Réforme du mode de scrutin

Avant de passer au mode proportionnel...

Les élections de lundi dernier ont fait ressortir un débalancement significatif entre le pourcentage du vote populaire et le nombre de députés élus par parti. Il n’en fallait pas moins pour relancer le débat sur le mode de scrutin où commentateurs et analystes prônent un mode proportionnel plus représentatif du suffrage exprimé.

Si ces revendications semblent légitimes, je crois qu’il est important de procéder avec rigueur et circonspection avant de sauter aux conclusions. Certains font ressortir les dangers d’une trop forte proportionnalité, qui souvent peut freiner la capacité du gouvernement de gouverner (p. ex. : Israël). Mais ce n’est pas sur ce terrain que j’aimerais intervenir. Deux éléments de réflexion m’apparaissent importants et semblent évacués du débat sur la réforme du mode de scrutin.

Tout d’abord, les défenseurs du mode proportionnel semblent poser comme prémisse que tous les députés d’un parti politique forment un monolithe idéologique. Cela signifierait que tous les députés de la Coalition avenir Québec (CAQ) sont unanimes quant aux enjeux et politiques que le parti pourrait adopter. Ce n’est évidemment pas le cas. Il semble peu probable que les 90 députés de la CAQ aient le même point de vue sur le rôle du secteur privé dans les soins de santé.

Au sein du parti au pouvoir, il y a des discussions, des débats qui mènent à des décisions politiques. Souvent ces décisions reflètent un certain consensus des députés du parti. Sous un mode de scrutin proportionnel, ces discussions et débats auraient lieu entre les partis plutôt qu’au sein du parti au pouvoir.

Ainsi, une façon de poser la réflexion sur le mode de scrutin est de savoir si on veut que les discussions aient lieu à l’intérieur du caucus du parti au pouvoir (mode de scrutin actuel) ou à l’extérieur, c’est-à-dire entre les partis de la coalition gouvernante (mode de scrutin proportionnel).

Analysé sous cet angle, il n’est pas clair quel mode de scrutin est préférable, ce qui m’amène à mon deuxième élément de réflexion.

Le débat actuel repose sur la comparaison du pourcentage du vote populaire obtenu par un parti avec son pourcentage de sièges obtenus. Un écart trop important est jugé « inacceptable », voire indécent. Mais avant de remettre en cause le mode de scrutin sur la base de telles observations, il importe de se demander quel est le rôle du mode de scrutin. Il est de « nommer » la formation politique qui prendra le pouvoir, et donc indirectement, de décider de « l’orientation » des politiques qui seront mises en place dans les quatre prochaines années.

Si, au lieu de focaliser sur le rapport entre le pourcentage de votes et celui de sièges, on examinait l’orientation des politiques mises en place, je pense qu’on verrait que, malgré notre mode de scrutin « non proportionnel », les politiques mises en place reflètent très bien la composition de l’électorat québécois.

Prenons pour exemple la taxation et la réduction des inégalités. Le Québec est l’État ou province le plus taxé en Amérique du Nord, et la richesse est redistribuée par l’intermédiaire de différents programmes et transferts. Bien sûr, Québec solidaire aimerait taxer davantage et redistribuer, mais il n’a pas réussi à attirer plus d’un électeur sur six. À l’opposé, le Parti conservateur aimerait moins taxer et redistribuer, mais il n’a également pas réussi à rallier plus d’un électeur sur six à sa cause. On peut donc penser qu’une majorité de Québécois ne partagent pas les visées de l’un ou l’autre de ces partis. Le système fiscal actuel semble donc convenir à une majorité de Québécois, et ce, malgré notre mode de scrutin « non proportionnel » décrié par plusieurs depuis une semaine.

En conclusion, il est important de réaliser que les partis politiques sont composés d’individus affichant une diversité d’idées et qu’il ne faut certainement pas minimiser les débats et discussions qui se tiennent à l’intérieur des partis. Enfin, on ne peut juger de la validité d’un mode de scrutin simplement sur la comparaison des votes exprimés et des sièges obtenus. Il faut également analyser la performance du système politique eu égard aux orientations des politiques mises en place par rapport à celles que la majorité préconise. Une réflexion et une analyse rigoureuses nous amèneraient peut-être à des conclusions différentes de celles entendues depuis lundi…

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