Deuxième vague

La surmortalité allume un « feu jaune » à Québec

Québec — La hausse des décès au Québec par rapport aux dernières années est nettement plus élevée que le nombre des morts attribuables à la COVID-19, depuis le début de la deuxième vague. Une surmortalité intrigante qui a allumé un « feu jaune » sur le tableau de bord du ministère de la Santé et des Services sociaux, a appris La Presse.

Le DHoracio Arruda a demandé une analyse sur le sujet il y a un mois, mais il est toujours incapable d’expliquer ce phénomène que La Presse met en lumière depuis quelques semaines déjà. Le directeur national de santé publique s’est borné à évoquer cette semaine la possibilité que « des gens se présentent moins aux urgences par peur » et que, par la suite, ils meurent faute de soins.

Lors de la première vague, la hausse des décès observée au Québec par rapport à la moyenne des dernières années, soit la surmortalité, s’expliquait entièrement par les décès causés par la COVID-19. Le gouvernement Legault plaidait d’ailleurs au printemps que la similarité des deux courbes prouvait que le Québec comptabilisait bien les morts dues à la pandémie, contrairement à d’autres États.

Or la surmortalité est maintenant supérieure au nombre des décès attribuables à la COVID-19 depuis le début de la deuxième vague, en septembre. Une mise à jour des données de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) l’illustre une fois de plus, et la tendance semble même s’accentuer.

Du début septembre au 7 novembre, 1099 personnes de plus que la moyenne des cinq dernières années sont mortes. Le gouvernement a pourtant rapporté 677 décès attribuables à la COVID-19 durant cette période. Il s’agit d’un écart significatif de 422 décès, soit 62 % de plus.

Cette surmortalité se concentre chez les 70 ans et plus. Depuis le début septembre, on dénombre 948 décès chez les aînés de plus que la moyenne des cinq dernières années. Or la COVID-19 a fauché 624 vies dans ce groupe d’âge, selon le bilan officiel.

Contrairement à la première vague, la surmortalité ne se concentre plus essentiellement dans la région métropolitaine. Les données de l’ISQ montrent que la surmortalité s’observe surtout dans les régions hors du Grand Montréal.

Pour la période du début de septembre au 17 octobre – date des données les plus récentes pour les décès par régions –, on dénombre 203 décès de plus que la moyenne dans le Grand Montréal et 395 dans le reste du Québec.

Benoît Mâsse, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, constate lui aussi une surmortalité supérieure aux décès liés à la COVID-19 depuis le début de septembre. « Et ça continue de monter », observe-t-il. Il est fort possible, selon lui, que ces morts soient le résultat du délestage d’activités chirurgicales dans les hôpitaux.

Il y a toujours 130 000 personnes en attente d’une opération, dont le tiers depuis plus de six mois. Mardi, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, a reconnu que les hôpitaux « roul[ai]ent à 80 % » par rapport à la normale – ils étaient à 30 % dans le pire de la première vague, ce qui est à l’origine de la longue liste d’attente. « Pour être capable de rattraper les 130 000, il faudrait rouler à 115 %, à 120 % », a-t-il précisé. Or il craint que l’on ne descende à 60 % si le réseau continue d’être forcé d’envoyer des infirmières en renfort dans des résidences privées pour aînés aux prises avec des éclosions importantes.

Démographe à l’ISQ, Chantal Girard relève que la surmortalité que l’on présente pourrait être un peu surestimée. « Le fait de travailler sur une moyenne cinq ans [pour le nombre de décès totaux] a l’avantage de stabiliser la courbe, car elle présente moins de variations. Par contre, ça a l’inconvénient de probablement donner une ligne de comparaison qui est un peu basse, dû au fait que la population augmente et, surtout, vieillit », affirme-t-elle, rappelant que les décès croissent d’à peu près 2 % par année.

Elle n’a toutefois pas d’autres propositions pour établir une comparaison. « C’est ça qu’une analyse de surmortalité complète va venir faire », a-t-elle dit. Elle a souligné qu’il incombait à la Santé publique, et non à l’ISQ – bien qu’il compile les données –, de faire cette analyse. Elle ne peut donc commenter nos conclusions. Le Ministère n’a pas donné suite à nos demandes au cours des dernières semaines.

Le 5 novembre, le DArruda répondait en conférence de presse qu’il avait demandé « des tableaux et une analyse » pour comprendre le phénomène. « C’est quelque chose qu’on doit surveiller », ajoutait-il.

Un mois plus tard, jeudi dernier, il n’avait toujours aucune explication claire. « Il faudrait que je pousse des analyses encore plus importantes avec d’autres pour identifier les causes potentielles. Est-ce qu’il y a des gens qui se présentent moins aux urgences par peur, là ? Il faudrait que je vérifie. Moi, je n’ai pas l’information », a-t-il répondu.

Il a ajouté : « Je vais aller faire les vérifications avec nos experts. Parce que des données de surmortalité, là, ça ne s’analyse pas… Il y a des hypothèses qui peuvent être faites, mais ça prend des validations. »

Il a terminé son intervention sur une promesse : « Je m’engage à vous revenir personnellement sur les données de surmortalité. » Il n’a pas donné suite à cette promesse pour le moment.

Inquiétude pour les hôpitaux

Le bilan de la progression de la COVID-19 a accentué les craintes sur un possible débordement des hôpitaux hors du Grand Montréal. Québec a rapporté 1345 nouveaux cas et 28 décès de plus.

On compte actuellement 761 personnes hospitalisées, dont 97 aux soins intensifs. Depuis une semaine, le nombre de personnes se trouvant à l’hôpital a ainsi augmenté de 92, soit 14 %.

« Contrairement aux dernières semaines, où le portrait global de la pandémie affichait une relative stabilité, nous constatons ces derniers jours des signes inquiétants d’aggravation de la situation, notamment du côté des hospitalisations dans certaines régions. »

— Christian Dubé, ministre de la Santé et des Services sociaux

Dans son rapport hebdomadaire sur la situation dans les hôpitaux de la province, l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) réitère ses inquiétudes. Hors du Grand Montréal, « un dépassement des capacités hospitalières dédiées en lits réguliers ne peut toujours pas être exclu ». L’INESSS note une hausse marquée des cas depuis une semaine, notamment chez les 80 ans et plus, les plus vulnérables.

Devant ces inquiétudes, Québec a annoncé vendredi que quatre secteurs de l’est du Bas-Saint-Laurent passeront en zone rouge, soit le palier d’alerte maximale, à partir de lundi.

Ainsi, au Québec, 93 % des citoyens se trouvent maintenant en zone rouge.

— Avec Henri Ouellette-Vézina, La Presse

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