte à l’écran Anaïs Barbeau-Lavalette, l’acteur français se glisse dans la peau du célèbre écrivain, au moment où, alors conjoint de l’actrice Jean Seberg, très engagée aux États-Unis dans la cause de la reconnaissance des droits civiques des Afro-Américains, les tensions raciales s’accentuent après l’assassinat de Martin Luther King. « J’ai adoré tourner ce film, a confié l’acteur à La Presse. C’était génial. Anaïs est d’une très grande minutie, ne néglige aucun détail, et j’ai très hâte de voir le résultat ! » Denis Ménochet est aussi la vedette d’As bestas, de l’Espagnol Rodrigo Sorogoyen, et tient un rôle de soutien dans Disappointment Blvd., nouveau film – très attendu – d’Ari Aster (Hereditary, Midsommar).

— Marc-André Lussier, La Presse

Vu en compétition

Pour son troisième long métrage à titre de réalisatrice, Nicolette Krebitz, surtout connue comme actrice en Allemagne, porte à l’écran un scénario qu’elle signe seule, à propos d’une actrice mûre dont le parcours prend une tournure inusitée. Dans AEIOU – A Quick Alphabet of Love, Sophie Rois incarne une actrice sexagénaire à qui les beaux rôles sont maintenant plus rarement offerts, qui accepte à contrecœur de donner des cours à des jeunes ayant à surmonter des difficultés de langage. C’est notamment le cas d’Adrian (Milan Hermes), un adolescent de 17 ans qui s’adonne à être celui qui, il y a peu de temps, a piqué le sac de l’actrice en pleine rue. L’aspect le plus intéressant du film réside assurément dans le développement progressif d’une relation amoureuse qui défie les conventions. L’ennui, c’est que la réalisatrice se sente obligée d’emprunter maladroitement toutes sortes d’avenues pour pimenter cette relation, y compris un voyage sur la Côte d’Azur où le couple se transforme alors en professionnels du larcin. La crédibilité du récit en souffre, au point où la belle idée de départ se trouve gâchée par ces détours inutiles.

— Marc-André Lussier, La Presse

54 tests positifs jusqu’à maintenant

Le site spécialisé Deadline a rapporté dimanche le nombre de cas de COVID-19 déclarés dans les centres de dépistage où se rendent quotidiennement professionnels et journalistes pour subir un test antigénique. Sur plus de 2700 tests passés jusqu’à maintenant, 54 personnes ont été déclarées positives, un chiffre qui, selon un porte-parole de la Berlinale, reste relativement faible. On a rapporté en Allemagne, lors de la dernière semaine, une moyenne de 1472 cas pour 100 000 habitants, selon l’Institut Robert Koch. Seulement 55,2 % de la population allemande se serait prévalue d’une dose vaccinale de rappel. L’accès aux différents sites de la Berlinale est autorisé aux personnes adéquatement vaccinées seulement, lesquelles doivent également présenter une preuve de résultat négatif à un test passé le jour même.

— Marc-André Lussier, La Presse

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