Faillite de la Silicon Valley Bank

Que s’est-il passé et que va-t-il désormais arriver ?

Faillite de la Silicon Valley Bank

La déconfiture décortiquée

Pour ceux qui ont décroché le week-end dernier, voici un récapitulatif des derniers jours concernant la déconfiture de la Silicon Valley Bank (SVB), aujourd’hui sous le contrôle de la société d’assurance dépôts américaine, la FDIC (Federal Deposit Insurance Corporation).

Qu’est-ce que la SVB ?

Il s’agit d’une banque régionale localisée à Santa Clara, en Californie, ayant un actif de 209 milliards et spécialisée dans les jeunes pousses technologiques et les firmes de capital-risque.

Que s’est-il passé ?

L‘institution a fait face à une crise de liquidités, causée par une panique bancaire. Les déposants ont réclamé en grand nombre leur argent, que la banque avait investi dans des obligations à long terme du gouvernement américain.

Ces obligations ont perdu de la valeur en raison de la hausse des taux d’intérêt (la valeur des obligations évoluant en sens inverse des taux d’intérêt). En vendant les obligations pour avoir des liquidités, l’institution a cristallisé la perte de valeur sur ces titres.

Phénomène rare au Canada, une panique bancaire est néanmoins survenue en 2017 chez Home Capital Group à la suite de révélations sur de possibles malversations, se souvient Pierre-Olivier Langevin, gestionnaire de portefeuille chez Medici.

Quel a été l’évènement déclencheur ?

« Le 8 mars 2023, écrit la firme de notation DBRS Morningstar, la SVB a publié ses résultats trimestriels, indiquant qu’elle avait vendu 21 milliards de valeurs mobilières pour une perte de 1,8 milliard (après impôts) et qu’elle tentait de lever des capitaux supplémentaires. Une ruée sur les banques s’ensuivit et, le jeudi 9 mars, 42 milliards de dollars de dépôts furent retirés de la banque, soit environ 25 % du total des dépôts, et la pression exercée par la pénurie de liquidités qui s’ensuivit entraîna la faillite de la banque. »

En quoi le cas de la SVB est-il particulier ?

Cette institution a la particularité d’avoir une concentration de clients du secteur de la techno, des sciences de la vie et du capital-risque, des secteurs qui tournaient à plein régime pendant la pandémie et qui ont fait des dépôts imposants chez la SVB. Avec la hausse des taux d’intérêt, le financement coûte plus cher, et les sources de fonds se font plus rares. Les clients de la SVB peuvent avoir besoin de leur argent. Or, 95 % des dépôts n’étaient pas assurés par la FDIC parce qu’ils excédaient la limite de 250 000 $ US.

« Une banque canadienne a une clientèle beaucoup plus diversifiée. Aux États-Unis, le modèle d’affaires peut être plus spécialisé », souligne Gabriel Dechaine, analyste à la Financière Banque Nationale.

Quelles sont les erreurs que la SVB a faites ?

Elle a une concentration de clients en provenance de la techno. Les dépôts proviennent d’un nombre limité de clients ayant des moyens considérables. Elle a également omis de se protéger contre le risque de taux d’intérêt. « Les taux d’intérêt étaient vraiment bas en 2021. C’était problématique de placer l’argent dans de longues échéances », condamne Pierre-Olivier Langevin. Les titres de longue échéance réagissent fortement à une variation des taux d’intérêt.

Comment les autorités américaines ont-elles réagi ?

Le week-end dernier, la Réserve fédérale, la FDIC et le Trésor ont réagi collectivement en assurant le remboursement de tous les dépôts des banques en difficulté. La Fed a aussi mis en place une facilité de crédit à la disponibilité des institutions financières qui pourraient vivre une crise de liquidités à leur tour si leurs déposants allaient réclamer en grand nombre leur argent.

Quel était le message du président Biden lundi matin ?

Le président a tenu à rassurer les Américains en leur disant que leurs dépôts bancaires étaient en sécurité. Ils seront assurés sans qu’il n’en coûte un sou aux contribuables. Ce sont les frais exigés par la FDIC aux institutions financières qui paieront la facture. Il a précisé que les institutions en difficulté ne seront pas sauvées par le gouvernement, contrairement à la crise de 2008. Leurs dirigeants ont d’ailleurs perdu leur emploi. Les actionnaires et les détenteurs de titres de dette de ces institutions doivent donc s’attendre à perdre leur mise. Il a aussi promis de renforcer la réglementation bancaire.

Quels sont les risques de contagion ?

Dimanche, la FDIC a pris le contrôle de la Signature Bank de New York (actifs d’environ 110 milliards US). En septembre dernier, le quart de ces dépôts provenait du secteur des cryptomonnaies, rapporte Reuters.

Lundi, des banques régionales comme First Republic (212 milliards US d’actifs), de San Francisco, étaient sous pression. First Republic a en commun avec la SVB d’avoir un large pourcentage de dépôts non assurés.

Mais pour M. Langevin, le pire est sans doute passé. « D’un point de vue factuel, la crise est possiblement réglée. Les régulateurs ont posé les gestes nécessaires. Les banques ont tous les outils nécessaires pour avoir les liquidités en cas d’exode de dépôts », croit-il.

DBRS ne voit pas d’enjeu non plus pour les banques américaines de grande envergure. « Selon nous, les bilans des banques américaines restent solides, avec d’importants niveaux de liquidités et des dépôts qui ne sont pas susceptibles à première vue d’être retirés rapidement. »

Quels sont les impacts de ces évènements sur la conjoncture ?

Ils sont potentiellement considérables. Selon Goldman Sachs, la Réserve fédérale va prendre une pause dans le resserrement de sa politique monétaire. La semaine dernière, le marché s’attendait plutôt à une hausse des taux d’intérêt. Des chiffres sur l’inflation américaine seront dévoilés mardi.

Pour Mathieu Marchand, économiste indépendant de Québec, les évènements des derniers jours démontrent la dépendance de l’économie américaine aux faibles taux d’intérêt.

« Il s’agit de la première bulle d’une marmite d’eau bouillante. Si les taux d’intérêt restent à leur niveau actuel pour un bon bout de temps, l’ajustement dans le prix des actifs va se faire à la baisse et on va assister à une crise des valeurs des actifs. »

« Depuis vendredi, poursuit-il, le scénario de l’atterrissage en douceur est mort. Quand une banque explose, il n’est plus question d’un atterrissage en douceur. »

Les évènements des derniers jours pourraient aussi marquer le début d’une récession aux États-Unis et avec la récession, la disparition de l’inflation, indique M. Marchand.

« Je ne peux prédire l’avenir, mais c’est possible que les récents déboires bancaires viennent nuire au scénario d’un atterrissage en douceur de l’économie américaine », convient Gabriel Dechaine, de la Financière Banque Nationale.

Les valeurs refuges et le bitcoin pris d’assaut

Les investisseurs ont réagi à la fermeture des banques américaines Silicon Valley et Signature en se réfugiant dans les obligations, les métaux précieux et les cryptomonnaies, avec, en toile de fond, les mesures spéciales mises de l’avant par le gouvernement américain et le discours rassurant lundi matin du président Joe Biden.

Du côté des marchés boursiers, les principaux indices ont joué au yoyo une bonne partie de la séance de lundi, oscillant entre le rouge et le vert.

Le secteur bancaire a été mis à mal. La valeur de certaines banques régionales a dégringolé. Ce fut le cas de la First Republic de San Francisco, qui a perdu 62 % de sa valeur lundi. D’autres institutions régionales, les PacWest, Western Alliance et Zion, ont subi des baisses de prix de leurs actions d’au moins 20 %.

Le président Biden a indiqué lundi que l’État n’allait pas venir au secours des actionnaires et des investisseurs des banques en détresse, contrairement à ce qui s’était passé lors de la crise financière de 2008-2010. Au cours du week-end, une action concertée des autorités américaines a débouché sur des mesures visant à rassurer les déposants bancaires.

De leur côté, les titres technologiques du GAFAM ont gagné entre 0,5 et 3 % lundi.

La ruée des investisseurs vers les obligations du gouvernement américain a été spectaculaire. Quand la demande est forte, le prix des obligations s’emballe et leur rendement diminue.

Le rendement sur les obligations de 2 ans, des titres qui reflètent les attentes en matière d’évolution des taux d’intérêt, a reculé de plus d’un demi-point de pourcentage pour terminer la séance légèrement au-dessus de 4 %. Le 8 mars, le taux de 2 ans dépassait les 5 %. Il s’agit de sa plus forte baisse sur trois jours (presque 100 points) depuis le krach boursier du lundi noir en 1987, selon Reuters.

Le rendement sur l’obligation du gouvernement américain de 10 ans a reculé de 15 points centésimaux, à 3,54 %.

L’or a gagné 45 $ lundi pour terminer à 1913 $ US l’once troy, un sommet des cinq dernières semaines, selon le site spécialisé Kitco News. L’argent a gagné 1,21 $ US, à 21,76 $ US.

Le pétrole a perdu des plumes en raison des craintes que les difficultés du monde bancaire déclenchent la récession tant redoutée. Le dollar américain a lui aussi cédé du terrain face aux principales devises. Le dollar canadien a ainsi gagné un demi-cent.

Hausse du bitcoin

Ce sont les cryptomonnaies qui ont connu la meilleure journée. Les spéculateurs, qui avaient vendu à découvert vendredi face à la perspective d’une dégringolade des cours des actifs risqués, ont été pris à fermer rapidement leurs positions quand les autorités américaines ont annoncé durant le week-end qu’elles rembourseraient tous les dépôts des deux banques en difficulté.

Le bitcoin s’est apprécié de près de 3000 $ US, à 24 241 $ US, un gain de plus de 13 %. L’ethereum a augmenté de 7,5 %, à 1680 $ US.

563

SVB est la 563e banque à faire faillite aux États-Unis depuis 2000.

Source : FDIC

« Ça va laisser des cicatrices »

Les jeunes pousses vont en ressentir les effets, estime Jean-François Marcoux, cofondateur de White Star Capital

Silicon Valley Bank (SVB) a beau être un petit acteur au Canada, surtout comparé à ses activités aux États-Unis, sa déroute « va laisser des cicatrices » ici, estime Jean-François Marcoux, associé directeur et cofondateur de White Star Capital.

Le fonds montréalais avait été décrit comme un des clients québécois de SVB à l’ouverture de son bureau montréalais, le troisième au Canada après Toronto et Vancouver. Contrairement aux États-Unis, cette filiale canadienne n’a pas de déposants commerciaux ou individuels, uniquement des prêts aux entreprises évalués à 349 millions US (479 millions CAN) fin 2022.

Par contre, précise M. Marcoux, certaines start-up canadiennes clientes de SVB avaient ouvert un compte aux États-Unis avec cette institution pour y disposer de liquidités. La plus connue est AcuityAds Holdings, de Toronto, qui comptait 55 millions US dans son compte américain, soit 90 % de ses liquidités, selon ce que rapporte l’agence Reuters.

D’autres entreprises québécoises et canadiennes, dont certaines sont partenaires de White Star Capital, ont procédé ainsi, « mais ça ne touchait qu’une fraction de leur encaisse », dit M. Marcoux, qui ne dévoile pas leur nom ou leur nombre. « Comme gestionnaire de fonds, nous aussi, on avait peu d’encaisse avec Silicon Valley Bank. Ça, c’est rassurant. »

Spécialisée dans la « dette à risque »

Cela dit, même des sommes qui semblent minimes peuvent être cruciales pour de jeunes pousses, note-t-il. « Si tu as 350 000 $ qui sont gelés, chaque dollar est tellement important au stade de capital de risque. C’est une situation très stressante pour certaines compagnies. »

Il estime qu’un certain nombre de jeunes pousses qui se sont vu accorder un prêt par SVB ne l’ont pas nécessairement encaissé, ajoute le cofondateur de White Star Capital. « Ça fait en sorte que tu dois trouver une banque de remplacement. Il y a quand même du travail pour refinancer une partie de ces 350 millions US. »

Les 479 millions CAN de prêts accordés par SVB au Canada, dont au moins la moitié l’ont été en 2022 et 2023, selon le Bureau du surintendant des institutions financières du Canada (BSIF), sont à mettre en perspective. Pour la seule année 2022, selon le plus récent rapport de Réseau Capital, les investissements en capital de risque ont totalisé près de 10 milliards au Canada, dont 2,46 milliards au Québec.

Par contre, la Silicon Valley Bank était un intervenant plus significatif dans ce qu’on appelle la « dette à risque », ou « venture debt ». SVB était spécialisée dans ces « prêts conçus pour les jeunes entreprises à croissance rapide appuyées par des investisseurs », comme l’explique l’institution financière sur son site.

Plus de diversification

Toujours selon le rapport 2022 de Réseau Capital, les jeunes pousses canadiennes ont reçu 664 millions en « dette à risque », dont plus de la moitié de cette somme en Ontario. Au Québec, les prêts à risque attribués ont totalisé 70 millions.

« De façon générale, c’est un environnement qui n’est pas facile pour l’investissement, et ce qui arrive à Silicon Valley Bank ne va pas aider, explique M. Marcoux. Dans les six derniers mois, la levée de fonds est plus difficile. Ça va le devenir aussi pour les emprunts bancaires. Les banques pourraient devenir plus frileuses. »

Les entreprises technos devront en outre apprendre à diversifier leur avoir bancaire, estime-t-il, recourant à plusieurs institutions au lieu d’une seule. « Elles vont aussi faire attention de ne pas se plier aux exigences de certaines banques comme la SVB, qui exigeaient le transfert des comptes chez elles quand elles prêtaient. Ça ne se fera plus. »

Les demandes d’entrevue de La Presse avec des représentants de SVB au Canada, tant au bureau principal de Toronto qu’à Montréal, n’ont obtenu aucune réponse.

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