Opinion : Gestion des déchets

Ne jetons pas le bébé avec l’eau du BAPE

Je m’excuse d’avance, car le début de ce texte ne sera pas doux : au Québec, notre gestion des déchets constitue un grand échec collectif. Heureusement, nous ne sommes pas condamnés à enfouir notre tête dans le sable… et nos déchets dans des sites d’enfouissement toujours plus grands.

Ça tombe bien, car le 25 mai prochain débuteront les audiences publiques du BAPE sur l’état des lieux et l’élimination des résidus ultimes au Québec. Ça sonne bien compliqué dit comme ça, mais c’est un peu comme le SuperBowl de ceux qui suivent ce dossier depuis de nombreuses années. Et ça devrait aussi tous nous préoccuper en tant que citoyens.

Pourquoi faut-il s’en mêler ? Parce que le ministère de l’Environnement a récemment accordé des autorisations pour augmenter la capacité des sites d’enfouissement et parce qu’on ne réussit pas collectivement à réduire la quantité de déchets qui sont enfouis et incinérés.

Bref, on estime encore que le problème demeure de savoir comment on va gérer nos déchets plutôt que de se demander pourquoi on en produit autant et comment faire pour que ça cesse. On continue de s’intéresser aux symptômes plutôt qu’à la maladie elle-même.

Nourrir la bête

On a tous déjà aperçu ces statistiques désolantes qui illustrent fort bien le chemin qu’il reste à parcourir. Par exemple, que 21 % des matières envoyées à l’élimination sont recyclables.

Ou encore, qu’on jette 1,5 million de tonnes de matières organiques par année ou qu’on gaspille tant d’aliments, et ce, quatre fois sur cinq tout au long de la chaîne de production et de distribution.

Ou sinon que 95 % des vêtements et tissus éliminés sont encore en état d’être portés : que sur les 287 000 tonnes qui ont été envoyées à l’élimination en 2019-2020, 272 650 tonnes auraient pu être réemployées.

Pourquoi jette-t-on donc autant ? Réponse courte : parce que c’est encore plus facile et moins cher de jeter que de réemployer et de recycler. Là est le nœud du problème.

Et ça coûte moins cher dans les mégasites d’enfouissement, dont on autorise des agrandissements, parce qu’il faut des déchets pour « nourrir la bête ». Mais ces déchets, ce sont aussi des meubles en bois qui pourraient être passés d’une génération à l’autre, des grille-pains qu’on pourrait réparer, des vêtements encore neufs qui ont été produits à grands coûts humains et environnementaux.

Ce BAPE est une occasion en or de regarder cette triste réalité dans les yeux, mais surtout de se retrousser les manches et de s’attaquer au problème.

Donnons un break aux individus

Ce que ce BAPE a aussi d’intéressant, c’est qu’il s’agit d’un exercice important pour proposer des solutions qui dépassent le simple rôle citoyen.

Avant de demander aux gens de faire mieux, il faudrait d’abord que d’autres franges de la société y mettent du leur. Après tout, plus de 50 % des matières qu’on élimine proviennent des entreprises et des institutions de même que du secteur de la construction/rénovation/démolition.

Il faut cesser de simplement tenir la population responsable des problèmes systémiques auxquels les institutions doivent travailler en priorité. Ce n’est pas uniquement Marcel qui recycle, Aurélie qui fait du zéro déchet ou Chantale qui composte qui vont faire le poids contre de tels chiffres.

Redéfinir « le neu’ pousse le vieux »

ll est donc temps qu’on arrête de se mentir collectivement : nos modes de production et de consommation doivent changer parce qu’ils ne sont tout simplement pas soutenables. D’ailleurs, la date à laquelle l’humanité a consommé toutes les ressources naturelles que la Terre peut produire en un an – le jour du dépassement – serait le 18 mars si tout le monde se collait au rythme du Canada. Cette année, au niveau mondial, cette date est le 22 août. C’est complètement insensé !

Il n’y a pas de raccourci dans l’équation d’un monde où l’on produit moins de déchets : il faut réduire à la source les objets et les emballages dont on n’a pas besoin, valoriser le réemploi et les produits d'occasion et rendre accessible la réparation partout sur le territoire.

Pour y arriver, il nous faudra du courage politique. Ça prendra aussi des lois contraignantes et du soutien financier.

« Le neu’ pousse le vieux », qu’ils disent. Si le dicton ne devrait plus s’appliquer à notre manière de consommer, il devra certainement se transposer aux idées et actions pour développer un système de gestion des matières résiduelles qui nous rendra fiers.

Les nouvelles manières de faire, le neu’, doivent en effet nous permettre de reléguer au passé les vieilles façons de s’attaquer à cette problématique complexe.

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