La nuit, Aïcha Fartas s’entasse avec ses trois filles dans l’unique lit de l’appartement. Dans la noirceur, elle ne dort pas : elle retire les punaises de lit agrippées aux bras de ses filles. Et sanglote en silence. Il y a quelques mois, elle s’est résignée à jeter pour la seconde fois les lits infestés de punaises de ses enfants. Son logement est devenu son purgatoire et ces minuscules bestioles, ses bourreaux.
« Je ne peux pas vivre comme ça ! Les filles pleurent tout le temps. Elles me montrent les punaises et les enlèvent sur elles. C’est moralement dégueulasse ! », souffle-t-elle, les larmes aux yeux. Celle qui élève seule ses trois filles de 6, 7 et 15 ans lance un cri du cœur. « Si je reste, on va rester malades et les enfants n’auront pas une bonne vie », confie-t-elle, désemparée. Il y a deux ans, elle a recommencé sa vie à zéro, seule avec ses filles. Elle aura finalement troqué un enfer contre un autre.
Impossible de manquer les punaises de lit sur les murs du salon d’Aïcha Fartas. En plein jour, des punaises de quelques millimètres continuent de ramper tout près de l’amoncellement de poudre chimique déposée par l’exterminateur embauché par le propriétaire il y a quelques jours. Des cadavres de punaises noircissent le pied du mur partout dans le petit logis. a même vu des punaises sur le plancher, lors de sa visite samedi dernier. « Partout ! Il y en a partout ! », lance Aïcha Fartas.
Les quatre habitent depuis deux ans dans un appartement privé de l’arrondissement de Saint-Laurent choisi et subventionné par l’Office municipal d’habitation de Montréal (OMHM). Aïcha Fartas supplie les autorités depuis des mois de lui trouver un autre appartement pour que ses filles ne soient plus malades. « J’ai eu plein de marques et de boutons partout. Je me gratte », dit candidement l’énergique Jasmine, 6 ans, pendant l’entrevue.
La fillette et ses deux sœurs ont d’ailleurs régulièrement des marques rougeâtres au visage ou sur les bras en raison des punaises de lit, selon Aïcha Fartas. Il y a quelques semaines, la situation est devenue encore plus critique : un médecin a retiré une punaise qui s’était frayé un chemin dans l’oreille de la mère de famille. « On ne peut pas vivre comme ça ! Je suis une mère seule avec trois enfants ! », lance Aïcha Fartas, désespérée. Puisqu’elle ne travaille pas, elle n’a pas les moyens de se passer de la subvention du programme de supplément au loyer de l’OMHM.
Le déménagement de M Fartas est une « priorité » pour l’OMHM, explique le directeur des communications, Mathieu Vachon.
« La situation des punaises de lit est réelle, nous sommes au courant. Nous avons l’obligation que madame habite dans un logement décent. »
— Mathieu Vachon
Or, note-t-il, elle a refusé un appartement proposé en novembre dernier dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce, puisqu’elle exigeait d’habiter dans Côte-des-Neiges, un quartier voisin où les appartements adéquats sont rares.
« L’appartement était très vieux et le train passait juste à côté. Je suis seule avec trois enfants, je veux une place qui est proche de l’autobus », se défend Aïcha Fartas. Mais depuis novembre, l’invasion de punaises a dégénéré et elle est maintenant prête à déménager dans n’importe quel appartement décent. « Si je pars, je prends mes filles et je laisse tout derrière », assure-t-elle.
Toutefois, selon l’OMHM, M Fartas a « beaucoup de critères » et tient à déménager dans les quartiers Côte-des-Neiges ou Saint-Laurent. Or, la nouvelle arrivante ne propose pas d’autres quartiers, simplement parce qu’elle ne connaît pas les autres secteurs de la métropole. « On veut vraiment s’assurer que cette dame puisse quitter les lieux dès que possible. En même temps, il faut travailler avec ses priorités et ses choix de secteur », indique Mathieu Vachon.
Yeshua Moscowicz est le président de la société propriétaire de l’immeuble où habite M Fartas sur la Place Benoît, dans une enclave résidentielle en plein quartier industriel. Il se défend d’avoir été négligent. « Nous avons travaillé très fort au cours des derniers mois pour nettoyer les appartements. Il y avait de sérieux problèmes. L’ancien gestionnaire n’était pas très bien », dit-il au téléphone.
Le nouveau gestionnaire, Joel Teller, soutient qu’Aïcha Fartas a refusé à trois reprises l’accès à son appartement aux exterminateurs. « Maintenant, c’est la seule qui a des punaises de lit parce que nous avons fait tout le reste de l’immeuble à trois reprises dans les derniers mois. Elle a toujours dit : “Je n’en ai pas, je n’en ai pas.” Et maintenant, elle est infectée ! », assure-t-il, offusqué. Bémol toutefois à l’OMHM. « Le travail qui devrait être fait [par le propriétaire] n’a pas été fait à notre satisfaction. C’est pour ça qu’elle est en priorité », explique Mathieu Vachon.
Aïcha Fartas nie fermement les accusations du gestionnaire. « Ce n’est pas vrai ! C’est moi qui ai appelé le concierge ! J’ai refusé une seule fois parce que mes filles étaient malades, alors je ne voulais pas de produits chimiques à la maison. Mais il est venu une semaine plus tard sans problème », indique-t-elle, renversée. Elle s’indigne d’ailleurs que M. Teller l’ait appelée à la suite de son entrevue avec . « Il m’a dit : “Le propriétaire est fâché, pourquoi tu as appelé un journaliste ?” »
À la suite de l’intervention de le propriétaire a pris des mesures pour tenter d’exterminer complètement les punaises de lit dans l’appartement de M Fartas. Depuis lundi, celle-ci séjourne temporairement chez une amie pour la durée du traitement.
EN CHIFFRES
3,4 %
Proportion de logements aux prises avec des punaises dans l’île de Montréal en juin 2014
11 772
Nombre de logements traités contre les punaises de lit à Montréal entre le 15 juin 2015 et le 14 juin 2016
4202
Nombre d’inspections de logements réalisées par la Direction de l’habitation de Montréal en 2015
1844
Nombre d’interventions contre des punaises de lit réalisées par l’OMHM en 2015
Sources : Direction de santé publique de Montréal, OMHM, Ville de Montréal