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quand l’art carbure au sport

La musculature de l’athlète. Le corps en mouvement. L’émotion au cœur de l’action. Les couleurs des paysages. Le sport est une source inépuisable d’inspiration pour de nombreux artistes, et ce, depuis toujours. Nous avons rencontré cinq artistes d’ici, inspirés par l’univers sportif, qui nous parlent d’art et de sport.

Un reportage de Sophie Allard

France Malo

« Ça vient du cœur et des émotions »

Beloeil — Quand on pousse la porte de la galerie-atelier de l’artiste peintre France Malo, c’est d’abord l’abondance de couleurs vives qui saute aux yeux.

Dans ses nombreux tableaux, accrochés aux murs et disposés pêle-mêle, le sport est omniprésent. La richesse des couleurs, la force des lignes et, à l’occasion, la brillance du polymère semblent donner vie aux cyclistes, coureurs et skieurs qu’elle peint.

« Je dessine des gens en mouvement depuis que je suis toute petite. J’ai toujours été fascinée par le corps humain en mouvement, c’est ma spécialité. J’ai fait beaucoup d’observation et comme j’ai toujours été sportive, je peux ressentir ce mouvement, je suis capable de l’interpréter. Je n’utilise pas de mécanique, ça vient du cœur et des émotions. Le sport est venu naturellement dans mes tableaux. »

Peindre le vélo

Artiste officielle de la Fédération québécoise des sports cyclistes, France Malo est maître en beaux-arts et a été plusieurs fois récompensée. Elle expose un peu partout dans le monde : New York, Vancouver, Paris. Ici aussi, dans les maisons de la culture et divers lieux d’exposition.

Elle est invitée à des événements sportifs comme le Grand Prix cycliste de Québec et de Montréal, le Grand défi Pierre Lavoie (à Mont-Saint-Hilaire) et divers salons du vélo où elle peint en direct devant public. « Ça me permet de faire de belles rencontres, de m’inspirer de l’énergie autour. J’ai peint dehors, sous la pluie, au vent ou au gros soleil. »

Au moment de notre rencontre, elle travaillait sur une toile qui sera exposée au nouveau vélodrome intérieur de Bromont. Elle a aussi peint une toile à la mémoire du jeune cycliste Clément Ouimet, fauché mortellement sur la voie Camillien-Houde en 2017. « Ça a été un travail intérieur intense, hautement émotif. »

« Le sport est généralement associé à l’univers des illustrateurs, boudé par les beaux-arts. Je souhaitais faire entrer l’art sportif dans le milieu des beaux-arts et, du même coup, faire connaître les beaux-arts aux sportifs. J’ai travaillé fort dans les deux sens et je crois que c’est réussi. »

Le sport comme nécessité

À 60 ans, l’artiste est elle-même une sportive insatiable. « Plus jeune, je m’entraînais trois heures par jour. Je faisais de la natation de compétition, je faisais du vélo et je courais une heure. Après, je pouvais créer, je pouvais dormir. Le sport me donne de l’énergie, me calme. C’est une nécessité chez moi. » Souvent seule dans son atelier, elle préfère les sorties sportives en groupe.

Au quotidien, ça a toujours été une bataille entre les deux, souligne-t-elle. « Il m’arrive de me préparer pour aller courir et, sur le point de partir, je mets un pied dans l’atelier et je m’y fais aspirer pour la journée. L’inverse est aussi vrai. »

Peindre peut aussi être très sportif, ajoute-t-elle. « Quand je peins des œuvres de grande taille, c’est un va-et-vient constant. Je fais une ligne, je recule en courant, je mélange ma peinture, je reviens au tableau. C’est très exigeant, j’en sors épuisée. Mais c’est une bonne fatigue. »

« Quand je peins, j’ai l’impression de sculpter. Je travaille intensément la couleur, que je veux structurante. Les couleurs me permettent d’amener mes sportifs dans n’importe quel endroit. » Elle utilise des techniques différentes selon les sujets. « Je fais beaucoup d’acrylique, parce que ça permet d’appliquer plusieurs couches rapidement, ça convient bien aux sportifs. Si les mouvements sont plus lents, comme chez les nageurs, je pourrais utiliser l’huile. J’utilise l’encre de Chine pour mes toiles sur l’architecture, de l’aquarelle pour la nature. »

L’artiste aime jouer avec la lumière avec le polymère. « J’en mets partiellement sur quelques éléments pour faire sortir la troisième dimension. Selon l’éclairage ambiant, on peut voir les cyclistes d’un œil différent. » Elle ajoute à l’occasion de l’aluminium qu’elle coule dans ses tableaux. « Ça me permet de faire des atmosphères, ça donne une luminosité que je n’ai pas avec l’acrylique seule. »

L’environnement, une préoccupation

Son art sportif la mène maintenant ailleurs. Elle s’intéresse de plus en plus à l’environnement.

« Je suis en train de vivre une grosse transformation. Ma peinture sportive va changer d’aspect, c’est clair. Je fais beaucoup de toiles inspirées de l’architecture durable, de l’environnement. Nous sommes tous préoccupés par l’environnement. L’été dernier, plusieurs cyclistes se sont plaints de la chaleur accablante. Ma façon d’être proactive, d’être, c’est de peindre. »

Mais France Malo aura toujours le sport comme passion en toile de fond.

Marc-André J. Fortier

Comme la Coupe Stanley

Knowlton — Marc-André J. Fortier, vous connaissez ? Son nom est pratiquement inconnu du grand public, mais ses œuvres sont vues par des millions de personnes.

C’est lui qui a sculpté dans le bronze les Maurice Richard, Jean Béliveau, Guy Lafleur et Howie Morenz qui trônent devant le Centre Bell depuis 10 ans. L’artiste nous raconte cette expérience, éprouvante et grisante, qu’il a vécue comme la finale de la Coupe Stanley !

Quand il a reçu le coup de fil lui annonçant qu’il avait été choisi par le CH, il a eu un certain vertige.

« C’était le plus gros projet que j’avais eu. Je savais que ce serait un contrat difficile, mais fantastique. J’avais l’occasion de montrer ce dont j’étais capable », dit l’artiste autodidacte qui expose ses œuvres au Canada, aux États-Unis et en France.

Il n’a pas perdu une minute. Il fallait faire vite, il n’avait que huit mois pour remplir ses engagements. C’était peu.

La longueur du bâton

« Je voulais reproduire les joueurs en action, pas figés. Il me fallait étudier leur position sur la glace, la façon dont ils bougeaient, explique M. Fortier, rencontré dans son atelier de Knowlton. J’avais comme informations la grandeur des joueurs, la hauteur des patins, plusieurs photos d’époque, mais il manquait un élément dans mon équation : la longueur du bâton. Je suis allé au Temple de la renommée à Toronto faire de la recherche. »

Howie Morenz mesurait 5 pi 11 po sur patins, tandis que Jean Béliveau mesurait 6 pi 7 po. « J’ai compris pourquoi Morenz semblait traîner sur la glace, tandis que Béliveau travaillait si près du corps. » 

La commande du CH voulait que chaque joueur soit déposé sur une plaque de 4 pi sur 4 pi. « Ça n’aurait pas été réaliste. J’ai demandé des 5 x 6 pour que chacun ait sa patinoire, sa rondelle. Ils ont accepté. »

Fortier a d’abord fait des modèles réduits sur armatures d’acier, devenues les squelettes de Maurice Richard et compagnie. « Quand j’ai montré ça aux membres du comité responsable du projet, ils me regardaient comme si j’étais fou. » Ils ont néanmoins donné leur feu vert. M. Fortier a couvert les armatures d’une pâte à modeler qu’il a façonnée et sculptée jusqu’à satisfaction. « Si un joueur du junior majeur voit mes sculptures, je veux qu’il se dise : “J’aurais peur de jouer contre ces gars-là !” »

L’artiste a dû parlementer, exprimer sa vision des choses. « On insistait pour que je sculpte Maurice Richard avec ces yeux fous qu’il avait parfois. En deux dimensions, ça passe. En trois ? Il aurait eu l’air complètement débile. J’ai proposé de le présenter dans une position très difficile, balayant la rondelle d’un côté avec ses gants mous pendant qu’il frappe un gars de l’autre. »

M. Fortier a lui-même déjà joué au hockey mineur. « J’ai joué quelques années. Avec mon gabarit, je n’étais pas très bon, mais j’étais rapide. Ça m’a quand même aidé pour le projet. Je comprenais ce que ça prend comme concentration, ce qu’on doit regarder. J’imaginais un but lointain, comment ils visaient, comment ils maniaient la rondelle. »

Sept jours sur sept

L’artiste avait 47 jours à consacrer à chacun des joueurs, pour un total de cinq mois. L’Atelier du bronze, une fonderie d’art située à Inverness, demandait ensuite trois mois pour couler le bronze. On y utilise la technique de la cire perdue. « J’ai travaillé sept jours sur sept pendant cinq mois. J’étais souvent à mon atelier dès 6 h le matin et j’en sortais à minuit. Ma blonde de l’époque me préparait des plats que j’engouffrais avec appétit, mais je maigrissais quand même. J’ai perdu plusieurs kilos dans l’aventure. J’étais debout toute la journée à pousser de la pâte, toujours en mouvement. »

Le sculpteur, habitué de donner son 110 %, dit avoir aimé travailler sous pression, avec des conditions strictes, un budget à gérer, un échéancier serré à respecter. « J’aime l’orchestration, la logistique, le travail d’équipe. » À un moment néanmoins, les nerfs de son poignet gauche ont cédé. « J’ai tellement travaillé que mon corps me lâchait. J’ai mis une attelle et j’ai terminé le travail. J’avais 47 ans. J’en ai 57 aujourd’hui, je serais incapable d’avoir cette même énergie aujourd’hui. »

Quand il a vu ses joueurs de hockey, de bronze patiné, il a eu un frisson de fierté : quatre légendes du hockey qu’il avait immortalisées. « On a toujours le rêve de créer une œuvre célèbre, reconnue. Les fans du Canadien de Montréal aiment les statues, ils les ont adoptées », se réjouit-il.

L’an dernier, un partisan déçu de la saison du Bleu-Blanc-Rouge a néanmoins poussé l’audace en couvrant la tête des sculptures d’un sac de papier brun. Un autre a plus tard installé des pancartes à vendre avec la mention « prix réduit » devant chacune d’elles. Les deux incidents ont semé la controverse dans le monde du hockey, plusieurs déplorant le manque de respect envers les joueurs légendaires.

L’artiste, lui, ne s’en formalise pas. Il savait qu’en entrant dans la famille du Canadien de Montréal, son travail serait exposé à des fans à l’épiderme sensible. « Je comprends la symbolique. » Il sourit. Plusieurs de ses œuvres – sculptures et toiles – sont d’ailleurs une satire sociale, fantaisiste, du monde dans lequel on vit.

Le projet lui a donné une nouvelle visibilité, une porte ouverte pour d’autres contrats. On lui doit les deux sculptures satiriques Le caniche français et Le carlin anglais, au 500, Place-d’Armes, dans le Vieux-Montréal. On lui doit aussi la fontaine de bronze du square DIX30 à Brossard. « J’aime le bronze, c’est lié à mon caractère. J’aime l’idée des choses qui perdurent dans le temps. J’aime l’art contemporain qui demande un challenge technique, qui a une justification, qui raconte une histoire. »

Arts

L’amour du sport

Trois artistes nous racontent leur coup de foudre avec le monde du sport

Pauline Paquin

Des enfants qui bougent

Ancienne infirmière scolaire, Pauline Paquin, 66 ans, peint à l’huile depuis plus de 30 ans les joies de l’enfance et la nostalgie de « cette merveilleuse époque où l’on jouait dehors ». Ses petits personnages sans visage, aujourd’hui bien connus, jouent au hockey, au golf, font du ski, de la planche à neige ou du vélo. On peut les voir sur des cartes de souhaits et des casse-têtes. Ils sont aussi très appréciés des collectionneurs. « Dans les années 90, des gens avaient passé la nuit devant une galerie de Calgary pour se procurer mes œuvres. J’avais tout vendu en 30 secondes », raconte-t-elle.

« Je viens d’une famille de 12 enfants, on a beaucoup joué dehors. On avait seulement une paire de patins qu’on se prêtait, on glissait sur des boîtes de carton. On bougeait tout le temps, le sport est inné en moi. Ça ressort bien entendu dans mes toiles. » Tout comme son amour du Canadien de Montréal. « Quand j’étais jeune, j’écoutais le hockey, d’abord à la radio. Je connaissais le nom de tous les joueurs ! »

Mme Paquin, qui a sa galerie à Saint-Sauveur, fait du vélo, de la danse aérobique, elle joue au golf et au tennis. « Ça va toujours être une passion pour moi de peindre des scènes de sport », dit-elle, en précisant qu’elle tend néanmoins vers un style plus contemporain. Elle peint maintenant à l’acrylique, fait du collage. Sa plus grande fierté ? « D’avoir un style unique, reconnaissable. Mais surtout d’être encore passionnée. Je serais incapable de prendre ma retraite, c’est toujours en ébullition dans ma tête. » 

Brian Finn

Un trait de crayon distinctif

Brian Finn, 33 ans, est designer graphique et illustrateur. Il a joué au basketball collégial AAA et pour l’Université Concordia. « Je suis un fan des Bulls de Chicago. » Il dessine au crayon HD des artistes qui l’inspirent, des sportifs qu’il admire. Il fait surtout des portraits.

« J’aime dessiner les gens quand ils sont au sommet de leur carrière. Je les dessine relativement jeunes, à partir d’une photo sélectionnée, explique-t-il. J’ai mon propre style, un trait de crayon distinctif. Souvent, les gens pensent d’abord qu’il s’agit d’une photo. Je trouve que c’est un beau compliment. »

Certaines illustrations exigent plus de temps. « Dessiner le sport, ça vient avec plus de détails, ça apporte un autre aspect à mon travail. Pour l’illustration des Bulls, j’ai dessiné jusqu’aux petits points dans les jerseys des joueurs. Ça m’a pris environ 12 heures. » 

Il participe régulièrement au Festival Mural, il expose dans des galeries. « J’ai été le premier artiste à exposer solo à la Station 16, sur le boulevard Saint-Laurent. » Il essaie d’exposer au moins une fois par année. Mais il a aussi des commandes. Sa série de boxeurs célèbres orne les murs du restaurant Dur à cuire, à Longueuil. « Je fais également des sérigraphies et des dessins pour des clients qui les veulent sur des vêtements. »

L’homme a son entreprise de design sur vêtements Style and Ease. Il compte parmi ses clients le Cirque du Soleil, le Canadien de Montréal, le Festival de jazz. « J’aimerais démarrer une collection de mes illustrations sur vêtements. » On devine son horaire chargé, mais son crayon HB n’est jamais bien loin.

Nathalie Lesbats

La passion sur le tard

Nathalie Lesbats peint depuis toujours, comme ses parents l’ont fait avant elle. Ancienne enseignante au primaire, elle a élevé ses trois garçons et fait maintenant de la suppléance au secondaire. La peinture était un passe-temps… jusqu’à ce qu’elle découvre la technique mixte, il y a quelques années. Ça a déclenché une passion. « Ça a été un wow ! Depuis, je suis plus active. J’ai commencé à peindre des cyclistes parce que le vélo fait partie de ma vie. » Son père en a fait jusqu’à 90 ans, son frère est entraîneur, ses fils ont fait partie de clubs de compétition. Avec son conjoint et un groupe d’amis, elle fait des voyages de cyclisme. Son prochain : une escapade dans les Dolomites. « Peindre le vélo, ça allait de soi. »

« Je peins aussi autre chose, comme des paysages, mais ce sont les cyclistes qui ont fait ma marque de commerce. J’aime travailler les reflets, le miroitement. J’en ai peint sous la pluie, sur l’asphalte, dans le désert. L’utilisation d’un vernis à l’époxy unifie le tout et permet d’introduire de la profondeur. La superposition de plusieurs matériaux permet aussi d’apporter une certaine perspective. » Elle utilise de l’aluminium, des paillettes, du sable et même des plumes.

Elle fait partie du Cercle des artistes peintres et sculpteurs du Québec, au sein duquel elle a participé à des expositions concours en France, en Belgique et à Montréal. Sa toile Course cycliste par équipe a remporté en octobre une médaille d’argent en Pologne. « C’est une reconnaissance appréciée, valorisante. »

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