Des idées fraîches

Retour vers le futur : les bouteilles de lait consignées de La Pinte

Des nouvelles méthodes dans les champs jusqu’aux produits nouveau genre, l’innovation est à l’honneur dans l’agroalimentaire. Tout l’été, notre chroniqueuse vous présente des entreprises aux idées fraîches.

Pourquoi cette entreprise ?

Installée dans un ancien salon de quilles d’Ayer’s Cliff, dans les Cantons-de-l’Est, La Pinte est une laiterie moderne, qui a commencé à fonctionner commercialement en 2016 et dont la mission est non seulement de vendre du lait « savoureux de qualité supérieure », mais aussi de le vendre dans des bouteilles de verre consignées, comme on le faisait jadis.

Les produits

Du lait, du lait au chocolat, de la crème.

Leur caractéristique ? Deux choses. D’abord leur qualité. La Pinte propose deux sortes de lait : du lait biologique et du lait de vaches Jersey, des vaches brunes qui produisent du lait particulièrement riche et protéiné, rarement vendu comme tel au Québec, vu la mise en commun des laits généralement faite par les grands distributeurs.

Ici, La Pinte paie un transport séparé pour être sûre de n’avoir que le lait de Jersey de deux fermes spécifiques, dont celle de Baldwin Mills, dans les Cantons-de-l’Est, où un des copropriétaires a grandi. La Pinte propose aussi depuis cette année du lait de Holstein, mais biologique. Les Holstein, ce sont les vaches noir et blanc qu’on voit beaucoup dans les campagnes. 

L’autre caractéristique des produits de La Pinte, c’est qu’ils sont tous vendus dans des bouteilles de verre consignées, dont la forme évoque celle des anciennes bouteilles de verre de l’époque où c’était la façon la plus habituelle de vendre du lait (avant que les pots de carton et les sacs plastique arrivent). Il faut faire un dépôt de 2 $ pour chaque bouteille, qu’on rapporte ensuite chez le détaillant. Le distributeur récupère ensuite les bouteilles et les rapporte à La Pinte où elles sont lavées et réutilisées une trentaine de fois. Entre 70 % et 80 % des bouteilles reviennent, affirme Pascal Valade, un des cofondateurs. 

Les prix de ces produits : 2,99 $ pour le litre de Jersey, 3,99 $ pour le litre de lait bio, 4,59 $ pour 500 ml de crème. À cela, on ajoute la consigne de 2 $.

Les gens

L’entreprise a été fondée par trois amis, dont deux y travaillent encore à temps plein. Le troisième a dû se retirer du projet à cause d’ennuis de santé. Rémi Ducharme, 34 ans, et Pascal Valade, 37 ans, se connaissent depuis toujours. Ils ont grandi ensemble. La mère de Rémi coiffait celle de Pascal quand ils étaient enfants. Le grand-père de Rémi était fermier à Way’s Mills, à une douzaine de kilomètres de Baldwin Mills où Pascal a grandi, dans une ferme laitière.

Aujourd’hui, Pascal est comptable de formation et il a travaillé plusieurs années à la Laiterie de Coaticook – d’où vient la fameuse crème glacée – avant de se lancer dans le projet La Pinte. Rémi, lui, a obtenu un bac et une maîtrise en marketing à l’Université de Sherbrooke. Il travaillait dans le recyclage de pneus avant de lancer La Pinte. Les deux ont travaillé sur le projet, de 2014 à 2016, en marge de leurs emplois, avant de se lancer à temps plein, en investissant principalement leurs propres économies et en remerciant le ciel pour l’aide de leurs voisins, une entreprise d’électriciens, un fabricant d’équipements de déneigement et une marina, qui ont tous aidé les petits nouveaux à leur façon. 

Parce que même si des équipements de pointe ont été achetés – notamment le pasteurisateur en continu –, La Pinte compte aussi des machines d’occasion retapées à la main avec l’aide de leur ami Martin, un ancien distributeur de tels appareils. La laiterie compte en outre 10 employés dont certains travaillent au café et bar laitier ouvert au public, à la laiterie, rue Westmount, à Ayer’s Cliff.

Les défis

Faire accepter la consignation par les détaillants et les distributeurs et faire accepter la différence entre le lait « industriel » et le lait « artisanal » par les consommateurs. Pour les distributeurs, explique Pascal, ça peut sembler compliqué d’ajouter une étape à leur routine : embarquer des bouteilles pour la réutilisation dans les mêmes caisses que celles laissées pleines au moment de la livraison précédente. Le retour au camion ne se fait pas les mains vides. Pour les détaillants, il faut gérer l’argent de la consigne et la récupération des bouteilles. Ils le font déjà pour la bière, il faut les convaincre que ce n’est pas plus compliqué. Autre défi : trouver des façons de commercialiser ce lait artisanal, tout en gardant les consommateurs convaincus. La Pinte aimerait, par exemple, tester des produits non homogénéisés, mais la clientèle est-elle prête à la couche de crème sur le lait ? Le lait au chocolat ? On y ajoute un peu de carraghénane, un léger liant et épaississant extrait d’algues, qui assure une texture uniforme. « On devait déjà faire accepter que notre lait au chocolat soit moins sucré que les autres laits au chocolat », explique Pascal. « On ne voulait pas avoir en plus à faire accepter les dépôts de cacao », ajoute Rémi. Cela dit, même si l’entreprise met en marché du lait à l’ancienne, Rémi Ducharme tient à préciser que pour la mise en marché, l’entreprise, déjà rentable, est bien d’actualité.

L’avenir

Rémi Ducharme et Pascal Valade travaillent fort, mais tiennent à garder une certaine qualité de vie. Ils ont tous les deux une jeune famille. Donc leur avenir, ils le voient dans l’équilibre. Veulent-ils conquérir le Québec avec leur lait ? Pas nécessairement. D’autres laiteries régionales font du très bon travail, disent-ils. Aussi, ils veulent rester dans un champ d’action, une niche, qui leur permet de cohabiter sans difficulté avec les plus grands acteurs. Pour le moment, ils embouteillent leur lait seulement pendant deux journées. « On fait fonctionner nos machines pendant trois heures, mais ça prend deux heures pour les laver », dit Pascal. Donc on concentre tout en même temps. Les deux complices se perçoivent comme une microbrasserie, avec des produits spécifiques, sur un marché spécifique. « On s’interroge », disent-ils, sur la stratégie future. Mais pour le moment, le développement de nouveaux produits semble l’avenue privilégiée. Le yaourt, peut-être ? « On mijote ça. » La prochaine étape sera probablement la mise en marché d’une bouteille de deux litres. Parce que La Pinte ne veut pas offrir un lait de luxe, un produit des grandes occasions, mais bien un lait du quotidien, de grande qualité, dans des bouteilles écologiquement plus logiques que le jetable non compostable.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.