Des retards difficiles à effacer

Le plan de rattrapage devra être « très musclé »

Montréal et Québec — Le plan de rattrapage pour les jeunes qui ont manqué plusieurs jours d’école en raison de la grève devra être « très musclé », faute de quoi des élèves risquent d’être laissés en plan, avance une professeure de l’École de santé publique de l’Université de Montréal, qui a étudié les effets de la pandémie sur les résultats scolaires.

Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, doit présenter ce mardi matin, à Montréal, un « plan de rattrapage » pour endiguer les effets des fermetures prolongées des écoles vécues en novembre et en décembre. Des élèves ont manqué près de cinq semaines d’école.

Aussi directrice de l’Observatoire pour l’éducation et la santé des enfants et chercheuse au CHU Sainte-Justine, Sylvana Côté dit que ce plan devra être « très musclé » pour soutenir les élèves en difficulté.

« Ce n’est pas le temps de lésiner, parce que ces enfants-là peuvent décrocher, même au primaire, parce qu’ils ne sont plus capables de suivre. Si on ne les soutient pas le plus tôt possible dans leur trajectoire scolaire, tout le monde va en payer le prix plus tard. »

— Sylvana Côté, directrice de l’Observatoire pour l’éducation et la santé des enfants

Les travaux de Mme Côté ont montré que ce sont les élèves en difficulté qui paient le plus cher les fermetures d’école prolongées. En 2021, l’Observatoire pour l’éducation et la santé des enfants a fait passer, à des fins de recherche, des examens de lecture à 12 000 élèves de 4e année pour voir comment les fermetures d’école pendant la pandémie avaient affecté leurs apprentissages. Ces examens avaient été annulés par Québec cette année-là.

La fermeture des écoles n’a eu aucun impact sur les résultats en lecture des 10 % d’élèves les plus performants. A contrario, les élèves qui sont dans les 10 % les plus faibles ont perdu 20 points. « S’ils avaient une note de 50 %, ils baissent à 30 % », illustre Mme Côté.

Entre 2019 et 2021, pendant la pandémie, le taux d’échec à cette épreuve est passé de 17 % à 27 %. Des résultats dont « l’ampleur » a surpris la chercheuse.

Les écoles n’ont certes pas été fermées aussi longtemps en raison de la grève, mais Sylvana Côté craint les effets sur les enfants qui, déjà fragilisés par les perturbations de la pandémie, « n’ont pas eu le temps de s’en remettre ».

Un plan qui devra être adapté aux écoles

Peu de détails ont circulé lundi sur le plan que présentera le ministre Drainville, mais on répétait à Québec que le mot clé est « flexibilité », alors que les retards accumulés sont différents d’un centre de services scolaire à un autre en fonction du nombre de jours d’école manqués en raison de la grève.

Au cours de la dernière semaine, des rencontres entre le ministère de l’Éducation et des représentants du réseau de l’éducation – à la fois les comités de parents, les enseignants, les centres de services scolaires, les directions scolaires et des experts – se sont tenues.

Il aurait été proposé de laisser jusqu’à deux semaines aux enseignants pour faire un bilan des besoins dans leurs classes.

Le prochain bulletin pourrait également être quelque peu reporté, dans le contexte où le ministre confirmait la semaine dernière le report des épreuves ministérielles, afin de laisser aux élèves plus de temps pour s’y préparer.

Pour lutter contre le décrochage, le gouvernement pourrait bonifier l’aide financière accordée aux organismes qui viennent en aide aux élèves ayant des besoins particuliers, en plus de fournir des ressources supplémentaires ciblées dans les écoles selon les besoins qui seront définis par les enseignants et les centres de services scolaires.

La semaine de relâche prévue plus tard cet hiver ne serait par ailleurs pas compromise. L’annuler nécessiterait des négociations avec les syndicats, dont les membres n’ont toujours pas entériné les ententes de principe conclues avec le gouvernement. À Québec, on espère que des mesures volontaires de rattrapage seront offertes dans chaque école pendant ces quelques jours de mars.

Les détails seront précisés par le ministre Drainville lors de son point de presse, un évènement attendu tant par les parents que par les enseignants, qui avaient pour leur part une journée pédagogique lundi afin de préparer le retour des Fêtes sans connaître les intentions du Ministère pour le rattrapage scolaire.

Le tutorat, une mesure efficace

Sylvana Côté dit qu’il est « assez évident » que certains élèves auront besoin de plus de rattrapage que d’autres.

« Les mesures de rattrapage qui ont été démontrées efficaces par la science, c’est surtout le tutorat avec de très petits ratios, voire un à un. Il y a un ensemble de conditions qui doivent être respectées pour que ça fonctionne bien : ça doit être sur les heures d’école, pas les fins de semaine, pas l’été », dit Mme Côté.

Ce sont les enseignants qui sont le mieux placés pour savoir qui aura besoin de ces mesures, poursuit-elle.

Quant aux examens du Ministère prévus en juin, Sylvana Côté dit qu’il est essentiel qu’ils soient maintenus, quitte à revoir leur pondération à la baisse.

« Il faut avoir l’heure juste. Ça va permettre de savoir ce qui s’est passé et où il faut investir l’année prochaine », dit-elle.

La CSQ espère ne « jamais » revivre un tel « psychodrame »

« Une négociation qui dure un an et demi, à couteaux tirés, ça n’a pas d’allure. » Une réflexion de société doit être faite pour que ça n’arrive « plus jamais », a dit lundi en conférence de presse Éric Gingras, président de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ).

« Le gouvernement a déposé des offres ridicules [avec des augmentations salariales] de 9 % en décembre 2022 », a-t-il fait valoir.

Il faudrait être capables, la prochaine fois, « de ne pas partir d’aussi loin » et de négocier plus sérieusement plus tôt pour éviter un autre « psychodrame dans les services publics ».

Les écoles de Montréal, de Laval, de Québec et de l’Outaouais ont subi une grève d’un mois. Mais pour ce qui est de celles dont le personnel était représenté par le Front commun, les élèves ont raté huit jours d’école, ce qui n’est pas un retard insurmontable, selon M. Gingras.

Pas question selon lui d’annuler la semaine de relâche ou de prolonger l’année scolaire en juin. « Le Québec a connu des intempéries, du verglas », et comme ces autres fois, les enseignants, « par leur professionnalisme », sauront trouver des solutions.

M. Gingras a rappelé que la CSQ ne recommandera pas un vote dans un sens ou dans un autre, ajoutant cependant que les offres jugées inintéressantes ont été rejetées du revers de la main.

M. Gingras regrette que le gouvernement Legault n’ait pas consulté les syndicats, mais les ait simplement informé du plan de rattrapage en vue du retour en classe.

Le soutien de la population a été déterminant, selon la CSN

Pour sa part, en entrevue avec La Presse, Caroline Senneville, présidente de la CSN, trouve que cette négociation a été marquée « par le soutien constant de la population ».

« Les gens venaient nous porter du café. En Abitibi, une PME nous a même livré un gros foyer extérieur. »

La dernière lutte a remis les syndicats, moins visibles ces dernières années, « à l’avant-plan et de façon positive », relève Mme Senneville.

« Les gens savaient pourquoi on se battait. On se battait pour les services publics. »

— Caroline Senneville, présidente de la CSN

Et cette fois, à son avis, le gouvernement n’a pas été en mesure de faire avaler à la population que « ce qui était donné au secteur public était enlevé aux autres personnes ».

N’empêche, les grèves ont été durement ressenties. Les écoles ont été fermées, des interventions chirurgicales et des traitements ont été annulés. Comment l’éviter, la prochaine fois ? Il faudra « que le gouvernement ne tienne pas les services publics pour acquis et qu’il ne tienne pas pour acquis ceux qui les dispensent. C’est encore géré comme si on avait une liste de rappel de trois pieds de long ».

Les membres de la CSN se prononceront sur l’entente de principe d’ici au 20 février. Mme Senneville dit que le projet de règlement présenté aux exécutifs syndicaux et aux fédérations est accueilli favorablement jusqu’ici.

Comme pour les autres grévistes, les prochaines hausses de salaire ne seront pas modulées selon le lieu de résidence, même si le coût de la vie varie énormément d’une région à l’autre. Faire une telle différenciation « ne faisait pas partie de nos demandes cette fois-ci », mais peut-être une prochaine fois, indique Mme Senneville, se disant consciente que la crise du logement change beaucoup la donne.

Les prochaines batailles à la CSN

Au cours de la prochaine année, la CSN promet de livrer bataille contre la centralisation qu’elle redoute à la suite de la promulgation de gros projets de loi en santé et en éducation.

« Nos membres sont plus que dubitatifs quant à ces réformes-là », note Mme Senneville.

« Le ministre de la Santé [Christian Dubé] a dit qu’il se donnait du temps pour implanter des structures et il a dit que son projet de loi peut être perfectible. On le prend au mot, on veut voir quels angles peuvent être arrondis », ajoute-t-elle.

Selon Radio-Canada, le gestionnaire qui sera recruté pour gérer la nouvelle agence Santé Québec touchera un salaire de 543 000 $, en plus d’incitatifs à la performance.

« Beaucoup de gens qui travaillent très fort dans l’administration publique et qui ont le souci de l’État ne gagnent pas cela », commente au passage Mme Senneville.

De façon générale, Caroline Senneville se dit préoccupée par le recours accru au privé et par l’importation des pratiques qui y ont cours.

Elle se désole aussi de la bureaucratie qui oblige les travailleurs à remplir toujours plus de formulaires, avec pour conséquence qu’« ils sentent moins l’impact de leur travail ».

Mme Senneville évoque ici une chronique de La Presse ayant révélé la difficulté pour des patients en CHSLD d’être ne serait-ce que bien hydratés. Elle rappelle aussi le cas de « cette infirmière qui a été suspendue trois jours pour avoir mangé une toast » pendant son quart de travail.

Et après, dir-elle, un grief doit être entendu, à grands frais et après de très longs délais.

Les syndicats n’y sont-ils pas pour quelque chose aussi dans cette bureaucratie ?

« Le nombre de minutes que l’on passe avec un patient n’est pas conventionné », répond Mme Senneville, soulignant que ce sont les administrateurs qui le déterminent.

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