Essai

L’avocat des patients les plus vulnérables

Le scandale du CHSLD Saint-Charles-Borromée, la mort de Joyce Echaquan, l’affaire de l’hôpital Rivière-des-Prairies, l’aide médicale à mourir : l’avocat Jean-Pierre Ménard a été de (presque) tous les grands litiges judiciaires sur la santé au Québec.

Notre collègue Ariane Lacoursière a eu la bonne idée d’écrire la biographie de cet avocat craint, mais respecté. Mais attention, ce livre n’est pas seulement une biographie de l’avocat le plus réputé en droit de la santé au Québec. C’est aussi une recension de plusieurs des épisodes les moins glorieux de notre système de santé depuis les années 1980.

Avec sa plume vivante et précise, Ariane Lacoursière nous raconte les plus importants litiges de la carrière de Me Ménard. Des litiges où des patients vulnérables ont dû s’adresser aux tribunaux civils pour faire respecter leurs droits.

Par exemple, quand 88 patients avec une déficience intellectuelle au pavillon Saint-Théophile ont été victimes d’abus par les employés dans les années 1980. Il y régnait un « système d’exploitation financière et psychologue des bénéficiaires », a tranché le tribunal.

Quand il y a eu le triste scandale du CHSLD Saint-Charles-Borromée, au milieu des années 1990. Environ 600 résidants ont été mal traités dans cet établissement public. Au terme d’un règlement à l’amiable, ils se sont partagé 10 millions de dollars.

Quand le gouvernement du Québec a fait une enquête en 1999 sur les pratiques à l’hôpital Rivière-des-Prairies auprès de 500 patients vulnérables représentés par le Curateur public. Le rapport du groupe d’experts a conclu qu’on n’était pas dans un hôpital psychiatrique mais dans un univers « carcéral ».

Quand Joyce Echaquan, une mère de famille atikamekw de 37 ans, est morte dans des circonstances troublantes en 2020, sous les insultes du personnel soignant à l’hôpital de Joliette.

Quand Nicole Gladu et Jean Truchon ont fait appel aux tribunaux en 2017 afin d’obtenir l’aide médicale à mourir. Ce jugement a permis d’élargir l’aide médicale à mourir aux patients admissibles qui ne sont pas en fin de vie.

Ariane Lacoursière va toutefois au-delà des procédures judiciaires, des enquêtes publiques, des célèbres conférences de presse au cabinet d’avocats Ménard Martin, et des décisions des tribunaux. Au fil des pages, elle réussit aussi avec brio à nous faire découvrir un être bourru, entêté, mais sympathique.

Élevé dans un milieu populaire de l’est de Montréal (son père était camionneur), Jean-Pierre Ménard a un parcours atypique pour un récipiendaire de la Médaille du Barreau du Québec. Il n’était pas premier de classe, mais décrocheur au cégep. A fait l’armée. S’est fait renvoyer de chez Miracle Mart parce qu’il voulait y améliorer les conditions de travail. A commencé son droit comme étudiant adulte à 22 ans. N’a jamais travaillé dans un grand cabinet du centre-ville de Montréal, ayant plutôt établi son cabinet spécialisé en droit de la santé dans Hochelaga avec sa femme, MDenise Martin.

Le livre consacre aussi un chapitre à la plus dure bataille menée par Me Ménard : celle contre son cancer en 2018. Au départ, les médecins lui donnaient deux mois. Il est toujours en vie.

Ce livre est passionnant. Parce que les causes sont très bien vulgarisées. Et parce qu’on découvre la vie d’un avocat hors norme, ainsi que l’histoire des patients vulnérables qu’il a défendus durant sa carrière.

Extrait

« Le début des audiences de l’action collective [dans le dossier de la légionellose] est prévu pour septembre 2018. [...] La négociation de l’entente ne se fera pas dans des conditions normales pour Me Ménard. “J’étais à l’hôpital, je négociais avec la seringue dans le bras. Je ne leur disais pas. Je ne voulais pas que ça se sache”, dit-il. Dans le plus grand secret, l’avocat lutte à ce moment contre un cancer. Il est en plein traitement, mais il ne le dit à personne. “Je ne veux pas prêter de mauvaises intentions à mes adversaires, mais si tu sais que l’autre est au lit, tu ne fais pas de cadeaux”, remarque-t-il. »

Qui est Ariane Lacoursière ?

Journaliste d’enquête à La Presse, Ariane Lacoursière couvre le milieu de la santé depuis 15 ans. En 2021, elle a remporté le prix E. Cora Hind pour le journalisme spécialisé au Concours canadien de journalisme pour sa couverture de la santé et de la COVID-19. Elle a coécrit le livre 5060 : l’hécatombe de la COVID-19 dans nos CHSLD, publié chez Boréal en 2022.

Jean-Pierre Ménard – Le missionnaire du droit

Ariane Lacoursière

Éditions La Presse

253 pages

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