Psychologie

Jamais trop vieux pour un toutou

Marie-Josée garde le toutou reçu à 5 ans dans sa chambre dans la maison de ses parents. Anne-Marie traîne toujours avec elle un bout de ruban ayant déjà été accroché à son toutou préféré. Sylvie cache une peluche dans sa table de chevet et le sort de temps en temps. Marc part en voyage d’affaires avec un petit ourson en peluche. Faits rares ? Pas vraiment.

Beaucoup d’adultes entretiennent encore une « relation » avec un toutou, issu de leur enfance ou pas ! Oui, oui, une peluche – souvent en forme d’animal – jadis douce et soyeuse dont le pelage est devenu, au fil des années qui passent, plutôt raboteux et souvent élimé. Un sondage mené en Angleterre, en 2010, rapporte que 51 % des Britanniques ont conservé un toutou de leur enfance, 35 % des adultes dorment encore avec et 25 % des hommes emporteraient un toutou lors de leurs voyages d’affaires.

LIEN AVEC L’ENFANT QU’ON ÉTAIT…

Si le réconfort d’un toutou est encore apaisant à l’âge adulte, il va sans dire que personne ne se vante de dormir avec son vieux Boubou. « Mais il n’y a pas de mal à le faire », précise Yvon Gauthier, pédopsychiatre et auteur de L’attachement, un départ pour la vie (Éditions du CHU Sainte-Justine). 

« Avoir besoin de cet objet quand on est éloigné de notre maison ou de notre conjoint, bref de ce qui nous apporte une certaine sécurité, n’est en fait qu’un moyen extérieur pour nous faire sentir mieux intérieurement. »

— Yvon Gauthier, pédopsychiatre

Le sortir pour s’endormir devient donc un rituel apaisant, nous aidant à faire la transition entre notre vie trépidante et le sommeil, tout en nous reconnectant souvent à des souvenirs agréables de notre passé.

Quand on s’attache à un toutou, c’est qu’il est significatif et chargé d’émotions. Il devient incarné et investi des souvenirs qu’il nous rappelle ou de la personne qu’il représente, en plus d’être relié à notre besoin de nous sentir en sécurité. Savoir être confiant et être capable de s’apaiser ont des racines profondes qui s’infiltrent jusqu’au lien d’attachement développé entre les parents et l’enfant durant les deux ou trois premières années de la vie. La qualité de ce lien joue un rôle important tout au long de notre existence.

« La façon dont s’est construit ce lien et le type d’attachement qui en résulte vont même jusqu’à influencer la capacité des adultes à créer des liens affectifs avec les autres et la capacité de rapprochement et d’intimité dans un couple. C’est durant la construction du lien d’attachement, autour de l’âge de 1 an et demi, qu’un enfant a besoin d’un toutou partout avec lui. Cet objet devient le représentant de ses parents dans son esprit. Il l’aide à gérer les séparations et certaines émotions. En général, vers 4 ou 5 ans, quand l’enfant devient plus confiant et sécure, il délaissera peu à peu l’objet et ne fera plus de crise s’il ne l’a pas avec lui. Il aura développé d’autres façons de se rassurer. Mais certains en auront besoin pendant les moments plus difficiles, comme les adultes en ont besoin aussi pour traverser des moments angoissants », explique Yvon Gauthier. Comme s’abandonner au sommeil…

UN TOUTOU POUR LÂCHER PRISE

« Quand les enfants sont petits, ils ont souvent besoin d’un toutou au moment de s’endormir afin de s’approprier ce moment-là, loin de leurs parents. Le toutou, le t-shirt ou encore la taie d’oreiller de leur parent les calment et les aident à se laisser aller dans le sommeil même si le parent n’est pas là tout près. Pour un adulte, un toutou peut l’aider à surmonter une situation où il n’a pas le contrôle et où il doit se laisser aller. Le sommeil est aussi une perte de contrôle », estime Roger Godbout, professeur titulaire au département de psychiatrie à l’Université de Montréal et responsable de la Clinique du sommeil à l’hôpital Rivière-des-Prairies.

Enfant ou adulte, un objet transitionnel permet de surmonter une angoisse, un éloignement, la solitude ou l’ennui des gens qu’on aime. 

« Dans les moments de grande vulnérabilité, comme une rupture, un décès, une maladie, etc., beaucoup de gens ont besoin de se sécuriser et d’avoir près d’eux un objet qui représente quelqu’un qu’ils aiment ou qui, tout simplement, les apaise. »

— Francesca Sicuro, psychologue

Il n’y a pas que les toutous, cet objet peut être un foulard, une photo, une vidéo, une odeur, etc. », note Francesca Sicuro. Toutefois, le toutou répond à un besoin physique… celui de toucher. Serrer dans ses bras son ourson ou le flatter tendrement est une expérience concrète et réelle, la chaleur, le toucher et les étreintes créant dans le cerveau des endorphines aux propriétés calmantes.

JAMAIS TROP VIEUX, SAUF QUE…

Le trimballer dans ses bagages en voyage d’affaires est une chose, le sortir en pleine réunion serait plutôt inapproprié. « Dans la mesure où l’utilisation d’un toutou ne crée pas de dépendance excessive nuisible, que ça nous fait du bien sans nuire, pourquoi pas ? Le toutou d’enfance est un moyen parmi une multitude de possibilités d'arriver à s’apaiser, se sécuriser, se sentir moins seul, se consoler, s’endormir quand on est seul, etc. », précise Francesca Sicuro. Pour éviter une dépendance exclusive à notre ourson, il faut donc multiplier les moyens de gérer nos angoisses par différentes activités sécurisantes et calmantes. « Les enfants ont souvent besoin d’un objet concret, mais plus on avance en âge, plus on est capable aussi d’utiliser des symboles. Une photo de notre famille sur notre bureau de travail peut avoir le même effet calmant », suggère Francesca Sicuro.

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