Mettre fin à l’obsession du bulletin chiffré

Seriez-vous vraiment meilleur au boulot si votre patron notait votre travail en pourcentage toutes les semaines et comparait sans cesse vos notes à celles de vos collègues ?

Vous seriez tenté d’obtenir des résultats à court terme, de prendre moins de risques, et l’ambiance pourrait s’alourdir. C’est pour ça que les patrons ne vous épient pas continuellement avec leur calepin de notes.

C’est pourtant ce qu’on fait à l’école avec nos enfants dès la première année du primaire, à 6 ans.

Depuis 2012, tous les enfants québécois ont des bulletins chiffrés au primaire et au secondaire. Ce système d’évaluation clair est apprécié des parents.

La semaine dernière, la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement (FQDE) a demandé au gouvernement Legault de faire ce que la plupart des experts recommandent : mettre fin aux bulletins chiffrés. Ils aimeraient passer à des bulletins où on évalue davantage les compétences.

Le nouveau ministre de l’Éducation Bernard Drainville a vite mis fin au débat. « Les bulletins chiffrés et les moyennes de groupes sont là pour rester. […] Je n’ai pas le goût de rouvrir ce débat-là », a-t-il dit.

Dommage ! On aurait intérêt à remettre en question notre obsession des bulletins chiffrés, particulièrement à l’école primaire.

On entend déjà certaines personnes hurler leur indignation devant cette proposition. On ne vit pas dans une société de Calinours ! On ne doit pas surprotéger nos enfants !

On se calme.

En Finlande, les enfants n’ont pas de bulletins chiffrés avant 13 ans. Les jeunes Finlandais sont évalués par une série de critères rigoureux, et ce pays nordique a l’un des meilleurs systèmes d’éducation au monde (4en lecture, 13en maths, 5en sciences, des résultats comparables au Canada et au Québec).

Le Conseil supérieur de l’éducation (CSE), les associations de directeurs d’écoles, des experts universitaires (Isabelle Nizet à Sherbrooke, André-Sébastien Aubin à l’UQAM) arrivent sensiblement tous à la même conclusion : on évalue trop et mal nos élèves au Québec1. Le système « nourrit un rapport malsain à l’erreur », selon le CSE. Les profs sont obligés de consacrer trop de temps à la préparation des examens. Jusqu’à 30 % du temps en classe, selon certains acteurs du milieu.

Depuis 2018, le Conseil supérieur de l’éducation (CSE) demande donc de revoir notre système d’évaluation, un avis que le gouvernement Legault ignore. On souhaite que la CAQ change d’idée et fasse une réforme du mode d’évaluation. Même si c’est politiquement sensible.

Dans toute réforme, le plus important est de réduire le temps et l’importance consacrés aux examens et aux bulletins. Si on évalue sans cesse, il y a moins de temps pour apprendre. L’évaluation doit être au service de l’apprentissage, et non l’inverse.

Pendant la pandémie, Québec a fait passer la formule de trois à deux bulletins par an. Il y a aussi une communication non chiffrée aux parents à l’automne (un bulletin non chiffré). On devrait revenir à la formule de deux bulletins et une communication à l’automne.

On doit aussi avoir une réflexion nationale, avec des experts, pour remplacer les bulletins chiffrés au primaire.

Attention : ça ne veut pas dire la fin des évaluations. Au lieu que votre enfant ait 61 % en maths et 75 % en français, le bulletin pourrait vous dire dans chaque matière quelles compétences votre enfant maîtrise très bien, bien ou pas du tout. Par exemple, on pourrait revenir au bulletin par notes (ex. : A pour « excellente maîtrise », B pour « maîtrise bien », C pour « en voie de maîtriser », D pour « ne maîtrise pas »).

Un tel système est moins stigmatisant pour les enfants avec des difficultés à l’école. Il est aussi clair pour les parents, qui savent s’il y a un problème, et quelle en est la nature exactement.

Toute réforme doit respecter ces deux objectifs centraux. On doit donner plus d’informations aux parents, pas moins.

Au primaire, où la confiance des enfants est plus fragile, il serait particulièrement opportun de revenir au bulletin par lettres. Ça nous apparaît moins essentiel au secondaire, mais attendons de voir ce que les experts ont à dire.

Les notes chiffrées ne disparaîtraient pas complètement : on les garderait pour les examens ministériels au primaire et au secondaire.

Procéder à une telle réforme demande du courage politique, vu la popularité du bulletin chiffré.

C’est plus simple pour le ministre Bernard Drainville de défendre le statu quo.

Ça ne veut pas dire les bulletins chiffrés sont toujours la meilleure option pour évaluer nos enfants à partir de 6 ans.

1. Consultez le rapport du Conseil supérieur de l’éducation « Évaluer pour que ça compte vraiment »

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