Contrefaçon de passeports vaccinaux

« La sécurité était tellement médiocre »

Des employés du réseau de la santé ont participé à la fabrication de milliers de fausses preuves vaccinales. Et dans au moins un cas, le modus operandi était étonnamment simple… et très payant.

Les autorités ont épinglé des employés du réseau de la santé d’un peu partout au Québec qui, contre de l’argent, ont participé à la délivrance de milliers de passeports vaccinaux frauduleux. Ces personnes inscrivaient à la tonne de faux vaccins dans le registre de vaccination du gouvernement, le tout avec une facilité désarmante, confie un des individus arrêtés.

« C’était de l’argent très facile et la sécurité était tellement médiocre, c’est comme s’ils te disaient : “Fais-le !” », affirme Adams Diwa, ancien employé du centre de vaccination du Stade olympique arrêté en novembre. En entrevue avec La Presse, il reconnaît avoir reçu environ 60 000 $ en pots-de-vin pour inscrire de fausses preuves vaccinales dans les dossiers d’une soixantaine de personnes, l’équivalent de plus ou moins 1000 $ par inscription. Et il est loin d’être le seul.

Selon trois sources, dont une directement impliquée dans des enquêtes, des passeports vaccinaux obtenus grâce aux fraudes découvertes au cours des derniers mois n’auraient toujours pas été révoqués par Québec. Des employés d’un établissement qui voulaient les révoquer se seraient même fait dire par leurs supérieurs de ne pas le faire, selon une personne qui a travaillé dans le centre de vaccination visé et qui n’est pas autorisée à donner des entrevues. Une information qui n’a pas été confirmée par le ministère de la Santé et des Services sociaux, qui n’a d’ailleurs répondu à aucune de nos questions, mercredi.

Dès la fin de l’été, plusieurs milliers de fraudes probables avaient été signalées au Ministère, confirme ce même informateur.

L’Unité permanente anticorruption (UPAC) ainsi que le gouvernement et certains établissements de santé mènent actuellement des enquêtes. Filature, perquisitions dans des résidences, comptes bancaires gelés, saisie de téléphones et d’autres pièces à conviction, interrogatoires en règle : plusieurs moyens ont été déployés et des travailleurs ont été congédiés, selon plusieurs sources proches du dossier qui ne sont pas autorisées à s’exprimer publiquement.

Aucune accusation n’aurait été portée devant le tribunal à ce stade, mais certaines personnes ont été interpellées par la police en cours d’enquête.

« Nous recevons un très grand nombre de dénonciations qui nous amènent à ouvrir un très grand nombre d’enquêtes et nous mettons toutes les ressources nécessaires pour que ces enquêtes portent leurs fruits. C’est une priorité du commissaire en ce moment, car ça touche à la santé des citoyens », a indiqué en entrevue avec La Presse le porte-parole de l’UPAC, Mathieu Galarneau, qui a toutefois refusé de commenter les dossiers précis ou de dévoiler le nombre de suspects visés.

« Ce qu’on souhaite, c’est que les gens qui ont constaté l’usage ou la fabrication de faux passeports vaccinaux nous appellent », dit-il.

Nombreux indices

En novembre, des CISSS et des CIUSSS ont été alertés par Québec de l’existence de milliers d’entrées considérées comme « anormales » dans le registre provincial de vaccination. Étaient considérés comme louches les vaccins saisis dans le système avec plusieurs semaines ou mois de retard, les vaccins inscrits dans le système durant la nuit, ou lorsque les deux doses d’un même vaccin, théoriquement administrées à deux dates différentes, étaient saisies en même temps dans le système. Parfois, les données soumises par les personnes pour obtenir leur Vaxicode impliquaient la présence d’un même vaccinateur dans deux régions à la fois.

Au Stade olympique, où une fraude à grande échelle a eu lieu, des policiers de l’UPAC auraient commencé à enquêter et à interroger des employés à l’automne. On parlait déjà, à ce moment, de 5000 à 10 000 faux certificats de vaccination, selon une personne au courant de l’affaire qui a travaillé au centre de vaccination.

Des employés qui ont constaté des fraudes ont invalidé des vaccinations dans le système, mais des cadres les ont obligés à les revalider.

Dans un CIUSSS de la métropole, un employé cadre aurait été visé par les enquêteurs. La police aurait saisi ses comptes bancaires et plusieurs milliers de dollars dans ceux-ci. Selon une source qui n’est pas autorisée à divulguer publiquement ces informations, ce cadre faisait le lien avec des vaccinateurs sur le terrain. Il recevait 1000 $ par faux passeport produit, mais redonnait 500 $ aux vaccinateurs qui faisaient l’entrée de fausses données. Les responsables du CIUSSS auraient démasqué un des fraudeurs en comparant le nombre de dossiers qu’il avait traités au bout d’une journée à celui de ses collègues. Il y en avait considérablement plus que pour les autres. La personne aurait accepté de coopérer. Au moins cinq personnes, toutes recrutées par la plateforme Je contribue, ont été congédiées par la suite.

Ce petit réseau aurait réussi à produire plusieurs milliers de passeports grâce à son stratagème.

Dans un autre CIUSSS, un peu plus de cinq personnes ont été épinglées récemment. En tout, elles auraient falsifié jusqu’à 2000 preuves de vaccination. Elles travaillaient toutes de manière indépendante et ne faisaient pas partie d’un réseau.

Une de ces personnes a falsifié à elle seule près de 500 certificats, explique une autre source qui n’est pas autorisée à parler publiquement. Les faux passeports produits n’auraient pas encore été désactivés.

Déjà, les 22 et 23 décembre dernier, Radio-Canada avait fait état d’une employée d’un centre de vaccination de la Montérégie qui aurait vendu de fausses preuves de vaccination ainsi que d’un employé du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal qui aurait été retiré de la vaccination pour avoir enfreint les règles de sécurité.

« Je n’ai aucune excuse »

Adams Diwa, l’ancien employé du centre de vaccination du Stade olympique dont il était question au début de ce texte, ne cherche pas à se justifier ou à se présenter en victime. « Je n’ai aucune excuse, aucune raison pour ce que j’ai fait. Je ne vais pas le valoriser. L’argent est attirant pour tout le monde. Ça allait faciliter beaucoup de choses dans ma vie », dit-il.

M. Diwa s’est fait saisir près de 60 000 $, après une perquisition qui a laissé sa maison de Terrebonne sens dessus dessous. Il a signé une promesse de comparaître devant la cour, mais n’a pas encore reçu l’acte d’accusation. Les policiers lui ont dit qu’il risquait d’être accusé d’abus de confiance, de corruption de fonctionnaire, de fraude, de production de faux, de recel et de complot. Il s’est engagé un avocat, a parlé longtemps avec les policiers, et n’essaie pas de se défiler.

« Il faut assumer les erreurs qu’on a faites », dit-il calmement.

L’UPAC l’a pressé de questions pour savoir s’il appartenait à un réseau, s’il avait des supérieurs qui lui fournissaient des noms, mais il jure avoir travaillé seul.

« La plupart du temps, c’était par le bouche-à-oreille. Tu connais un ami, qui connaît un ami, qui connaît un ami, et l’argent va voyager. Ça va être payé cash. »

— Adams Diwa, ancien employé du centre de vaccination du Stade olympique arrêté en novembre

« Dès que j’ai reçu la formation sur l’ordinateur, j’ai remarqué combien c’est très facile. Le système est vraiment, vraiment médiocre », affirme l’ancien employé.

Les gens qui le payaient n’avaient même pas besoin de se déplacer dans un centre de vaccination. Adams Diwa dit qu’il pouvait facilement entrer dans le système informatique, inscrire une date et un endroit pour la première dose, ensuite la deuxième, puis ses clients pouvaient recevoir leur Vaxicode sur leur cellulaire.

« Je faisais ça très clean. Je créais un vrai rendez-vous dans le système, comme si la personne avait pris son rendez-vous. Une date pour la première dose, et 28 jours plus tard la deuxième dose. Je devais inscrire le type de vaccin et l’endroit où ils s’étaient fait vacciner », dit-il.

« Ensuite, on te demande qui a vacciné la personne. Moi, je connaissais des infirmiers qui travaillaient au Stade, je pouvais mettre un vaccinateur, ou sinon, tu peux mettre une place en dehors du Québec », ajoute-t-il.

Prêt à aider

Même si lui ne l’a pas fait, il affirme qu’il serait très facile pour un employé d’usurper l’identité d’un collègue et d’utiliser son compte pour se livrer à des malversations. « Le nom d’utilisateur, c’était deux lettres de ton prénom, deux lettres de ton nom de famille, ensuite quelques chiffres random et tout le monde avait presque le même mot de passe », affirme-t-il.

Adams Diwa n’est pas vacciné, mais comme ses patrons lui mettaient de la pression, quand il travaillait au centre de vaccination, il est entré dans le système et a ajouté à son dossier deux doses de vaccin qu’il n’avait pourtant jamais reçues.

« C’est la première chose que fait chaque agent administratif, scanner sa propre carte d’assurance maladie pour voir son dossier. Et là, on a remarqué qu’on peut se donner une dose en cliquant. »

— Adams Diwa, ancien employé du centre de vaccination du Stade olympique arrêté en novembre

Aujourd’hui, il se dit prêt à offrir son expertise pour aider le gouvernement à rendre son système plus sûr et limiter les intrusions frauduleuses.

« Moi, on m’a attrapé, je n’ai plus rien à perdre. Je leur ai tout dit, j’ai donné les moyens d’améliorer la sécurité », plaide-t-il.

« Mais c’est sûr qu’il y a d’autres personnes qui le faisaient. »

— Avec la collaboration de Tommy Chouinard, La Presse

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Nombre de doses de vaccin administrées au Québec depuis le début de la pandémie, selon le gouvernement

85,2 %

Pourcentage de la population ayant reçu au moins une dose de vaccin, selon les données officielles du gouvernement du Québec

60 000 $

Somme reçue par un employé chez qui l’UPAC a fait une perquisition

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