Le fabricant québécois de meubles a bien changé en 10 ans : plus petit, plus niché et plus techno. Il n’avait pas le choix s’il voulait survivre à la tempête qui a frappé à compter de 2005. Bonne nouvelle, les vents redeviennent favorables et avec eux reprennent les investissements et la création d’emplois.
« J’ai une belle croissance, en haut de 20 % en 18 mois », se réjouit au téléphone Daniel Walker, qui a racheté en 2014 le fabricant haut de gamme de sofas et de meubles rembourrés Jaymar, de Terrebonne, une ancienne division de Shermag, qui avait été reprise par Bermex en 2009 avant d’être essaimée.
Il est loin d’être le seul à renouer avec la croissance. Le fabricant de meubles prêts à assembler de Sainte-Croix-de-Lotbinière qui vend sur l’internet, Meubles South Shore, a connu une progression de ses revenus de plus de 30 % de 2012 à 2015.
Chez le fabricant de mobilier en métal Amisco, de L’Islet, dans Chaudière-Appalaches, la directrice marketing, Laura-Émilie Côté, parle d’une « explosion » des ventes en 2015.
Amisco et South Shore rentrent de High Point, en Caroline-du-Nord, le salon du meuble de maison d’envergure en Amérique du Nord qui se tient deux fois l’an, en avril et en octobre. Belle occasion de faire le point sur une industrie où le Québec accapare 45 % de la production canadienne tout en employant 22 000 personnes.
Entendre des entrepreneurs dans le meuble parler de croissance de 20, 30, voire 40 %, c’était inimaginable il y a quelques années à peine, quand les fermetures se succédaient sans interruption : Meubles Beaucerons (2007), Groupe Cabico (2008), Meubles Morigeau-Lépine (2008), Meubles Laurier (2009), Berkline (2009), Meubles Villageois (2011), Meubles Baronet (2011) et Industries A.P. (2013).
Au cours de cette période sombre, le meuble « fabriqué au Québec » a été frappé à la fois par la concurrence chinoise bon marché, la montée du et la grande récession aux États-Unis.
« Ça fait un an qu’on voit le début de la reprise. »
— Pierre Richard, PDG de l’Association des fabricants de meubles du Québec (AFMQ)
Malgré l’embellie, l’industrie a quand même connu deux dépôts de bilan en 2015 : Industries A.P., qui s’était relancé avec un nouveau concept, et les matelas Sommex, de Trois-Rivières.
M. Richard est persuadé que ce sont les dernières faillites. La croissance est au rendez-vous chez nos voisins du Sud. Les résistants à la déferlante chinoise ont établi des niches de marché où ils sont concurrentiels. Qui plus est, la baisse récente du huard rend tout le monde plus productif.
« La majorité de nos membres qui exportent aux États-Unis ont une augmentation concrète de leur chiffre d’affaires depuis sept à huit mois, indique M. Richard. Avec le dollar, ils ont des marges un peu plus intéressantes. »
Ce serait une erreur, toutefois, de penser que c’est le retour de la belle époque. « Non, ce n’est pas comme les années 90, où il n’y avait pas de Chinois, insiste David Fontaine, 42 ans, vice-président principal chez le fabricant de fauteuils berçants Dutailier, de Saint-Pie. La faiblesse du dollar canadien n’a aucun impact sur la présence des Chinois. Il faut se battre pour reprendre notre place sur le marché américain. »
Pour mieux batailler, les fabricants ressortent leurs projets d’achats de machinerie. a recensé pour 40 millions d’investissements en cours ou à venir auprès de huit fabricants. La plupart embauchent, pour un total de près de 200 nouveaux emplois.
Dans son rapport d’avril sur la politique monétaire, la Banque du Canada indique qu’elle s’attend à une injection de capitaux à partir de l’été dans une série d’industries, dont le meuble.
« La force de la devise américaine inévitablement nous favorise, ce qui nous aide à continuer à réinvestir dans l’organisation et à nous donner des plans d’affaires pour assurer le succès les années à venir », dit Sylvain Garneau, chef de la direction de Groupe Lacasse, fabricant de mobilier de bureau de Saint-Pie.
Mis K.-O. par la récession de 2008-2009, le bureau s’est relevé plus rapidement que le meuble de maison. « On remonte la pente depuis 2010 », précise M. Garneau, qui a racheté le groupe de l’américaine Haworth en 2012 en compagnie du fondateur Guy Lacasse et de son fils Robin.
À 100 millions, le chiffre d’affaires annuel est presque revenu à son sommet. Lacasse ambitionne de le doubler d’ici cinq ans.
Outre Lacasse, Huppé, de Victoriaville, a connu un changement de garde à sa tête. Ancien banquier, Jean-François Nolin a acquis l’entreprise en 2010 à 31 ans seulement. Rapidement, il a recruté un designer et ajouté des gammes de produits. Résultat : les ventes sont en progression de 65 % depuis son arrivée. En février, Huppé a lancé une gamme de meubles rembourrés (divans, fauteuils, etc.), fruit d’une entente stratégique avec la PME Italdivani, de Montréal.
« Nous voulons devenir une solution de rechange aux grandes gammes européennes », vise-t-il. Huppé se présente comme le seul fabricant nord-américain à offrir la catégorie complète de meubles contemporains pour la maison.
Au pire de la récession américaine, on craignait pour la survie du meuble québécois. La concurrence demeure féroce, quoi qu’il advienne au taux de change. Néanmoins, à écouter les entrepreneurs aujourd’hui, les prochaines années s’annoncent captivantes.