La « duraflation », vous connaissez ?

Les défis tout au long de la chaîne d’approvisionnement, comme la fermeture des frontières, compromettent la durée de conservation des produits alimentaires au point d’achat. Si les consommateurs ne font pas attention, ils peuvent être victimes de « duraflation ».

À ce jour, vous avez peut-être entendu parler de la « réduflation ». Une stratégie d’emballage fréquemment utilisée par les grandes entreprises pour réduire volontairement les quantités sans modifier le prix. Cela dure depuis des années et le consommateur a l’illusion d’acheter la même quantité du produit alors qu’en fait, elle a diminué avec le temps. Toutefois, le phénomène plus récent de la « duraflation » (shelflation en anglais) s’observe lorsque les chaînes d’approvisionnement ne fonctionnent pas de manière optimale et que les produits alimentaires n’ont plus la même fraîcheur que d’habitude lorsqu’ils arrivent chez le détaillant. Ils sont parfois un peu trop mûrs, privant l’acheteur d’une certaine durée de conservation nécessaire à la maison.

Selon un récent sondage réalisé par l’Université Dalhousie, 63 % des Canadiens sondés ont déclaré avoir jeté de la nourriture de façon précoce, au cours des six derniers mois, au moins une fois. Sur la base des catégories d’aliments, le pourcentage le plus élevé concernait les fruits et légumes à 45 %, suivis des produits laitiers à 31 %. Les produits de boulangerie venaient en troisième position à 27 % et la viande se retrouvait quatrième à 17 %. En dollars, selon les résultats du sondage, nous estimons que les Canadiens pourraient avoir jeté prématurément de la nourriture à la maison pour une somme allant de 305 à 545 millions de dollars au cours des six derniers mois. C’est énorme !

Se défaire de produits avant les dates d’échéance peut arriver de temps à autre, mais une fréquence aussi élevée est plutôt inhabituelle. De nombreux Canadiens ont récemment remarqué que certains de leurs fruits et légumes préférés ne sont plus aussi frais qu’avant et mûrissent beaucoup plus tôt.

Les tempêtes de neige, les pénuries de main-d’œuvre, les problèmes d’approvisionnement liés à certains ingrédients ou encore les problèmes d’emballage peuvent affecter les aliments périssables, pandémie ou non. Ces temps-ci, on ne peut s’empêcher de penser aux frontières bloquées qui ralentissent les livraisons et diminuent par le fait même la durée de vie des produits alimentaires qui se retrouvent sur les tablettes de votre épicier.

La « duraflation » devient en effet assez fréquente et les pandémies ne constituent pas le seul moyen de compromettre la durée de conservation d’un produit. Les retards dus aux conditions météorologiques, aux catastrophes naturelles (comme celles qui ont touché la Colombie-Britannique l’an dernier), aux conflits de travail, aux rappels massifs ou aux pannes d’équipement peuvent perturber l’efficacité d’une chaîne d’approvisionnement. Les chaînes froides, maintenues entre 2 et 8 °C, responsables de la fraîcheur des denrées périssables de la ferme au magasin, peuvent également défaillir pour une raison ou une autre. Les pannes mécaniques, les obstacles à l’extérieur de l’entrepôt ou les températures anormalement chaudes peuvent raccourcir la durée de vie des produits ou même les abîmer avant qu’une expédition n’atteigne sa destination.

De toute évidence, la pandémie a perturbé les chaînes d’approvisionnement alimentaire mondiales à plusieurs égards, il ne faudrait donc pas nous surprendre si la « duraflation » s’observe plus souvent. Demander aux entreprises alimentaires de fonctionner avec moins de personnel entraîne éventuellement des retards en cours de route et, bien sûr, plus de gaspillage. De plus, les déchets à la maison contribuent certainement à l’augmentation des coûts alimentaires pour tout le monde.

Une famille moyenne de quatre personnes dépense environ 14 000 $ en nourriture par an et elle consacre au moins 50 % de ce total aux denrées périssables. En gaspiller une bonne partie peut coûter cher.

La durée de conservation d’un produit se définit par le temps qui s’écoule entre la production et la date de péremption. La durée de conservation des aliments hautement périssables se fixe de manière plutôt prudente pour garantir la sécurité alimentaire. Les dates de péremption sont essentielles à la structure même de notre système alimentaire et les technologies modernes ont fait des merveilles pour prolonger la durée de conservation de bon nombre de nos produits. Mais il y aura toujours des imprévus.

Le gaspillage alimentaire représente un enjeu majeur dans notre économie. Au Canada, on gaspille environ 2,2 millions de tonnes d’aliments comestibles par année. Les causes les plus fréquentes de gaspillage de denrées périssables chez un détaillant se résument par l’excès de stock, la demande imprévisible des consommateurs, un contrôle de qualité inadéquat et la manipulation des produits. Aggravée par les problèmes en amont de la chaîne alimentaire, la périssabilité des aliments ne donne pas beaucoup de chance aux commerçants. Ainsi, mettre le blâme uniquement sur le détaillant peut être mal placé.

La fraîcheur et la qualité des denrées périssables varient évidemment en fonction de la région où vous vivez et de l’endroit où vous magasinez, puisque certaines régions se trouvent mieux desservies que d’autres. Mais contrairement à la « réduflation », la « duraflation » peut être évitée. Se rendre à l’épicerie une fois par semaine ou toutes les deux semaines ne s’avère pas la meilleure tactique d’achat à privilégier en ce moment. Par contre, effectuer deux ou trois visites par semaine à l’épicerie permet d’acheter le nécessaire pour les deux ou trois jours à venir, ce qui réduit le gaspillage. S’ajuster selon l’efficacité des chaînes d’apprivoisement peut s’avérer payant.

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