Edith Cyr et Louise Gratton

Marathoniennes du changement

Quand on parle d’influenceuses, on pense souvent à la gloire éphémère et à la superficialité. Pionnières engagées respectivement dans l’habitation communautaire et la protection des milieux naturels, Edith Cyr et Louise Gratton ont quant à elles profondément et durablement marqué leur milieu sur des décennies.

Voilà plus de 40 ans qu’Edith Cyr cultive les projets d’habitation communautaire. Sous sa houlette, l’organisme d’économie sociale Bâtir son quartier, dont elle est directrice générale depuis sa création en 1994, a fait mûrir 450 projets et quelque 15 000 unités d’habitation, devenant une référence en la matière au pays.

Sans relâche, elle a fédéré les acteurs politiques, communautaires, institutionnels et privés autour de chantiers visant à soutenir les ménages moins nantis et à préserver les patrimoines bâtis locaux. Parallèlement, elle préside le Conseil d’économie sociale de l’île de Montréal, coordonne le Fonds d’investissement de Montréal et siège au sein d’un éventail de conseils d’administration municipaux et provinciaux. Entre autres. Bref, imprimer son CV épuiserait la cartouche de votre imprimante...

Mais à quoi carbure Mme Cyr pour faire fleurir, avec ses équipes, autant de projets sur un si long terme et tant de fronts ? « Dès le départ, je voulais intervenir dans le communautaire et pour le collectif, me permettant de travailler sur les inégalités et l’iniquité, mais aussi de voir les résultats se matérialiser. Cela rallie aussi le social et l’économique, me permettant d’être une entrepreneure qui répond à des besoins sociaux », confie celle qui ne se lasse pas de voir des résidants prendre le contrôle de leur milieu de vie, au gré de projets toujours plus imposants.

Au centre de l’échiquier, Edith Cyr s’évertue à concilier des participants de tous les secteurs et à démontrer que ces modes de logement constituent une pierre d’assise sociale. « On doit changer les mentalités, trouver des partenariats. Oui, ça prend de l’énergie, de la persévérance, de la détermination », dit-elle.

« L’habitation communautaire, c’est un investissement, c’est préventif et pas seulement une dépense. Cela permet aux gens de contrôler leurs conditions de vie, d’avoir des citoyens actifs et contributifs. »

— Edith Cyr

Témoin privilégiée de l’évolution du secteur, elle a notamment pu observer la solidification des liens entre ces projets communautaires et les promoteurs privés. « Il y avait des préjugés de part et d’autre, mais on s’est mutuellement démystifiés et nous avons trouvé des intérêts communs », se réjouit-elle.

Bien sûr, il n’y a pas de réalisations sans obstacles, inévitables sur un si long terme. Le retrait des contributions du gouvernement fédéral, dans les années 1990, en fut un de taille, franchi avec résilience et créativité. Aujourd’hui, la recherche de financements récurrents demeure l’un de ses chevaux de bataille. « Il y a encore du chemin à parcourir. Nous avons des programmes à l’année, alors qu’en immobilier, on a besoin de prévisibilité », note-t-elle.

Les années défilent, les défis aussi : la pandémie a corsé l’économie de l’habitation. Mais comme elle l’a démontré depuis des décennies, Edith Cyr n’est pas du genre à se décourager. « Ce n’est pas dans ma nature ! À chaque problème, une solution. J’ai toujours la détermination de dire qu’on a les moyens d’obtenir que chaque Québécois et Québécoise ait un logement décent qu’il est capable de payer. »

Entre carrefours et corridors

Louise Gratton a également l’habitat à cœur ; mais dans son cas, il est question d’habitat naturel. Tout comme Edith Cyr, depuis plus de 40 ans, elle n’a jamais démordu de ses aspirations. Biologiste et consultante en écologie et en conservation, elle a travaillé auprès de divers organismes avant de cofonder Corridor appalachien à l’aube des années 2000. Sa vocation : protéger les milieux naturels de la région des Appalaches du Sud québécois, tout en connectant des aires préservées pour la faune et la flore. Présidente de Nature Québec depuis 2017, elle lutte pour que la biodiversité ait voix au chapitre dans l’aménagement du territoire par le secteur public ou privé.

« J’avais constaté qu’il ne restait que neuf grands massifs de 100 km2 totalement intacts entre le Vermont et la Matapédia, dont celui des monts Sutton, se souvient-elle. Je me suis dit qu’il fallait absolument protéger ce milieu, me rendant compte que même 100 km2 n’étaient pas suffisants pour bien des espèces, comme l’original ou le lynx roux. Si on construit autour, on a une perte de biodiversité. Il faut que les populations soient capables d’échanger avec le Vermont et le parc du Mont-Orford, d’où l’idée de créer un corridor. »

S’amorce alors un tissage de partenariats pour fédérer les groupes de conservation locaux, les propriétaires terriens et les municipalités. L’organisme devient un modèle du genre, un influenceur au vrai sens du terme : « Ce qui me rend fière, ce n’est pas tant mes accomplissements, mais plutôt quand je vois des gens à qui je propose des actions, qui les font et les réussissent. Ça me garde motivée ! », lance celle qui a catalysé la Coalition montérégienne ou encore Horizon Nature Bas-Saint-Laurent, organismes homologues.

Au fil du temps, elle a aiguisé sa capacité à convaincre auprès des municipalités, des propriétaires et à réduire les empreintes des promoteurs.

« Le seul pouvoir qu’on a, c’est un pouvoir de persuasion. Mais les gens aiment beaucoup leur coin de nature, et plusieurs propriétaires nous contactent, car ils préfèrent nous céder ou nous vendre leur terrain à tarif préférentiel. »

— Louise Gratton

Résultat : pendant qu’Edith Cyr assurait à près de 15 000 foyers des logements abordables et participatifs, Louise Gratton protégeait à perpétuité 16 200 hectares dans les Cantons-de-l’Est.

Aujourd’hui, elle continue d’assembler les pièces de son casse-tête environnemental, créant toujours plus de connexions pour la création de couloirs qui favoriseront les migrations animalières, y compris en assurant une coordination et un arrimage avec les projets semblables lancés aux États-Unis. Lorsque le projet d’autoroute 85 fut lancé dans le Témiscouata, elle a saisi son bâton de pèlerin et convaincu le ministère des Transports d’aménager des passages fauniques.

« Avec les changements climatiques, ces corridors seront essentiels. Le Québec sera un refuge climatique pour beaucoup d’espèces », rappelle Mme Gratton. Est-elle optimiste pour l’avenir ? « A-t-on vraiment le choix ? Si Nike n’avait pas inventé le slogan “Just do it”, c’est moi qui l’aurais fait ! », badine-t-elle.

Qui est Edith Cyr ?

• Née en 1957 à Passes-Dangereuses, au Saguenay–Lac-Saint-Jean

• Titulaire d’un DEC en assistance sociale du cégep de Jonquière

• Directrice générale de Bâtir son quartier

• Présidente de l’Association des groupes de ressources techniques du Québec de 2001 à 2018

• Présidente du Conseil d’économie sociale de l’île de Montréal et coordonnatrice du Fonds d’investissement de Montréal

Qui est Louise Gratton ?

• Née en 1954 à Saint-Lambert, près de Montréal

• Titulaire d’une maîtrise en biologie de l’UQAM

• Cofondatrice de Corridor appalachien

• Présidente de Nature Québec

• Collaboratrice et incitatrice auprès d’organismes similaires au Québec

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.