Fouilles sur les sites des anciens pensionnats autochtones

Un défi logistique et émotionnel

Après la découverte des restes de 215 enfants autochtones à Kamloops, en Colombie-Britannique, le gouvernement Legault a indiqué qu’il pourrait, à son tour, effectuer des fouilles sur les sites d’anciens pensionnats autochtones établis au Québec. Des experts estiment qu’il s’agira de tout un défi logistique et émotionnel et nous expliquent comment ils pourraient s’y prendre.

1re étape : détecter les corps

La méthode le plus couramment utilisée dans des cas comme celui de Kamloops est le radar à pénétration de sol, explique Darlene Weston, anthropologue biologique, ostéoarchéologue et paléopathologiste de l’Université de la Colombie-Britannique. Le radar permet de cartographier des structures et des caractéristiques enfouies dans le sol à l’aide d’ondes radio. Cet outil permet de collecter des informations sous la surface tout en préservant le site.

Il existe également d’autres méthodes, notamment la photographie aérienne, le lidar (pour Light Detection and Ranging), qui consiste à utiliser un laser et à mesurer le temps que met la lumière réfléchie à revenir au récepteur, et les chiens pisteurs, entraînés à retrouver des restes humains.

Effectuer ces fouilles exigera un effort « très important », soutient la médecin légiste Kona Williams, la première issue d’une Première Nation au Canada. Pour y arriver, une concertation impliquant de multiples entités, partenaires et experts, y compris des autochtones, dont des aînés, des gardiens du savoir et des survivants, sera nécessaire. La Dre Williams indique toutefois qu’il y a « très peu d’experts médicolégaux disponibles pour faire ce genre de travail ».

2e étape : récupérer les ossements

Si elle est souhaitée, la récupération des ossements autour des pensionnats dépendra de nombreux facteurs, tels que la profondeur de l’enterrement ou la nature des sols. Le travail sera d’autant plus complexe si les corps sont regroupés. « Ça compliquerait la tâche d’avoir une certaine désorganisation dans la fosse », indique Isabelle Ribot, professeure au département d’anthropologie de l’Université de Montréal. Les spécialistes devront alors s’assurer de bien distinguer chacun d’entre eux.

3e étape : estimer l’âge et le sexe

Le développement dentaire est la méthode la plus sûre pour estimer l’âge d’ossements, affirme Mme Ribot. Les dents se développent de façon régulière et, même s’il y a de la variation, les experts seront en mesure d’obtenir un âge assez précis. Pour les tout-petits de 3 ans, l’évaluation est exacte à un an près en général, indique Mme Ribot. Plus on vieillit, plus les déterminations de l’âge seront approximatives.

Les spécialistes peuvent également se baser sur le développement osseux. Dans les 20 premières années de vie, les os longs sont en cours de formation. « Leur taille et leur forme permettent d’évaluer l’âge à la mort », indique Mme Ribot. D’autres indices peuvent également permettre d’estimer l’âge. « Par exemple, la mandibule est en deux parties avant sa soudure à la fin de la 2e année », explique-t-elle.

4e étape : identifier les victimes

Une fois que les corps ont été analysés, les experts peuvent, avec l’accord des communautés autochtones, commencer l’identification des victimes. « On peut reconnaître des ossements humains par les dents ou par ADN », indique la Dre Caroline Tanguay, pathologiste judiciaire au Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale.

Pour y arriver, un odontologiste judiciaire peut comparer les radiographies dentaires faites sur le corps inconnu à des chartes établies avant la mort des victimes. Il faut toutefois une identité présumée pour obtenir les chartes dentaires du dentiste traitant.

Pour la comparaison d’ADN, il faut comparer des échantillons. « Dans le cas d’enfants morts depuis tout ce temps, les chartes dentaires sont probablement inexistantes… L’identification se fera probablement en comparant l’ADN du corps à celui de la famille selon l’identité présumée », explique la Dre Tanguay.

Patience et respect

Un tel projet ne peut pas être entrepris rapidement. Il exigera beaucoup de planification, de soins et d’attention pour s’assurer que tout est fait avec respect, affirme Mme Weston.

Des travaux d’une telle ampleur peuvent prendre des mois, voire des années, estime à son tour Mme Ribot. Une commission d’experts indépendants devra d’abord être mise en place pour évaluer une panoplie de techniques, estime-t-elle.

À chaque étape du processus, l’aval des peuples concernés et de leurs protocoles culturels sera essentiel. « Il est primordial que les communautés des Premières Nations, des Inuits et des Métis aient le contrôle et soient au cœur de chaque décision prise. Tout doit être fait sous la direction et avec le consentement de la communauté », affirme Mme Weston, de l’Université de la Colombie-Britannique.

La Dre Williams souligne que les protocoles culturels sont différents d’une nation à l’autre. « Les souhaits des familles et des nations doivent être respectés, et une communication claire sur ce qui peut être fait doit avoir lieu pendant tout le processus », ajoute la médecin légiste.

Aide et soutien

Une ligne d’écoute téléphonique bilingue est accessible jour et nuit pour les anciens des pensionnats autochtones et les personnes touchées par les pensionnats, au 1 866 925-4419.

La Ligne d’écoute d’espoir pour le mieux-être apporte une aide immédiate à tous les peuples autochtones au Canada. Elle est accessible 24 heures sur 24 au 1 855 242-3310 ou par clavardage.

Les services sont offerts en anglais et en français. De l’aide est également offerte sur demande en cri, en ojibwé ou en inuktitut.

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