Flore menacée ou vulnérable

Québec ignore 24 plantes en péril

Le gouvernement du Québec ignore les recommandations de ses scientifiques, qui demandent que l’on protège 24 espèces additionnelles de plantes rares, a appris La Presse à deux semaines de l’ouverture à Montréal de la conférence de l’ONU sur la biodiversité COP15.

Pas moins de 15 de ces 24 recommandations du Comité aviseur sur la flore menacée ou vulnérable, obtenues grâce à une demande d’accès aux documents des organismes publics, sont « en attente » depuis plus de 11 ans. Les plus récentes datent de novembre 2019.

La plupart des espèces en attente d’être protégées, comme le brome pubescent (Bromus pubescens), l’élyme velu (Elymus villosus) ou l’aster de Pringle (Symphyotrichum pilosum var. pringlei), se trouvent dans le sud de la province. La biodiversité y est plus riche, mais la pression y est aussi plus forte sur les habitats, en raison de l’étalement urbain. Ce serait d’ailleurs pour éviter des entraves au développement et aux projets d’exploitation des ressources naturelles que les gouvernements successifs n’agissent pas, avancent les experts consultés par La Presse.

« J’ai l’impression que c’est tout simplement une question de volonté politique qui est inexistante », laisse tomber le professeur Luc Brouillet, un botaniste de l’Université de Montréal qui a été membre du Comité pendant huit ans, avant de prendre sa retraite en 2019.

« On se demande toujours s’il y a vraiment une volonté réelle de protéger », ajoute Frédéric Coursol, qui occupe un poste d’assistant-botaniste au Jardin botanique de Montréal, et qui est membre du Comité.

« Peu importe le gouvernement qui est au pouvoir, ça ne bouge pas. »

— Frédéric Coursol, membre du Comité aviseur sur la flore menacée ou vulnérable

Québec dit plutôt avoir « priorisé » les recommandations selon des critères comme le caractère endémique ou patrimonial d’une plante, le fait qu’elle soit une « espèce parapluie » dont la désignation permet d’en protéger d’autres, et l’existence ou non de menaces importantes sur lesquelles la protection de l’État peut avoir un effet.

Mais ce n’est pas la première fois que Québec est accusé de traîner la patte en matière de conservation. Le mois dernier, La Presse a révélé que le Comité aviseur sur la faune n’avait pas été consulté depuis cinq ans et qu’aucune espèce animale supplémentaire n’a été protégée en 13 ans.

Une « loi papier »

Parmi les 24 recommandations du Comité, 17 visent à désigner des espèces menacées, soit le statut le plus critique prévu dans la loi provinciale. Les sept autres visent à désigner des espèces vulnérables. La Loi sur les espèces menacées ou vulnérables interdit notamment de récolter, exploiter ou détruire une espèce désignée, ou de perturber son habitat. De nombreuses exceptions s’appliquent, cependant.

Des avis ministériels rendus publics le mois dernier ont néanmoins démontré l’impact que peut avoir la protection légale, alors que le prolongement de l’autoroute 25 s’est vu barrer la route en raison de la présence d’espèces vulnérables sur le tracé proposé.

Anne-Sophie Doré, avocate au Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE), n’est pas étonnée qu’autant d’espèces soient en attente d’un statut depuis si longtemps. « C’est un problème parce que finalement, on a une loi papier, mais qu’on n’applique pas vraiment », dit-elle.

Et sans protection, certaines de ces plantes voient inévitablement leur statut se détériorer, selon M. Coursol.

Pour d’autres, on ne le sait tout simplement pas, puisque la dernière évaluation remonte à trop longtemps, souligne Stéphanie Pellerin, botaniste du Jardin botanique et membre du Comité. Un tel délai d’attente « n’est pas normal », dit-elle.

Seulement 17 recommandations du Comité ont été approuvées depuis 2010, y compris celles visant à retirer la protection à trois espèces ou à réduire le statut de trois autres de menacée à vulnérable.

Protégées par le fédéral

Au moins deux des espèces en attente, le liparis à feuilles de lis (Liparis liliifolia) et le noyer cendré (Juglans cinerea), sont protégées par la Loi sur les espèces en péril (LEP) du gouvernement fédéral.

Le noyer est classé « en voie de disparition » en raison d’une « maladie fongique qui […] selon les prévisions, causera, en une seule génération, le déclin de la quasi-totalité de la population », indique le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC), l’équivalent fédéral du Comité aviseur.

C’est parce qu’on estime qu’une protection « ne changerait rien » que Québec n’agit pas sur ce cas, dit la porte-parole du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Caroline Cloutier.

Le liparis est une petite orchidée « vulnérable de façon continue aux évènements fortuits » en raison de la faible taille de la population canadienne, selon le COSEPAC. L’espèce est classée menacée sous la loi fédérale, et une seule population se trouve au Québec, les autres sont dans le sud de l’Ontario. Mme Cloutier n’a pas offert de justification spécifique pour cette espèce.

La LEP oblige le gouvernement fédéral à intervenir lorsque « le droit de la province ne protège pas efficacement » une espèce désignée. Ottawa pourrait donc pallier l’apathie de Québec, « mais en pratique, c’est peut-être un peu plus compliqué », nuance MDoré, du CQDE.

L’avocate observe qu’il n’y a pas d’échéancier prévu dans la loi, et que la disposition n’a été que très rarement appliquée. Cela a notamment été le cas pour protéger la rainette faux-grillon de l’Ouest à Longueuil l’an dernier.

Le Québec possède « tous les outils pour assumer le leadership en matière de protection de ces espèces sur son territoire » et « ne souhaite en aucun cas le recours à une intervention en vertu de la LEP », fait valoir Mme Cloutier, du ministère de l’Environnement. « Le recours à un décret d’urgence [en vertu de la LEP] est unilatéral et comporte des conséquences importantes pour les secteurs touchés et pour l’économie québécoise », ajoute-t-elle.

Interrogé à ce sujet par La Presse, Environnement et Changement climatique Canada n’a pas dit s’il a l’intention d’intervenir.

Montréal veut contribuer à sauver cinq espèces naturelles

La Ville de Montréal veut contribuer à sauver cinq espèces animales et végétales de sa région, en inaugurant un fonds de recherche. C’est Espace pour la vie – l’organisation municipale qui regroupe le Biodôme, l’Insectarium et le Jardin botanique – et sa fondation qui sont les fers de lance du projet. Ils espèrent recueillir 1,5 million en trois ans pour financer des travaux scientifiques. Le Port de Montréal a déjà promis de contribuer à hauteur de 50 000 $. La Ville de Montréal assumera les frais d’administration. « On va se concentrer sur cinq espèces en péril : l’aède des bois – qui est une espèce végétale –, la tortue des bois, le papillon monarque, l’omble chevalier et la rainette faux-grillon », a expliqué Marie-Andrée Mauger, responsable de l’environnement au comité exécutif. « Dans les zones urbanisées, la pression sur la faune et la flore est vraiment importante, donc c’est important que les villes jouent un rôle pour multiplier les efforts et les actions de conservation », a-t-elle ajouté. L’annonce était effectuée alors que la COP15 sur la biodiversité commencera dans quelques semaines à Montréal.

— Philippe Teisceira-Lessard, La Presse

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