Mungo

Dans les entrailles de Glasgow

Mungo

Douglas Stuart (traduit de l’anglais par Charles Bonnot)

Globe

480 pages

8/10

On l’attendait avec impatience, ce deuxième roman de l’Écossais Douglas Stuart. Et malgré la barre qu’il a placée haut avec Shuggie Bain (son premier titre), Mungo réussit à produire ce même enchantement tragique et irrésistible qui fait de ses livres des histoires inoubliables.

Le Glasgow de Douglas Stuart est à des années-lumière de l’opulence victorienne de l’ouest de la ville. On est ici dans l’East End des années 1990, un quartier miné par le chômage laissé par les réformes de Margaret Thatcher durant la décennie précédente ; où les guerres de gangs entre jeunes catholiques et protestants sont la messe des samedis soir, et les coups de couteau dessinent ce fameux « sourire de Glasgow » qui a longtemps donné à la ville sa mauvaise réputation.

C’est au milieu de cette violence que grandit Mungo, un adolescent solitaire de 15 ans dont la douceur dérange les autres garçons – en particulier son frère aîné, qui est le chef d’une bande de jeunes protestants délinquants. Sa mère, qui élève seule ses trois enfants depuis la mort de leur père, est le portrait craché de celle de Shuggie Bain : absente, alcoolique et terriblement égocentrique. Malgré tout, Mungo lui voue une adoration inconditionnelle.

Lorsqu’il s’éprend d’un jeune catholique, il est forcé de cacher leur relation – condamnable à tous les points de vue en raison de leur différence de religion et de l’homophobie ambiante. Mais leur secret ne tiendra pas bien longtemps et lorsque sa mère découvre le pot aux roses, elle décide de l’envoyer pour un week-end de pêche en compagnie de deux inconnus rencontrés à ses réunions des Alcooliques anonymes, soi-disant pour « en faire un homme ».

Cette escapade au bord d’un loch vire rapidement au cauchemar. Douglas Stuart narre en alternance les évènements qui ont eu lieu au cours de cette fin de semaine fatidique et les mois qui l’ont précédée, créant une tension croissante qui nous a fait dévorer d’une traite la dernière centaine de pages. Seul bémol à noter : la traduction des dialogues dans un argot qui les rend parfois difficiles à comprendre. Mais l’histoire en vaut tellement le coup qu’on finit par surmonter cet inconfort et se laisser happer par l’intrigue. Il ne reste qu’à souhaiter que l’écrivain poursuivre sur sa lancée et continue d’entrebâiller cette lucarne sur une ville et un milieu dont il est devenu l’un des plus talentueux conteurs.

Amours et autres obsessions

Mille et une façons d’aimer tragicomiques

Amours et autres obsessions

Liane Moriarty (traduit de l’anglais par Béatrice Taupeau)

Albin Michel

461 pages

7,5/10

Si l’on se plaît autant dans les romans de l’Australienne Liane Moriarty, c’est sans doute pour ce mélange subtil d’humour et de psychodrame qui fait de ses histoires des réflexions drôles et savoureuses sur la vie et les relations. Ce roman est l’un de ses premiers, écrit en 2011 et traduit tardivement dans la foulée de l’immense succès de ses titres précédents ; et on peut dire sans hésitation qu’il fait partie de ses meilleurs à ce jour, justement en raison de ce savant dosage de tragicomédie dont elle a le secret.

Ellen est une hypnothérapeute de 35 ans – un métier qui lui vaut bien des railleries. Célibataire, elle vient de rencontrer un charmant géomètre sur l’internet et flotte sur le nuage des débuts de relation. Quand son petit ami lui révèle qu’il est harcelé depuis trois ans par une ancienne partenaire, plutôt que d’être effrayée par cette nouvelle, Ellen s’en trouve curieusement intriguée. À mesure que se développe leur relation (meublée de multiples rebondissements, cocasses et hilarants), on entre dans la tête de la harceleuse qui narre sa propre histoire en parallèle.

Liane Moriarty pose un regard de fin psychologue sur l’amour sous toutes ses formes – et ses folies, car « l’amour est une forme de folie », écrit-elle par la bouche de l’un de ses personnages. Mais se remet-on jamais de ses anciennes blessures amoureuses ? C’est bien là la question qu’elle pose tout en réfléchissant entre les lignes à ce que signifie d’être en couple, d’aimer et de se laisser aller au bonheur.

— Laila Maalouf, La Presse

Pleine et douce

Au début était Ève

Pleine et douce

Camille Froidevaux-Metterie

Sabine Wespieser éditeur

224 pages

6,5/10

En France, les philosophes n’ont pas peur de prendre la plume pour se frotter à la fiction. Camille Froidevaux-Metterie vient de se joindre à ce club sélect. Philosophe et professeure de science politique, auteure de plusieurs essais (dont son plus récent, Un corps à soi), elle fait paraître un premier roman qui aborde des thèmes qu’elle a déjà abordés sur un plan plus théorique : le corps féminin, la condition des femmes, les rapports de pouvoirs...

Le point de départ de Pleine et douce : la naissance d’une petite fille, Ève la bien-nommée, conçue grâce à la procréation assistée. Sa mère, Stéphanie, voulait un enfant, mais pas la vie de couple qui vient avec.

Comme dans la Belle au bois dormant, des fées se penchent sur le berceau de la petite. Tour à tour, l’auteure fait parler les figures féminines qui entourent Stéphanie. À travers leurs mots, ce sont toutes les facettes de la vie des femmes, à tous les âges, qui sont abordées : maternité, relations amoureuses, sexisme, violence, acceptation de soi... Un chœur féminin dans lequel même la voix du bébé s’exprime et partage ses observations (parfois rigolotes) sur ce nouveau monde qui l’accueille.

En toile de fond : l’idée de la transmission. Entre les mères et les filles, bien sûr, mais aussi à travers d’autres liens, choisis ceux-là, et qui sont tout aussi importants dans la vie des femmes.

Sur le plan du style, très classique, on sent que l’essayiste n’est pas très loin. Normal, c’est un premier roman. Camille Froidevaux-Metterie intellectualise beaucoup et on sent parfois les concepts derrière ses personnages. Mais ce premier roman est assez réussi pour souhaiter que la philosophe en écrive d’autres.

— Nathalie Collard, La Presse

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