Responsabilité sociale des entreprises

D’abord, les femmes

Elles comblent la moitié de ces postes dans les grandes entreprises aux États-Unis. Qui ? Les directrices de développement durable. Comment expliquer cette rare parité dans une des branches de la finance, autrement essentiellement masculine ?

En parcourant une liste dressée par la firme de recrutement Weinreb-Group, il est tentant de dire que la cohorte des experts en ESG – pour critères environnementaux, sociaux et de gouvernance – était paritaire en 2021, contrairement aux postes de PDG (8,2 % de femmes, selon Fortune 500) ou de directeur financier (13,2 % de femmes), par exemple.

L’intérêt relativement récent pour la responsabilité sociale des entreprises pourrait y expliquer la place significative des femmes. Mais ce n’est pas tout.

« Au départ, c’était souvent des femmes qu’on retrouvait autour de la table. Peut-être parce que les sujets moins tangibles intéressent les femmes. Elles travaillent plus souvent en collaboration, en équipe, également. Et pour réussir en responsabilité sociale, ça prend ça : convaincre ses collègues de donner de l’information, des données. »

— Milla Craig, fondatrice de la firme de services-conseils d’intégration ESG Millani

« Jusqu’à il y a deux ans, il n’y avait pas beaucoup d’argent sur la table pour le faire, donc ça prenait des passionnés », poursuit Mme Craig.

« L’environnement fait partie du bien-être des sociétés, ajoute Pauline D’Amboise, secrétaire générale et vice-présidente, gouvernance et développement durable, de Mouvement Desjardins. Depuis toujours, les femmes sont impliquées dans les considérations sociales. Au Québec, je pense au Réseau des femmes en environnement ou à Mères au front [initié par Laure Waridel et Anaïs Barbeau-Lavalette]. Elles deviennent des leaders, car c’est un combat qu’elles mènent depuis des années. C’est devenu des opportunités, puis des modèles d’affaires. »

En entreprise, le fait que les considérations ESG ont bien souvent émergé ou ont été prises en charge par les services de communications et des ressources humaines des organisations peut expliquer l’expertise des femmes dans cette sphère des affaires. « On retrouve généralement plus de femmes dans ces départements, note Michèle Meier, première vice-présidente, communications et marketing mondial, de SNC-Lavalin. Elles ont été des défricheuses, ont monté des programmes, jeté les bases. Puis, c’est sorti des communications pour que ce soit plus intégré dans les affaires. Pour moi, c’est un poste de leadership, car ça ratisse très large. Il y a une mouvance. C’est un poste relié à la stratégie, à l’innovation, ça émane de la haute direction. »

Généralisation de la profession

Parce que l’environnement et la saine gouvernance deviennent des normes, la fonction est investie de plus en plus par des hommes. « J’ai eu l’occasion de suivre l’évolution de la fonction sur le plan international, explique Pauline D’Amboise. Quand on analyse le recrutement pendant 10 ans, on le voit que la fonction de “Chief Sustainable Officer” est souvent tenue par des femmes. Mais ça devient plus équilibré. C’est une nouvelle branche en affaires qui devient la norme. On en parle dans les universités. Même des MBA se dessinent en ESG et RSE. C’est un mouvement qui est là pour rester. »

À l’École de gestion John-Molson de l’Université Concordia, on constate que ce sont les cours sur la finance responsable qui attirent le plus les femmes.

« C’est plus facile de les attirer en investissement durable. Elles s’identifient plus à ces questions. Mais depuis deux-trois ans, les gars sont plus présents. Ils n’ont pas le choix. L’ESG devient une clé en investissement. »

— Amr Addas, directeur du département de finance de l’École de gestion John-Molson

C’est aussi une question d’intérêt de la génération Z, selon Amr Addas.

À l’heure où les normes se précisent, qu’on exige de plus en plus d’investissements responsables et de tendre vers des émissions zéro carbone, la fonction s’officialise et il est périlleux pour les organisations de fermer les yeux. Il en va de leur rendement. « Les marchés des capitaux commencent à valoriser ce type d’information, explique Milla Craig. Donc, le directeur financier, le C.A. veut de telles informations. Plus de grandes entreprises, d’institutions financières, de fonds de pension se mettent à la finance durable. Les femmes entrent ainsi de plus en plus dans le secteur des finances qui évolue vers la finance durable. »

COP26 à la rescousse

Selon la spécialiste en ESG Anne-Marie Hubert, il est inspirant de travailler pour des investisseurs qui veulent créer de la valeur. « Le 3 novembre dernier, lors de la COP26, on a dit qu’on allait exiger de la divulgation et la création d’un seul organisme standard, explique l’associée directrice pour l’est du Canada d’EY. Avant le 3 novembre, il y en avait plus de 60. Tu choisissais quoi divulguer. Ce n’était pas comparable. Là, un organisme exigera une divulgation homogène. »

Les investisseurs poussent de plus en plus pour l’égalité et l’inclusion, pour la finance durable, ajoute-t-elle. « Ça intéresse les femmes de faire ce genre de finance qui a un impact sur les communautés et la planète. Mais là, tous peuvent contribuer, car on ne peut plus faire notre travail sans prendre en compte l’ESG. On est à un moment charnière pour attirer des femmes et des hommes pour faire de la finance différemment, pour s’engager pour le bien commun. Il faut quand même faire de l’argent, mais on peut créer de la valeur et avoir un impact positif sur la société. »

Tous sentent une accélération depuis l’an dernier. Bien des organisations sont maintenant en recherche intense pour pourvoir des postes en responsabilité sociale. Les deux tiers des organisations sont touchées par le manque de personnel qualifié en ESG, selon une étude de Deloitte. « Là, on intègre l’offre des ESG dans toutes nos activités financières avec nos membres et nos clients », note Pauline D’Amboise.

« Les facteurs ESG sont intégrés dans à peu près toutes les décisions d’investissement. »

— Anne-Marie Hubert, associée directrice pour l’est du Canada d’EY

La grande porte du milieu financier s’ouvre ainsi aux femmes notamment grâce à leurs connaissances en financement durable. « Comme elles étaient là avant, elles ont l’expertise pour amener ça au prochain niveau. C’est la façon dont on va corriger la statistique de 14 % de femmes dans le secteur financier. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.