Résolument décidé à se débarrasser de sa réputation de « royaume des usines à chiots », le Québec s’est doté à la fin de 2015 d’une loi pleine de mordant pour assurer le bien-être et la sécurité des animaux et encadrer une industrie fort lucrative. Deux ans et demi plus tard, des organismes de protection des animaux, qui avaient salué avec enthousiasme cette initiative, déplorent que la situation n’ait toujours pas changé sur le terrain. La SPCA de Montréal et la SPA des Laurentides-Labelle estiment que le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) leur met des bâtons dans les roues dans l’application de la loi.
Depuis le 31 mars, aucun inspecteur des SPA/SPCA mandatées jusqu’ici pour appliquer les dispositions de la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal relatives aux chiens et aux chats ne travaille sur l’ensemble territoire de Montréal, de Lanaudière, de l’Abitibi-Témiscamingue, du Centre-du-Québec, de la Côte-Nord, du Nord-du-Québec et du Saguenay–Lac-Saint-Jean.
Le MAPAQ n’a toujours pas renouvelé ses contrats venus à échéance auprès des neuf SPA/SPCA de ces régions et aucun inspecteur spécialisé en bien-être et en sécurité des animaux du Ministère n’est assigné à ces régions administratives, selon les documents fournis par le MAPAQ.
« Au moment où on se parle, malgré une très bonne loi, des animaux souffrent », affirme Me Alanna Devine, directrice de la défense des animaux à la SPCA de Montréal. « Les dossiers s’accumulent. On en a transféré plus de 120 depuis le 31 mars au MAPAQ. On ignore s’ils sont traités », s’interroge-t-elle.
Comme « l’inspection d’un restaurant »
Selon un ex-fonctionnaire du MAPAQ interrogé par La Presse et qui a choisi de garder l’anonymat par peur de perdre son nouvel emploi, un changement de cap dans la manière d’appliquer la loi s’est opéré à l’arrivée de l’actuel directeur général de l’inspection et du bien-être animal, Daniel Tremblay. « Les inspections des lieux où sont gardés les animaux sont traitées de la même façon que l’inspection d’un restaurant », soutient-il.
Le nouveau mot d’ordre au sein de l’administration du MAPAQ serait ainsi de responsabiliser la clientèle pour moins dépenser.
« Le but est de réduire au minimum les saisies en “menaçant” les propriétaires pour qu’ils prennent en charge leurs animaux. C’est répété 15 fois, mais rien ne change, car ces gens ne sont pas en mesure de se responsabiliser. »
— Un ex-fonctionnaire du MAPAQ
« Certains propriétaires d’animaux ou élevages étaient rendus à une vingtaine de dossiers d’infraction. Mais ils n’agissaient jamais, car ils savaient que le MAPAQ ne ferait rien », assure l’ex-fonctionnaire.
Lors d’une saisie, la prise en charge d’un animal par le MAPAQ coûte en moyenne 1000 $. Un fardeau financier devenu trop lourd pour le Ministère selon ses nouvelles directives, estime Ewa Demianowicz, responsable de campagne pour Humane Society International/Canada, partenaire du MAPAQ dans la gestion du refuge d’urgence de Lachute de 2011 à la fin de 2016.
« Le refuge de Lachute était un grand entrepôt où on envoyait les grosses saisies qui n’étaient pas gérables en région par les petites SPA et qui nécessiteraient une gestion à long terme. En 2016, le MAPAQ a fermé le refuge, ce qui a laissé un vide, car les besoins sont restés les mêmes. »
— Ewa Demianowicz, responsable de campagne pour Humane Society International/Canada
Mandatée par Pierre Paradis, ex-ministre de l’Agriculture, afin de piloter un comité chargé d’évaluer l’efficacité de la loi, Martine Lachance, directrice du Groupe de recherche en droit animal, une unité de recherche au sein du département des sciences juridiques de l’UQAM, s’est vu refuser le droit de poursuivre la mission qui lui avait été confiée par le nouveau patron du MAPAQ, Laurent Lessard, entré en fonction en janvier 2017. « L’an dernier, le chef de cabinet du ministre m’a appelée pour m’interdire de réunir les membres du comité en me disant que tout allait se passer à l’interne. Tout a donc été gelé et nous n’avons pas pu poursuivre et étudier comme prévu si la loi fonctionnait », indique Mme Lachance.
L’attachée de presse du ministre de l’Agriculture Laurent Lessard, Christine Harvey, a confirmé à La Presse qu’aucun comité d’évaluation de l’efficacité de la loi n’avait été mis en place.
Une relation compliquée
Les organismes de protection des animaux partenaires du MAPAQ tentent depuis des années de renégocier leurs contrats avec le Ministère, dont les termes restreignaient d’après eux l’application de la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal. « Selon le contrat, le MAPAQ exige de donner son approbation pour toute saisie, mais aussi pour soumettre un rapport d’infraction générale, c’est-à-dire une recommandation de mettre en infraction un contrevenant », explique Me Devine, de la SPCA de Montréal.
« Si aucun inspecteur ne fait respecter la loi de manière stricte, rien ne va changer. »
— Me Alanna Devine, de la SPCA de Montréal
Alors que, par le passé, les demandes de saisies ou les demandes de mise en infraction étaient de simples formalités, depuis quelques années, les choses semblent s’être complexifiées. « Ça a commencé en 2014, un peu avant que la loi ne soit adoptée. Et depuis l’arrivée du ministre Laurent Lessard au début de 2017, on ne voit plus de volonté politique d’appliquer la loi. Sur le terrain, on n’en retrouve pas sa raison d’être : la protection des animaux », précise Me Devine. Une position que partage Corinne Gonzalez, directrice générale de la SPCA Laurentides-Labelle, dont le contrat avec le MAPAQ n’a également pas été renouvelé. « Avant, la loi était moins bonne, mais on allait plus loin », observe-t-elle.
Devant les difficultés à mettre en infraction des contrevenants ou à effectuer des saisies dans de nombreux dossiers, les SPCA/SPA ont mis sur pied des pratiques de rechange. À la SPCA de Montréal, appliquer le Code criminel, réservé à des infractions graves, s’est avéré plus d’une fois plus facile que de recourir à la loi provinciale.
« Dans certains dossiers où le MAPAQ a refusé de nous laisser agir, le dossier était tellement sévère que, pour la protection de l’animal, nous n’avons pu faire autrement que de procéder avec un dossier sous le Code criminel », lance Me Alanna Devine.
« Une bonne complémentarité », dit le ministère
Interrogée par La Presse au sujet des contrats échus avec les SPA/SPCA, l’attachée de presse du ministre Lessard a indiqué que celui-ci souhaite que les ententes soient renouvelées. « Les ententes sont une bonne complémentarité pour l’application de la loi. Le ministre a décidé de maintenir les ententes et de s’assurer qu’elles soient signées », précise-t-elle.
Quelques jours plus tôt, le directeur général de l’inspection et du bien-être animal du MAPAQ, Daniel Tremblay, avait lui aussi dit vouloir établir « une stratégie de complémentarité ». Il avait toutefois précisé ne pas croire à la « superposition » avec les organismes partenaires, ce qui semblait fermer la porte à la possibilité que les SPA/SPCA jouent un rôle dans l’inspection.
« Si on fait tous de la surveillance, ce n’est pas avantageux. Les organismes nous complètent pour l’hébergement et le transport des animaux. »
— Daniel Tremblay, directeur général de l’inspection et du bien-être animal du MAPAQ
Il estime en effet que les 240 inspecteurs et médecins vétérinaires dont dispose le MAPAQ, dont 20 seulement se consacrent uniquement à l’inspection pour le bien-être des animaux de compagnie et les équidés dans tout le Québec, sont en nombre suffisant pour faire appliquer la loi provinciale.
Pourtant, selon les documents fournis par le MAPAQ, dans sept des régions administratives du Québec, aucun inspecteur ne se consacre à cette tâche, jusqu’ici assurée par les inspecteurs des SPA/SPCA partenaires. « Dans les régions du Québec où je n’ai pas d’inspecteur spécialisé en bien-être animal, je peux utiliser l’inspecteur en alimentation pour la première intervention. Je n’ai pas de personne attitrée dans toutes les régions, mais je couvre toutes les régions », lance Daniel Tremblay.
Les neuf SPCA/SPA partenaires disent pour leur part n’avoir reçu aucune nouvelle du MAPAQ concernant un possible renouvellement de leurs ententes.
— Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse
Ce que dit la loi
En décembre 2015, les dispositions du Code civil du Québec relatives aux biens meubles ont été amendées. Les animaux domestiques et d’élevage, autrefois considérés comme des « biens meubles », ont désormais le statut juridique d’« êtres doués de sensibilité ayant des impératifs biologiques ». Cette évolution de statut juridique a été assortie d’une nouvelle Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal, qui prévoit des peines sévères, dont l’emprisonnement jusqu’à 18 mois, et des amendes pouvant aller jusqu’à 250 000 $.
Elle prévoit notamment l’obligation de fournir des soins aux animaux et l’interdiction d’exposer ceux-ci à des conditions qui leur causent une anxiété ou une souffrance excessive. De plus, elle exige que le propriétaire ou le gardien de plus de 15 chats, chiens et équidés soit titulaire d’un permis délivré à cette fin par le ministre. En vertu de cette nouvelle loi, le ministre détient également le pouvoir d’ordonner à un propriétaire de cesser l’exploitation de son entreprise s’il considère que les animaux gardés sont en détresse ou si leur bien-être est compromis.
Les inspections en bien-être animal en 2017-2018
SPA/SPCA
Plaintes : 2341
Visites d’inspection : 1514
Avis de non-conformité remis : 242
Condamnations : 7
Saisies : 39
MAPAQ
Plaintes : 1983
Visites d’inspection : 2321
Avis de non-conformité remis : 360
Condamnations : 67
Interventions de saisie ou de prise de possession : 70