CARTE BLANCHE

Le jour de la marmotte

Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent, à tour de rôle, leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à Jérôme Dupras.

Fin août, le Canada recevait la visite du chancelier allemand Olaf Scholz pour discuter de questions énergétiques. Comme tout le monde sait, en raison de la guerre en Ukraine, l’Allemagne vit une grave crise du gaz et le chancelier est en mission pour sécuriser des approvisionnements. Après avoir exploré ses options au Moyen-Orient et aux États-Unis, il était donc au Canada pour y magasiner son énergie.

Au Sommet du G7 tenu à la fin de juin et en prévision de la visite du chancelier au Canada, on a ressuscité l’idée de nombreux projets de gaz naturel dans l’est du Canada, dont le très médiatisé projet GNL Québec au Saguenay, qui avait été refusé par Québec en décembre dernier. On a donc profité du contexte géopolitique et de la crise européenne pour faire revivre ou planifier l’annonce de projets contestés. Après quelques semaines de discussions, on s’est vite rendu compte de l’infaisabilité technique, économique et du manque d’acceptabilité sociale pour la relance de tels projets, au Québec notamment.

Ainsi donc, le chancelier et le premier ministre se sont « revirés sur un 10 cents » et plutôt que de plancher sur des exportations de gaz naturel, ils ont plutôt ciblé l’hydrogène vert. Bien qu’imparfait, l’hydrogène vert est certainement beaucoup mieux que le gaz naturel dans une perspective de transition énergétique. Il constitue aussi un formidable potentiel de décarbonation pour certains secteurs, comme pour les sites non reliés au réseau électrique, telles les mines éloignées qui produisent actuellement leur électricité avec du diesel.

De là à dire que l’on peut passer à une production massive, dans une perspective d’exportation, c’est une tout autre histoire. Rappelons-nous qu’à l’heure actuelle, la filière de l’hydrogène au Canada, tout comme au Québec, est presque exclusivement composée d’hydrogène gris (produit à partir d’énergies fossiles). Avant de devenir un acteur majeur de l’hydrogène vert sur la scène continentale et internationale, il reste de nombreuses croûtes à manger : baisse des coûts de production, développement d’infrastructures de transport terrestre et maritime majeures, sécurisation des procédés et du transport, limitation des fuites qui contribuent aux changements climatiques, stabilisation de la demande, et ce n’est que le début des obstacles qui se dressent sur le développement de la filière.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le Canada vise gros dans son objectif de fournir significativement l’Allemagne, même à moyen terme.

Au-delà de son caractère surprenant, cette volte-face est symptomatique de quelque chose de plus profond au Canada : la nature même du développement de notre économie. Dans la désormais célèbre pièce de théâtre J’aime Hydro, Christine Beaulieu lance qu’Hydro-Québec a le syndrome du castor. On fait des barrages, sans savoir si on a besoin de barrages.

De façon similaire, l’économie canadienne est une marmotte qui creuse des trous. Depuis plus de 200 ans, nous creusons des trous. Des trous pour exploiter la forêt, puis les mines, le pétrole, le charbon, le gaz et maintenant pour y enfouir des centaines de kilomètres de pipelines pour transporter de l’hydrogène liquide. Aujourd’hui encore, quand la marmotte canadienne sort de son trou et qu’on lui parle d’efficacité énergétique, elle y retourne pour deux ou trois mandats.

Or, les experts sur le climat et en environnement d’ici et de partout ailleurs dans le monde sont catégoriques : nous ne pouvons plus continuer à développer nos économies de la même façon. Le faire serait considérer que la disparition de centaines de milliers d’espèces et les impacts meurtriers et irréversibles des changements climatiques sont la conséquence normale d’impératifs économiques au service d’une élite. Construire plus d’autos, même si elles sont électriques, n’est pas une solution durable.

Produire plus d’énergie, malgré son empreinte carbone plus faible, n’est pas non plus une solution durable si elle ne s’accompagne pas d’une réflexion honnête qui considère les dynamiques sociales et naturelles, aux échelles locales comme globales.

Après le départ du chancelier s’est ouverte une campagne électorale au Québec. On y parle bien sûr de la nécessité de construire de nouvelles autoroutes ou de notre dépendance au pétrole pour encore une ou deux décennies, mais de grâce, d’ici le 3 octobre, faisons preuve d’un peu d’originalité et évitons le jour de la marmotte. En campagne électorale, une discussion sur la sobriété et l’efficacité énergétiques est certes moins accrocheuse qu’annoncer une pluie de millions pour de nouveaux projets, mais gardons en tête qu’elles demeurent parmi les premières stratégies à adopter en matière de lutte contre les changements climatiques.

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