Makenzy Orcel

Le roman de l’insondable

Cette 45e édition du Salon du livre de Montréal marque le retour attendu d’auteurs étrangers dans la métropole. À quelques jours de sa venue, nous avons joint l’écrivain Makenzy Orcel à Paris pour lui parler de son nouveau roman, Une somme humaine, qui s’est retrouvé cet automne parmi les quatre finalistes du prix Goncourt.

Pendant trois ans, Makenzy Orcel a écrit sans répit, jour et nuit, cette histoire qui l’habite toujours. Une somme humaine est un roman envoûtant, dont les quelque 600 pages semblent avoir été écrites d’un seul souffle et qui a nécessité un travail acharné sur la langue pour donner la parole à une femme morte qui raconte sa vie. Une femme qui semble née sous une mauvaise étoile et qui, chaque fois qu’elle essaie de se relever, retombe à nouveau, encore plus bas.

« Je m’intéresse beaucoup à l’astronomie, aux étoiles et aux champs gravitationnels, souligne Makenzy Orcel. En mourant, l’étoile s’effondre sur elle-même et forme un trou noir. Et ce trou noir, pour moi, c’est comme la mort parce qu’on ne sait pas en parler. Les scientifiques ne savent pas ce qui se passe dans un trou noir, comme nous, les vivants, on ne sait pas ce qui se passe dans la mort. »

La mort est précisément le fil conducteur de ce récit qui traverse les années, de l’enfance terrible de cette femme dans une famille qui a été le premier théâtre de ses blessures jusqu’à son arrivée à Paris, à l’aube de l’âge adulte, où elle finit par chercher la mort.

« Chacun essaie de mettre des mots ou une image sur cet au-delà, sur ce lieu qui nous dépasse. Pour les chrétiens, après la mort, c’est le paradis. Pour les vaudouisants, ça n’existe pas ; la vie, c’est maintenant, là, les dieux sont dans les arbres, partout autour de nous. »

— Makenzy Orcel

La mort, Makenzy Orcel raconte l’avoir lui-même vue très tôt dans sa vie, en Haïti, sous toutes ses formes. « Quand on dit la mort, tout le monde a peur, mais il y a certaines morts qui sont plus dures que la mort physique. La mort sociale, la mort amoureuse, la mort familiale, la mort de la pensée, la mort d’un pays… Quelqu’un qui meurt lentement tous les jours, qui trime, qui souffre, qui pleure, qui espère, qui désespère, cette mort-là est encore plus dure, et c’est justement elle qui m’intéresse. »

Une trilogie de la mort

Une somme humaine est en fait le deuxième volet d’un cycle amorcé avec L’ombre animale, en 2016, et qui formera un triangle entre Haïti, la France et États-Unis – « la base même » de son imaginaire, explique Makenzy Orcel. Un projet ambitieux qui, à travers trois pays, trois cultures, trois histoires, trois mémoires et trois générations de femmes, cherche à explorer l’insondable.

« C’est une trilogie de la mort à partir de ces trois questions à la fois très simples et très complexes : qui suis-je ? Quel usage faire de ma présence au monde ? Et quel avenir m’attend ? »

— Makenzy Orcel

Si L’ombre animale retrace la vie d’une « très vieille femme haïtienne qui remonte le fleuve de sa vie depuis la mort », note-t-il, le troisième volet à venir reprendra la voix d’une adolescente afro-américaine dont l’histoire personnelle rencontre la grande Histoire, alors qu’Une somme humaine fait parler d’outre-tombe une jeune femme blanche, française, et ceux qui ont croisé son chemin à Paris. « Je suis haïtien, je vis en France depuis une dizaine d’années et j’avais envie de raconter cette France qu’on ne connaît pas forcément, qu’on ne voit pas, qu’on ne nous montre pas », dit-il.

Parmi la quantité de personnages immondes qui défilent dans la vie de la narratrice, il y en a pourtant un qui se distingue, ce jeune Malien dont la rencontre est d’une importance capitale aux yeux de l’écrivain. « Leurs deux histoires se ressemblent alors qu’ils sont de deux pays différents, de deux cultures différentes et de deux familles différentes », souligne-t-il. Des déracinés paradoxalement tout aussi étrangers dans cette ville où ils n’arrivent ni à s’accrocher ni à trouver leur place.

« L’idée de départ, quelque part, c’était ça : de montrer que la misère, la pauvreté ou la mort, ce n’est pas une spécificité haïtienne ; elle est partout, elle prend d’autres formes. » Et que toute vie pourrait se résumer en fait à une somme – d’où l’intention derrière le titre.

« Je pense qu’on est tous un peu ça, résume Makenzy Orcel. Une somme humaine… Une somme d’histoires, une somme de rencontres, une somme de peurs, une somme d’angoisses. »

Makenzy Orcel sera en séances de dédicaces de jeudi à dimanche, en plus d’accorder un grand entretien jeudi midi. Il sera également à Désautels le dimanche en direct du Studio Radio-Canada au Salon, dimanche matin.

Une somme humaine

Makenzy Orcel

Rivages

624 pages

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