Rétablir les faits

Je ne suis pas une personne matinale, même que je déteste me lever le matin. Quand mon réveil sonne, je snooze, je snooze et je snooze !

Sauf mercredi dernier. Mercredi, je me suis réveillée en tremblant, le stress qui engourdit mon visage, ma mâchoire qui refuse de se relâcher.

J’étais terrorisée. Terrorisée à l’idée que les gens ne comprennent pas.

Dans les dernières semaines, j’ai accepté de participer à une enquête journalistique de La Presse et du 98,5 pour une seule raison. Depuis deux ans, chaque fois qu’un article sur Julien Lacroix est publié, il y a une voix dans ma tête qui me dit :

« Mais kessé que tu fais là !? »

En 2020, j’ai été, anonymement, une des neuf dénonciatrices de Julien Lacroix dans Le Devoir. Cet automne, j’ai accepté de prendre la parole et de raconter mon histoire à nouveau parce que je ne voyais pas d’autre option pour rétablir les faits.

Un article du Devoir paru en juillet 2022, au sujet de la tentative de retour de Julien, m’a particulièrement dérangée. Il y était inscrit qu’aucune de ses victimes n’avait voulu commenter. Techniquement, je suis comptabilisée dans les neuf victimes. Comment se faisait-il qu’il fût indiqué que je n’avais pas voulu commenter, alors qu’on ne m’avait jamais contactée ? C’était soudainement clair pour moi. Depuis deux ans, on m’utilisait pour gonfler un chiffre sans réellement m’écouter, ils n’avaient pas besoin de mes commentaires, ils avaient juste besoin de mon histoire.

J’ai contacté la journaliste du Devoir afin de me retirer du chiffre neuf. Je lui ai mentionné que j’étais inconfortable, que je n’aurais jamais dû être considérée dans les victimes vu la nature de mon témoignage. Elle m’a dit ne pas pouvoir modifier les articles puisqu’au moment des publications, je me considérais comme telle.

Ce qui est étrange, c’est que je ne m’étais jamais considérée comme une victime jusqu’à ce qu’une personne, qui était mon amie à l’époque, me convainque de raconter mon anecdote à une journaliste. Elle était là pour faire avancer la cause, qu’on me disait. Je voulais faire avancer la cause moi aussi, mais pas de là à devenir une victime.

Mercredi, je suis sortie de l’anonymat pour corriger les faits des deux dernières années. Je ne suis pas une victime. Le Devoir et une amie m’ont donné ce rôle, et je ne veux plus faire semblant d’être indifférente.

Depuis mercredi, on parle beaucoup, mais on n’échange pas. Beaucoup de paroles, si peu de dialogue.

Ouvrir le dialogue, surtout en ce moment, c’est difficile. Je ne veux pas brusquer quelqu’un, je ne veux pas sembler insensible, je ne veux pas faire reculer une cause importante.

Quand je pense aux tournants de ma vie, les moments qui m’ont assez brassée pour que je change et que je devienne une meilleure personne, ils ont tous un point commun : ce sont des moments que j’aurais préféré ne jamais vivre.

Pour beaucoup, prendre connaissance de l’enquête de cette semaine, c’était inconfortable, confrontant, décourageant. Ça nous a brassés, assez pour qu’on se dise collectivement que les choses doivent changer.

Dans les dernières années, le mouvement #moiaussi m’a encouragée à m’exprimer quand je vois des comportements problématiques, à dénoncer. Ce mouvement m’a remplie de courage à coup de #jetecrois.

Pourtant, cette semaine, ce même mouvement m’a dit :

On t’encourage à parler, mais pas de toute, tsé

Oui, être courageuse, mais juste dans certains contextes !

#jetecrois, mais pas à propos du truc que tu viens de dire…

J’ai dit que je n’étais pas une victime et le mouvement qui m’a donné tant de force dans les dernières années refuse de me croire. Et même, il insiste pour me dire que j’ai tort, que je suis une victime.

Je n’aurais jamais dû faire partie des neuf femmes. Remettre ce fait en question en disant que je suis quand même une victime démontre un grand manque d’écoute et une fermeture au réel dialogue qui devrait avoir lieu en ce moment.

Je cite Martine Saint-Victor, qui en commentaires à propos du nouveau livre de Michelle Obama lors de son passage à l’émission 24/60 du 18 novembre a dit : « […] une partie du féminisme, c’est d’avoir le choix ».

Nous avons tous et toutes le choix. J’ai choisi de dénoncer une injustice. J’ai choisi de me réapproprier mon histoire. J’ai choisi de dénoncer une erreur qui a été commise, de dénoncer la manipulation que j’ai subie pour être « du bon côté de la bataille ».

« Mais kessé que j’fais là ?! »

Je suis là pour qu’on jase, même si ça brasse des affaires en dedans. C’est ça que j’fais là.

Alors, pourquoi n’essaierait-on pas de trouver ce qu’on peut faire ensemble plutôt que contre ?

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.