Un dilemme pour les proches des personnes âgées

Le gouvernement a ouvert la porte aux familles souhaitant rapatrier à la maison des proches vivant dans des résidences pour aînés. Mais l’opération n’est pas sans risque.

Certaines familles font face à un dilemme moral à l’égard de leurs proches qui vivent dans des résidences pour personnes âgées. Serait-il plus prudent de les installer à la maison, quand on sait que de nombreux cas de COVID-19 ont été rapportés dans des résidences pour aînés ? Le gouvernement Legault estime que ce sont des situations qui doivent être observées au « cas par cas », mais le risque zéro n’existe pas, rappelle un gériatre.

Madeleine Latreille avait l’habitude d’aller voir sa mère de 87 ans plusieurs fois par semaine à la résidence où elle vit, à Saint-Jovite, dans les Laurentides, mais avec la COVID-19 dans le paysage, ces visites sont devenues interdites.

« Ma mère est très en forme, elle est autonome, elle a toute sa tête. On s’est assis les quatre enfants ensemble et on a discuté », dit Madeleine Latreille.

Le fait est que leur mère était maintenant privée de beaucoup de ses bonheurs quotidiens, dont les marches à l’extérieur (« elle vit dehors », dit sa fille), les contacts avec d’autres résidants, la possibilité d’aider les employés dans leurs tâches quotidiennes, par exemple préparer la salle à manger pour les repas. « Elle avait perdu tous ses repères », confie Madeleine Latreille. 

Dimanche, Georgette Dufour-Latreille a donc quitté sa résidence pour s’installer chez sa fille.

La ministre de la Santé et des Services sociaux, Danielle McCann, a annoncé vendredi que les familles qui le souhaitent peuvent, « à certaines conditions », ramener à la maison leurs proches qui vivent dans des résidences.

Le Regroupement québécois des résidences pour aînés (RQRA) a reçu à ce sujet de nombreuses questions de ses membres, qui gèrent en tout plus de 98 000 unités locatives dans la province. De concert avec le ministère de la Santé, il a mis sur pied un guide décrivant les conditions dans lesquelles un départ d’une résidence doit se faire.

La personne doit, par exemple, être en mesure de sortir par elle-même de l’établissement, puisque ses proches ne peuvent y entrer. Il sera impossible pour quiconque de regagner la résidence tant que la pandémie n’est pas terminée.

« On veut conscientiser les gens. Ce n’est pas pour une fin de semaine, ce n’est pas un congé. Les mesures sont très claires. On comprend l’inquiétude, on comprend que des gens qui ne travaillent pas disent : “je vais m’occuper de ma mère”. Mais il y a des conditions », dit le président-directeur général du RQRA, Yves Desjardins.

Il n’y a pas de réponse simple, dit pour sa part le Dr Quoc Dinh Nguyen, interniste-gériatre au Centre hospitalier de l’Université de Montréal.

Les gens en CHSLD ont besoin de beaucoup de soins au quotidien, rappelle par exemple le médecin. « C’est là que le risque de transmission est plus grand, mais c’est aussi là que les gens ont le plus besoin d’être dans un milieu de soins protégé. De dire à monsieur et madame Tout-le-Monde qu’il faut sortir leurs proches de là, c’est leur faire porter un lourd fardeau. On veut toujours garder les gens à la maison : quand on est allés porter quelqu’un en CHSLD, c’est parce qu’on ne pouvait plus le faire », affirme le Dr Quoc Dinh Nguyen.

Pas de « risque zéro »

En donnant la possibilité aux gens de sortir des résidences de personnes âgées, le gouvernement a ouvert une « nouvelle porte », dit une lectrice de La Presse qui songe à accueillir sa mère de 88 ans chez elle. À l’instar de bien d’autres, elle est face à un dilemme et se demande quel milieu est le plus sécuritaire pour les prochaines semaines, voire les prochains mois.

Le Dr Nguyen invite les familles à ne pas céder à la panique et à bien réfléchir aux implications qu’il y a à accueillir une personne âgée chez soi. « Les restrictions pour les personnes âgées risquent de rester beaucoup plus longtemps que le reste des restrictions, parce que ce sont les gens qu’on veut protéger. Les proches doivent être au courant », dit-il.

Il rappelle en outre que le risque zéro n’existe pas. « Si vous amenez une personne âgée à la maison, toute la maisonnée doit agir comme s’ils avaient 70 ans. Ils sont considérés comme des vecteurs et il faut comprendre que vous portez la responsabilité de protéger la personne aînée que vous avez ramenée à la maison », dit le Dr Nguyen.

« Ils sont plus en sécurité qu’à l’extérieur »

Le Groupe Sélection, qui gère une cinquantaine de complexes d’habitation pour aînés, affirme pour sa part ne pas avoir vu ses résidants délaisser leurs logements pour aller chez leurs proches en grand nombre dans les derniers jours.

« On a eu beaucoup de commentaires positifs à l’égard des mesures mises en place, même si ce n’est pas évident. Les gens restent à l’intérieur des résidences, doivent observer une distanciation de deux mètres, se font livrer leurs repas à même l’appartement. On pense qu’ils sont plus en sécurité dans la résidence qu’à l’extérieur », dit la porte-parole du groupe, Mylène Dupéré.

Le président du RQRA dit qu’il serait le premier surpris que beaucoup de personnes choisissent de quitter leur résidence.

À Saint-Jovite, Madeleine Latreille insiste : la compétence des employés de la résidence où habite sa mère depuis plusieurs années n’est en aucun cas remise en question. « Écrivez-le. Ce sont des amours, ils sont tellement gentils, attachants, humains et proches des gens. »

Quand la crise sera passée, Georgette Dufour-Latreille pourra y retourner. Et recommencer, comme avant, à recevoir des câlins de tout ce beau monde.

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