Critique de Danger, d’Evelyne Brochu

Poèmes dans un goût ancien (mais pas seulement)

Plus confiante qu’à son premier essai, Evelyne Brochu revient avec une nouvelle collection de chansons romantiques au charme suranné et aux envies pop mieux assumées.

Ce deuxième album de la comédienne et désormais chanteuse Evelyne Brochu a, comme son premier, un air de déjà entendu. Qu’elles flirtent avec la pop eigthies ou la pop romantique à la française des années 1960, ses chansons possèdent toutes un je ne sais quoi de familier sur le plan mélodique, en raison du ton général ou de la manière. Quelque chose qui fait qu’on adhère sans effort.

Une grande partie du mérite revient à Félix Dyotte (autrefois de Chinatown, aussi collaborateur de Pierre Lapointe), qui demeure le principal architecte du Danger. Proche d’Evelyne Brochu depuis le début de l’âge adulte, l’auteur, compositeur et réalisateur lui sert encore une fois des airs empreints d’une élégante mélancolie et les dépose dans des écrins charmants, parfois sensuels. Trop habile pour se contenter d’emprunts directs, il évoque le passé sans renier sa sensibilité contemporaine.

Evelyne Brochu elle-même s’affirme davantage sur ce deuxième disque. Ça se remarque dans son chant plus assuré, dans l’approche parfois plus franchement pop (Une autre vie), mais aussi dans les paroles. Elle signe en effet une grande partie des textes, dévoilant une plume d’une grande finesse. Que le verbe tende vers les élans poétiques ou la simplicité, tout ici relève de l’évidence, tout coule de source.

Il y a de la couleur et des dorures discrètes dans ces chansons-là. Des nuages qui planent aussi. Surtout, il y a une sensibilité communicative, plus impudique qu’auparavant, mais sans être crue, et un je ne sais quoi de confortable et d’accueillant malgré le vague à l’âme. Ce disque accompagnera magnifiquement les journées d’automne qui s’en viennent et on pressent qu’il nous suivra bien au-delà.

Chanson

Le danger

Evelyne Brochu

Bravo Musique

7,5/10

Critique de Magic 3, de Nas

Constante réussite

Sixième et dernière collaboration de Nas avec le beatmaker Hit-Boy, Magic 3 est une leçon de longévité.

Nas sort des albums plus vite que son ombre. Si Magic 3 s’appelle ainsi, c’est qu’il y a eu avant Magic (2021), puis Magic 2 (plus tôt cette année). Une autre trilogie s’était conclue l’an dernier, celle des King’s Disease (2020, 2021 et 2022). Bref, ça fait maintenant six albums en trois ans pour Nas.

Ce qu’il y a de bien, c’est que le New-Yorkais ne perd pas de son statut en ajoutant ces nouvelles œuvres à sa discographie déjà bien fournie. Il ne fait que confirmer sa domination (tout ce qu’il a fait n’est pas génial, mais la plupart de ses réalisations sont fortes) en tant que l’un des meilleurs conteurs du rap.

Cette épopée de trois ans a été possible grâce à la collaboration entre Nas et le beatmaker Hit-Boy (Beyoncé, Travis Scott, Lil Wayne). Ce dernier a annoncé que Magic 3 serait le dernier de leurs albums ensemble. Tant mieux. Nous sommes d’avis qu’il faut savoir s’arrêter au bon moment.

Sur Magic 3, Hit-Boy amène du boom bap, de la soul, du funk. L’échantillonnage permet des motifs de voix old school qui accompagnent le rap de Nas à merveille. Les pièces TSK, Superhero Status, Sitting With My Thoughts (une prière pour les OG et les young bosses) sont parmi nos favorites, chacune présentant une énergie différente, mais atteignant chaque fois le cœur de la cible. Seule collaboration du disque, Never Die, avec Lil Wayne, est également réussie.

Le rap de Nas reste bien ancré dans une autre époque, sans non plus éviter à tout prix de se moderniser. À 50 ans, il a participé à un âge d’or qu’on ne retrouvera sûrement jamais, mais qu’il parvient à faire perpétuer d’une certaine façon, en maintenant une présence pertinente (il n’est pas le seul, bien sûr !).

La proposition du rappeur de la côte Est n’est pas forcément rafraîchissante, on n’apprend rien de nouveau, mais elle est une leçon d’efficacité et de longévité. En faisant plus avec moins, Nas offre un rap qui ne se fie pas à des productions chargées pour l’appuyer. Les productions sont répétitives, tendent un peu parfois vers la facilité, mais le rappeur fait évoluer ses récits avec un flow impeccable.

Si la collaboration avec Hit-Boy se conclut ici, nous espérons voir Nas poursuivre encore son chemin.

Hip-hop

Magic 3

Nas

Mass Appeal

7,5/10

Critique de La source, de Zal Sissokho

Revenir à soi et aux autres

Retourner aux sources veut dire redonner toute la place à la kora pour Zal Sissokho, qui signe un sixième album posé, marqué par une fabuleuse collaboration avec Élage Diouf.

Revenu de sa très convaincante aventure flamenco en compagnie de la guitariste Caroline Planté (Kora Flamenca, 2020), Zal Sissokho remet sa scintillante kora au cœur de sa musique. Son tout récent disque s’intitule La source, mais il ne faudrait pas imaginer que l’approche du griot sénégalais et de son réalisateur, Élage Diouf, est traditionaliste pour autant. Elle est plutôt moderne, de cette basse sautillante aux pulsations tribales des percussions en passant par les accents de guitare tonique.

Il y a quelque chose de familier dans ces musiques qui sont profondément ancrées dans la culture mandingue. On en reconnaît autant les rythmes que des constructions harmoniques typiques. Or, il y a aussi quelque chose de très personnel, notamment dans la rythmique du chant, que Zal Sissokho occupe l’espace seul ou qu’il partage le micro avec d’autres. Son duo avec Djely Tapa (Labannya), chanteuse malienne aussi installée à Montréal, donne d’ailleurs lieu à un fort bel échange.

Revenir à la source, c’est aussi aller vers l’autre pour le koriste, comprend-on : quatre des neuf morceaux de son nouveau disque sont en fait des collaborations – deux avec Djely Tapa, une avec Diely Mori Tounkara (un autre maître de la kora, venu du Mali) et Élage Diouf lui-même. Ce dernier apparaît sur Kela, morceau empreint de nostalgie et pièce maîtresse du disque, où les voix de l’un et de l’autre se répondent, avec passion et humanité.

Ce sixième disque de Zal Sissokho est de ceux qui se dévoilent au fil des écoutes, qui en révèlent la force tranquille et les fourmillements percussifs qui, très souvent, sont relégués au second plan et constituent des tapis vivants sur lesquels volettent les notes de kora. Seul La dignité, le dernier morceau du disque, dont le texte est en français (dit par Gilbert Dupuis Poir), détonne : on dirait un extrait de conte pour enfants qui arrive comme un cheveu sur la soupe…

Folk mandingue

La source

Zal Sissokho

Disques Nuits d’Afrique

6/10

Critique de 2038, de Gros Soleil

Pour l’amateur de rock spandex

Gros Soleil trempe ses sonorités dans le rock kitch des années 1980 pour dénoncer le No Future de l’humanité

À la suite des écoutes des premiers extraits sortis dans les dernières semaines, nous avions convenu – et écrit dans ces pages – que Gros Soleil proposait un rock trempé « dans la nostalgie des belles années de Mötley Crüe, de Poison et de Kiss ».

Arrive donc ce 2038, un album qui aurait pu être titré 1988, car l’ensemble de l’œuvre – 10 compositions – plagie à merveille les coups de pick de guitare de C.C. DeVille et de baguettes de Tommy Lee. Ah, cette décennie musicale où le fixatif et le spandex étaient aussi importants pour les groupes que la création d’un bon riff ou d’un bon refrain accrocheur !

Parlant de refrain accrocheur : difficile de faire mieux que celui entendu sur Banff. « J’fume du pot, j’mange du mush, Ban-Ban-Banff/Je pète une coche, je vide mes poches, Kelowna », crie Dominic Lamoureux, chanteur et guitariste du quatuor, où œuvrent également les expérimentés Christian Boileau, Sébastien Boucher ainsi que son frère, Frédéric.

Pour accompagner ces musiciens de talent, la réalisation a été confiée à Steeven Chouinard (Le Couleur, Choses Sauvages, Valence, Jimmy Hunt). En résulte la suite logique d’Occulture populaire, leur premier disque paru en pleine pandémie. Les gars offrent à nouveau des pièces rock au kitch assumé. L’amour pour le rock d’aréna s’entend !

En portant attention au texte, on comprend finalement pourquoi Gros Soleil a titré cet album d’une date futuriste : le groupe pose en effet son regard sur l’avenir de l’Humain, ou plutôt sur son non-avenir. La crise environnementale, la non-responsabilité des gens, l’individualisme et les dérives de la société sont ainsi exposés, dénoncés et décriés. Non, ce n’est pas rose. Tout brûle. No Future. Et pendant ce temps « on boit des cafés lattés pas équitables/Avec du lait d’vaches exploitées dins étables/Du lait d’amande qui siphonne l’eau potable », entend-on sur Montagne bleue.

Un groupe engagé qui fait dans le rock spandex ? Oui, on peut dire ça de Gros Soleil.

Rock

2038

Gros Soleil

Indica

6,5/10

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