Dans la salle 14 du bloc opératoire de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, la fébrilité grimpe d’un cran. Il est 14 h et, depuis le matin, deux équipes de chirurgiens travaillent sans relâche autour de Mme Mimeault, maintenant sous anesthésie générale.
La première équipe, installée d’un côté de la table d’opération, s’affaire sur ce qu’on appelle le « site donneur ». Il s’agit d’un trou, pratiqué dans le cou de la patiente, d’où on prélèvera des ganglions. La Dre Marie-Pascale Tremblay-Champagne, assistée du Dr André Cholet, chef de la division de chirurgie plastique de l’hôpital, a patiemment dégagé la masse à prélever, coupant minutieusement chaque nerf et chaque vaisseau sanguin la reliant à son environnement. Le défi : ne pas endommager le réseau de canaux lymphatiques qui entoure les ganglions. Une fois transféré, ce réseau recréera des connexions dans son nouveau milieu et pourra évacuer le liquide en surplus du bras de Mme Mimeault.
« Les ganglions qu’on retire du cou ne sont pas nécessaires, explique la Dre Tremblay-Champagne. Ce sont des parties de rechange, si on veut. C’est la beauté de cette chirurgie. Il y a un bon potentiel d’améliorer la vie des patients, et le prix à payer est relativement bas. »
De l’autre côté de la table, deux résidents ont préparé le « site receveur ». Il s’agit d’un autre trou, pratiqué sous le bras gauche de Mme Mimeault, où on ira greffer les ganglions. En partie parce que l’opération est une première au Québec, la salle est pleine à craquer. On y trouve deux autres résidents, un anesthésiste, un inhalothérapeute et plusieurs infirmières, en plus du photographe et du journaliste de La Presse. Une caméra vidéo, installée au-dessus du lit par les gens de l’hôpital, filme aussi la scène. L’espace est si rempli que les mouvements doivent être savamment planifiés. L’infirmière Marjolaine Deschênes protège jalousement la table où se trouvent des dizaines de bistouris, ciseaux et pinces de toutes sortes, avertissant quiconque s’en approchant à moins d’un pied.
Un test crucial avant la greffe
L’opération arrive à une étape critique. La partie à retirer, qu’on appelle ici « lambeau », n’est plus retenue au cou de Mme Mimeault que par une veine et une artère. La Dre Tremblay-Champagne montre la masse de chair plus petite qu’un poing. « Quand je passe ma main là-dedans, je sens toutes sortes de petites bosses à travers la graisse. Ce sont les ganglions. Vous voyez cette espèce d’ovale mauve ? Ça, c’est un ganglion », dit la spécialiste en montrant une masse de la taille d’une fève de haricot. Le lambeau, estime-t-elle, contient une dizaine de ganglions.
Avant de le retirer complètement et de le transférer au site receveur, l’équipe veut maintenant vérifier que le lambeau est bien vascularisé. « On veut s’assurer qu’il y a assez de sang qui passe dedans », explique la Dre Tremblay-Champagne. Pour ça, l’anesthésiste injecte un produit de contraste dans les veines de la patiente. La Dre Tremblay-Champagne approche une caméra spéciale munie d’un laser, qui pourra voir comment le produit de contraste circule dans le lambeau. Pour éviter la contamination, la caméra est complètement emballée dans une pellicule de plastique. On ferme les lumières de la salle d’opération, puis la Dre Tremblay-Champagne examine les résultats sur un écran.
« C’est coloré. On est corrects, c’est vascularisé », annonce la Dre Tremblay-Champagne à la ronde. Dans la salle, on se prépare déjà au transfert du lambeau. Des collègues incitent la chirurgienne, qui est enceinte de son premier enfant, à prendre une pause pour dîner ou à s’asseoir quelques minutes. « Je veux juste finir l’étape critique », répond-elle.
Une heure plus tard, la veine et l’artère qui relient le lambeau au cou de Mme Mimeault sont coupées. « Est-ce qu’on peut noter l’heure, s’il vous plaît ? » demande la Dre Tremblay-Champagne. Il est exactement 14 h 59 et 12 secondes quand la chirurgienne soulève le lambeau. Plusieurs résidents prennent des photos avec leur téléphone. Les précieux ganglions sont transférés au site receveur. Là, un important travail commence : connecter le lambeau à la veine et à l’artère qui ont été dégagées sous le bras.
Un tel travail de précision se fait au microscope. Celui utilisé par les médecins possède deux oculaires. La Dre Tremblay-Champagne et le résident Mihiran Karunanayake, face à face, y plongent les yeux simultanément et commencent les manœuvres. De l’autre côté, on s’affaire à refermer le site donneur. La Dre Tremblay-Champagne finira par aller prendre le lunch en fin d’après-midi. L’opération se terminera vers 19 h. Mme Mimeault sera réveillée à 20 h 45, après 10 heures sous anesthésie générale.