Microplastiques dans le fleuve Saint-Laurent

Un gros miniproblème

C’est un fléau à peine visible à l’œil nu. À travers l’oculaire d’un microscope, notre photographe a capté des fragments d’un monde miniature de pollution. Zoom sur les microplastiques du fleuve Saint-Laurent.

Québec — Tuâń Anh Tô est un détective. Un détective de l’infiniment petit.

Dans la pénombre de la salle des microscopes de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), il ausculte minutieusement le contenu d’une boîte de Petri. Muni de pinces de dissection, il soulève délicatement une minuscule sphère blanchâtre couverte de sédiments et la dépose sous la loupe d’un microscope.

« On dirait la planète du Petit Prince », lance-t-il en fixant la photo qui vient d’être captée à travers la lentille par l’objectif de La Presse.

Ce globe miniature est une microbille. Elle a été repêchée dans le fleuve Saint-Laurent à la hauteur de Trois-Rivières dans le cadre d’un projet de recherche sur les microplastiques.

Les microplastiques sont des particules ayant une taille allant de 0,1 micromètre (µm) à 5 millimètres (mm).

Il peut s’agir de microbilles utilisées jusqu’il y a tout récemment comme abrasifs dans les produits de soins corporels comme le dentifrice, de fibres qui proviennent des textiles comme le polyester ou de « fragments » issus de produits de plastique qui se sont dégradés.

Tuâń Anh Tô et ses confrères ont passé un nombre incalculable d’heures à isoler un par un et à classer les microplastiques récoltés dans le fleuve en 2021. Puis, ils ont analysé la composition moléculaire de chaque particule. Un véritable travail de moine.

Chaque pièce est unique, comme un flocon de neige. À travers un microscope possédant un potentiel d’agrandissement jusqu’à 1000 fois, les spécimens font penser à des objets qui flottent dans le cosmos. Une beauté troublante.

« Je ne savais pas que ça ressemblerait à ça. C’est wow pour le côté artistique […], mais ce n’est pas wow pour le côté nature. »

— Tuâń Anh Tô, technicien à l'INRS

De la laveuse au fleuve

Les microplastiques sous forme de débris marins peuvent être consommés par différents organismes et se retrouver dans la chaîne alimentaire.

Les microplastiques analysés par Tuâń Anh Tô ont été repêchés dans le cadre d’un projet de recherche de l’INRS dirigé par la professeure Valérie Langlois, en collaboration avec son étudiant au postdoctorat Juan Manuel Gutierrez Villagomez.

Au cours de l’été 2021, son équipe a sillonné le fleuve en bateau entre Montréal et Trois-Pistoles afin de recueillir des échantillons sur 11 sites. Deux types de filets étaient accrochés au bout de l’embarcation pour draguer l'eau pendant 20 minutes.

« On a trouvé des microplastiques à toutes les stations d’échantillonnage », résume la chercheuse titulaire de la Chaire de recherche du Canada en écotoxicogénomique et perturbation endocrinienne.

À chaque station, six échantillons ont été récoltés dans une couche de 50 centimètres à partir de la surface. Pour chaque échantillon de 1 litre cueilli, de 200 000 à 300 000 litres d’eau ont été filtrés.

Résultat après l’analyse des 66 échantillons : tous contenaient de quelques-unes jusqu’à des centaines de particules de microplastique.

« Il y avait vraiment beaucoup de fibres, ça nous a surpris », dit-elle.

Les fibres proviennent de textiles synthétiques composés de matières dérivées du pétrole comme l’élasthanne, le polyester ou le nylon et qui ont été lessivées à travers les eaux usées.

« Peut-être qu’on a trouvé plus de fibres parce que c’est très léger. Ça a peut-être une propriété de flottabilité plus grande que celles d’autres microplastiques. »

« Les fibres, quand on y pense : on lave notre linge tous les jours, tout le monde, tout le temps. »

— Valérie Langlois, chercheuse titulaire de la Chaire de recherche du Canada en écotoxicogénomique et perturbation endocrinienne

Les microplastiques peuvent se dégrader encore davantage et devenir des nanoplastiques.

Les nanoplastiques mesurent quant à eux de 0,001 à 0,1 µm. Ce sont donc des morceaux inférieurs au millième de millimètre.

« La science, pour les microplastiques, elle est rendue au point qu’on les a trouvés, qu’on a essayé de trouver des effets néfastes sur la santé et qu’on n’en trouve pas encore clairement », explique la professeure Langlois. « Les nanoplastiques, fort probablement qu’ils ont des impacts sur la santé parce qu’ils rentrent dans les cellules. »

Ambassadeurs

Leur travail de caractérisation est maintenant terminé, mais il faudra patienter pour savoir à la hauteur de quelle ville, dans le fleuve, les concentrations de microplastiques étaient les plus élevées. Les résultats de cette vaste expérience devraient être soumis à une revue savante en 2023.

Le projet de recherche a été lancé par l’OBNL Stratégies Saint-Laurent. Le projet visait à tester l’efficacité d’un filet inventé par la jeune pousse québécoise Poly-Mer. « Le but, c’est de le mettre derrière un kayak ou un canot. Les gens, pendant qu’ils font leurs activités sportives, pourraient, tant qu’à y être, enlever les microplastiques », explique la professeure Langlois.

Lorsqu’elle a été contactée, Valérie Langlois affirme avoir été séduite par le potentiel de ce genre de démarche.

« Est-ce que ça va vraiment laver l’eau comme le chantait Robert Charlebois ? Peut-être pas beaucoup. Mais l’idée, c’est tout positif. Quand on parle de ce que les citoyens peuvent faire, d’avoir un tel filet, tout le monde va te demander : “Mais pourquoi tu as un filet comme ça ? C’est quoi, un microplastique ?” De cette façon, ils deviennent des porte-parole de la vulgarisation scientifique de la problématique. »

Le Saint-Laurent, l’un des pires cours d’eau étudiés

Le fleuve Saint-Laurent rivalise avec les cours d’eau les plus pollués aux microplastiques sur la planète. Dès 2014, une équipe de scientifiques de l’Université McGill s’est intéressée à la présence des microbilles de polyéthylène de moins de 2 mm dans les sédiments du fleuve dans un tronçon d’eau douce de 320 kilomètres compris entre le lac Saint-François et la ville de Québec. La densité la plus élevée observée sur un même site était de magnitude comparable à celles des fonds océaniques les plus contaminés de la planète. Des scientifiques – toujours de l’Université McGill – se sont ensuite penchés sur l’ensemble des types de microplastiques, cette fois dans les sédiments et l’eau de surface du fleuve. Selon les résultats publiés dans la revue Environmental Pollution en mai 2020, la concentration moyenne de microplastiques dans les sédiments et l’eau de surface du fleuve Saint-Laurent serait de la même ampleur que celles mesurées près des villes les plus peuplées de Chine.

10 millions

Une étude publiée début novembre dans Nature Communications a révélé que les baleines bleues vivant au large de la Californie absorberaient jusqu’à 10 millions de morceaux de microplastique par jour.

Source : Agence France-Presse

2018

En juillet 2018, le gouvernement du Canada a banni la fabrication et l’importation des microbilles dans les articles de toilette comme les nettoyants pour la peau ou le dentifrice. Les microbilles utilisées dans le cadre de processus industriels sont toutefois exclues.

Source : gouvernement du Canada

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