Journée internationale des femmes

Du côté de l’amitié

L'auteure revient sur le débat de la semaine dernière concernant le féminisme intersectionnel et la sortie de la ministre responsable de la Condition féminine, Martine Biron.

J’ai une amie. Elle a été reconnue. On lui a donné des prix. Elle est un symbole de réussite. Cette amie, un jour, a été sollicitée pour occuper un poste important, et elle a accepté. Elle, une femme noire, s’est ainsi retrouvée à la tête d’une organisation majoritairement blanche, prête à remplir le mandat qui lui avait été confié : restructurer dans le but d’améliorer. Mais aussi vite le plafond de verre cassé, aussi vite la chute de mon amie organisée. Il ne fallait surtout pas perturber, exiger, viser une plus grande efficacité. Il ne fallait surtout pas rêver de changements pour le bien public. Surtout pas en tant que femme. Surtout pas en tant que femme noire.

Mon amie vit l’intersectionnalité dans sa chair. Elle sait le prix à payer de la couleur de la peau. Elle connaît intimement le croisement des oppressions, l’addition des exclusions, les mille manières de repousser quelqu’un dans la marge. Elle sait ce qu’il en coûte d’avoir choisi, pour camp, celui des opprimé.es.

Cette place d’où elle regarde le monde pour sans cesse l’analyser, avec précision, tâchant toujours de chercher à dénouer ce qui est compliqué.

Ainsi, Madame la Ministre responsable de la Condition féminine, en cette Journée internationale des femmes, j’ai eu envie de vous écrire ceci :

• le féminisme qui n’a pas peur d’opprimer certaines femmes n’est pas féministe ;

• le féminisme qui se regarde le nombril n’est pas féministe ;

• le féminisme qui ne se remet pas en question n’est pas féministe ;

• le féminisme qui rêve d’un girls club à l’image de l’entre-soi des hommes qui s’arrogent le pouvoir n’est pas féministe ;

• le féminisme qui refuse de reconnaître que la place occupée sur l’échiquier social a tout à voir avec l’oppression subie ou évitée, ce féminisme-là n’est pas féministe.

En cette journée du 8 mars, malgré les violences dont les féministes (intersectionnelles, de gauche, woke, etc.) sont l’objet… malgré l’antiféminisme rampant et les revers constants que nous subissons parfois même en provenance de nos semblables, je continue à croire qu’il faut défendre un féminisme ouvert, accueillant, curieux, intelligent.

Un féminisme de la complexité et de la nuance.

Un féminisme qui trouve espoir dans un par-delà le genre, parce qu’il faut sortir de l’opposition et de la hiérarchie entre les sexes si on veut sortir de la domination.

Un féminisme qui se remet en question au lieu de sans cesse se défendre.

Un féminisme qui sait qu’il ne s’agit pas de l’emporter, mais de continuer à avancer pour le bien de toutes.

Je choisis ce féminisme-là, empreint d’humilité, qui choisit de se mettre à la place de l’autre femme au lieu de se reposer sur ses lauriers.

Je n’ai rien à faire d’un féminisme de la tour d’ivoire.

Je n’ai rien à faire d’un féminisme qui, au lieu de se situer dans le temps et dans l’espace, au lieu de prendre en compte les spécificités de notre contemporanéité, préfère se terrer à l’ombre d’un « je me souviens ».

Je n’ai rien à faire d’un féminisme qui flirte avec l’envie, la haine, le mépris, la vengeance et la violence.

Moi aussi, je choisis mon camp. Et mon camp, c’est celui de mon amie.

En cette journée du 8 mars, chère Madame la Ministre, je vous souhaite à vous aussi de vous ranger du côté de l’amitié.

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