Notre choix

La mère/mer des récits

Deux ans après le dernier des 10 romans époustouflants de la série Soifs, Une réunion près de la mer, Marie-Claire Blais continue sa mission d’indulgence et de bienveillance avec Petites Cendres ou la capture.

Le décor est presque le même, le sud des États-Unis, mais la caméra dans l’œil de l’écrivaine ne capte presque pas de personnage d’intellectuel cette fois, mis à part le couple heureux formé par Ève-Marie et Édouard sur lequel tombera le rideau de cette histoire.

Le roman commence vers la fin de la nuit sur l’image saisissante d’un affrontement entre un policier blanc, la main sur son revolver, et un homme noir ivre, Grégoire, déversant un trop-plein d’émotions, celles de son peuple racisé depuis toujours en ce pays. Un travesti, Petites Cendres, s’interpose afin de calmer le jeu.

Le moment s’étirera sur les 200 pages du roman, créant un véritable et rare suspense. Marie-Claire Blais écrit en spirale, entraînant dans l’histoire de plus en plus de personnages qu’on pourrait qualifier de marginaux, mais qui sont, plus simplement, des humains qui souffrent.

Un homme et une femme, Lou et Philli, qui veulent changer de sexe et se marier ; un jeune obèse sensible, Mark, inquiet de la disparition de deux nageurs téméraires ; Love, violée par deux de ses amis sur la plage ; Diane la dépressive, Lucie qui pousse le fauteuil roulant de son père éclopé de guerre ; et encore, un policier à cheval.

La romancière sait tabler sur des images fortes, plus ou moins tirées de la vie réelle, pour créer cet univers interrelié où les personnages et les situations s’appellent. La phrase est toujours longue, mais enivrante et davantage parcourue de points et d’interrogations que dans Soifs, nous est-il apparu.

Dans ce continuum lyrique, Marie-Claire Blais insère ses propres inquiétudes face à la violence, aux préjugés, au désespoir, et sa pensée sur les luttes importantes des femmes, des homosexuels, des Noirs et des personnes trans.

L’autrice est d’une émouvante générosité envers ses semblables, présumant de leur bonté initiale. Elle se promène dans la tête et le cœur des personnages pour décoder leurs motivations et leurs émotions. Même si, comme se demandera l’un d’eux, « vivre était irritant, agaçant, que faisait-on sur cette planète ».

Il y a un fil bleu qui les unit, en fait, les rassemble malgré leurs différences. Comme dans Soifs, la mer est omniprésente. Allant et venant, l’océan joue un rôle dans chacune des vies visitées.

C’est la même eau qui alimente les sous-récits se déroulant ailleurs. La mer mange et recrache, broie et nettoie. Dans le mouvement éternel des vagues, il y a comme une promesse, du moins, un désir de renouveau.

Marie-Claire Blais reste cette romancière unique, cette mère bienveillante qui, après tous ses récits et comme Petites Cendres ici, ne désespère pas.

Petites Cendres ou la capture

Marie-Claire Blais

Boréal

216 pages

4 étoiles

Chasse à l’adolescent

Juste derrière moi
Lisa Gardner
Albin Michel
478 pages
***

Enfant, Telly Ray Nash est forcé de tuer un père violent pour sauver sa peau et celle de sa petite sœur Sharlah. Huit ans plus tard, Telly se retrouve au cœur d’une chasse à l’homme à la suite du meurtre de quatre personnes. Il cherche à retrouver Sharlah, ce qui terrifie les parents adoptifs de cette dernière, des profileurs de profession.

L’Américaine Lisa Gardner parvient à créer un suspense efficace avec Juste derrière moi. Elle fait en sorte qu’on s’attache aux personnages : des adolescents perturbés mais résilients, des familles d’accueil qui cherchent désespérément à les ramener dans un monde moins violent.

À la toute fin d’un roman, la section des remerciements de l’auteur est souvent soporifique. Ici, Lisa Gardner raconte la genèse de Juste derrière moi, ce qui est fort intéressant.

— Marie Tison, La Presse

Les adieux à Benoîte

La mère morte
Blandine de Caunes
Stock
272 pages
*** 1/2

On connaît peu Blandine de Caunes au Québec (ex-actrice, elle a également travaillé dans le milieu de l’édition), mais on connaît très bien sa célèbre mère : Benoîte Groult, autrice d’une vingtaine de livres dont Journal à quatre mains, avec sa sœur Flora, Ainsi soient-elles, Les vaisseaux du cœur, etc.

Dans La mère morte, Blandine raconte la longue déchéance physique et intellectuelle de Benoîte, atteinte de la maladie d’Alzheimer. Ceux et celles qui ont déjà côtoyé cette maladie en reconnaîtront les nombreuses étapes : les oublis de plus en plus nombreux, les impatiences, la colère, la frustration. Puis les dernières fois (dernière promenade en auto, dernier repas consistant, dernier verre de vin), les amis qui se font de plus en plus rares (Denise Bombardier et son mari Jim sont parmi les proches qui sont restés fidèles jusqu’à la fin). Blandine de Caunes ne nous épargne rien des détails de la déchéance de sa mère. C’est direct, cru, franc. Certains diront impudique, mais pour qui a déjà lu Benoîte Groult, c’est le ton privilégié dans cette famille où on se dit les vraies choses.

Une famille mise à rude épreuve puisqu’un drame horrible et cruel vient bouleverser la vie de la narratrice et donner tout son sens au titre du livre (on ne révélera rien pour ceux et celles qui ne connaissent pas toute l’histoire). Ce sont les pages les plus émouvantes et douloureuses du livre.

À la fin, les filles de Benoîte Groult, qui militait en faveur de l’aide médicale à mourir, ont décidé d’honorer les dernières volontés de leur mère. Avec la complicité d’un ami médecin belge, elles ont abrégé ses jours. Elle est décédé le 20 juin 2016 à l’âge de 96 ans. « Elle nous a donné la vie, on lui a donné la mort », écrit Blandine de Caunes.

Incursion dans le Paris policier

Celle qui pleurait sous l’eau
Niko Tackian
Calmann-Lévy
250 pages
*** 1/2

Scénariste, réalisateur et romancier, le Français Niko Tackian s’est notamment fait remarquer l’an dernier pour son thriller Avalanche Hôtel, après deux précédents romans policiers qui mettaient en vedette le commandant Tomar Khan. Dans ce troisième titre, l’équipe dirigée par Tomar, policier aguerri aux abords plutôt rudes, s’installe dans de tout nouveaux locaux parisiens. Pendant que celui-ci cherche à se dépêtrer en coulisses d’une situation qui menace sa carrière et nous entraîne dans les banlieues, son adjointe, Rhonda, décide d’enquêter sur le suicide d’une jeune femme sans histoire dans une piscine du 18e arrondissement – une pratique peu habituelle au sein de la police. L’écriture est mordante et les dialogues, en argot parisien, sont vifs et percutants, accordant au roman un caractère et un rythme qui nous laissent facilement imaginer le film… Le thème principal est quant à lui tout à fait d’actualité, la policière cherchant à prouver la culpabilité d’un homme qui, par la violence psychique qu’il inflige aux femmes qu’il fréquente, en aurait poussé plus d’une à se tuer. Quoiqu’il se lise en coup de vent, ce nouveau titre confirme tout le potentiel de l’auteur dont on surveillera certainement les prochaines parutions.

— Laila Maalouf, La Presse

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