Quand le hockey québécois et la science font équipe

Les meilleurs espoirs du hockey québécois s’envoleront dans les prochains jours pour l’Île-du-Prince-Édouard. Pourquoi ? Pour participer au tournoi de hockey mineur le plus prestigieux au pays. Celui des Jeux du Canada.

Ce tournoi, présenté tous les quatre ans, oppose les meilleurs joueurs de moins de 16 ans de chaque province. Le calibre est relevé. Cinquante-cinq joueurs repêchés dans la Ligue nationale y ont figuré, en 2019. Parmi eux : Mason McTavish, Shane Wright, Cole Sillinger et Joshua Roy. Les Québécois avaient causé la surprise en remportant la médaille d’or – un premier titre en 32 ans. Les Québécoises, elles, étaient revenues avec la médaille d’argent.

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Le directeur de la délégation québécoise, Marcel Patenaude, de Hockey Québec, s’est évidemment réjoui des résultats. « Sauf que je n’ai pas aimé notre processus d’évaluation des joueurs, dans les mois qui ont précédé le tournoi », confie-t-il, quatre ans plus tard.

Des propos étonnants, compte tenu des succès du Québec à Red Deer.

« C’était trop arbitraire. On rentrait des joueurs dans le programme. On en sortait. Puis on ramenait des jeunes déjà coupés, car ils venaient de connaître de bonnes performances. Pour les Jeux de 2023, je voulais trouver un processus différent. Était-ce possible de prédéterminer certaines choses ? De faire des corrélations entre certains éléments ? De diminuer l’aspect arbitraire ? »

Oui.

Comment ?

Avec l’aide de scientifiques.

***

Jean Lemoyne est professeur au département des sciences de l’activité physique de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Il dirige aussi le Laboratoire de recherche sur le hockey. C’est une des meilleures têtes de sport dans la province. Lorsque Hockey Québec a reçu une subvention du gouvernement pour développer un projet de soutien à ses athlètes d’élite, c’est vers lui que la fédération s’est tournée. L’Institut national du sport s’est aussi joint au consortium.

Le professeur Lemoyne et son équipe de chercheurs – des étudiants à la maîtrise et au doctorat – ont commencé leurs travaux en 2021.

« L’idée, c’était de mettre au point un nouveau devis d’évaluation. On a repris ce qui existait déjà dans le programme d’Équipe Québec, puis on lui a donné une valeur ajoutée, en s’inspirant de la science. »

– Jean Lemoyne, professeur au département des sciences de l’activité physique de l’UQTR et directeur du Laboratoire de recherche sur le hockey

Le groupe de recherche a d’abord lu des dizaines et des dizaines d’études, pour choisir les tests qu’il allait mener. « Nous avons ensuite introduit de nouveaux tests. Des épreuves de patin avant, de vitesse et d’agilité, par exemple. »

Lors du premier camp d’entraînement, à l’été 2021, il y avait 160 athlètes : 80 garçons et 80 filles. « Plusieurs tests nous ont permis de distinguer les filles, mais pas les garçons.

– Pourquoi ?

– Parce que le bassin de joueuses d’élite, chez les filles, est plus petit. Les meilleures se démarquaient plus facilement. Dans le test de sprint sur glace, c’était frappant. Alors que chez les gars, il n’y avait pas tant d’écart. Pour trouver des valeurs discriminantes dans nos tests, il aurait peut-être fallu inviter 300 garçons. »

Jean Lemoyne et ses acolytes sont donc retournés dans leurs locaux, pour raffiner leur protocole. Ils sont revenus, un an plus tard, avec de nouveaux tests.

Plein de nouveaux tests.

Des tests d’anaérobie. Des tests de puissance. Des tests qui se rapprochaient de l’action d’un match. Des tests psychologiques, aussi. Pour les dirigeants de Hockey Québec, c’était important de comprendre comment les joueurs pouvaient réagir dans certaines circonstances.

« Les joueurs ont passé des entrevues et rempli des questionnaires. Nous avons pu vérifier leur capacité de résilience et leur niveau d’anxiété. »

– Jean Lemoyne, professeur au département des sciences de l’activité physique de l’UQTR et directeur du Laboratoire de recherche sur le hockey

Les données ont servi à l’Institut national du sport, chargé de la préparation mentale des athlètes. « Nous avons aussi demandé aux joueurs d’identifier les leaders potentiels de l’équipe et de juger le niveau de collaboration de leurs coéquipiers. Ça nous a permis de faire un sociogramme du groupe », poursuit Jean Lemoyne.

De l’été 2021 à décembre 2022, il y a eu six séries de tests. En parallèle, les chercheurs ont également analysé les statistiques avancées des joueurs, avec leur club local. Ils ont acquis suffisamment de connaissances sur chaque athlète pour que Marcel Patenaude demande à Jean Lemoyne de lui faire une liste.

Sa sélection finale d’Équipe Québec.

« Je connaissais toutes leurs stats et les résultats à nos tests, mais je ne les avais jamais vus jouer une seule partie en personne ! », raconte Jean Lemoyne.

Marcel Patenaude a ensuite comparé cette liste avec celle de Hockey Québec.

Résultat : les listes étaient semblables à 90 %.

« Les meilleurs étaient faciles à identifier, précise Jean Lemoyne. On n’avait probablement pas besoin de toutes ces données pour les trouver. Mais pour les 10e, 11e, 12e attaquants, il y avait quelques différences. Les entraîneurs étaient curieux. Ils nous ont demandé pourquoi nous préférions certains joueurs à d’autres. Comme tout était paramétré, nous pouvions justifier nos choix. »

Marcel Patenaude a apprécié la démarche.

« Les sélections finales sont les nôtres. Mais il nous est arrivé de porter une attention plus particulière à un joueur qui nous était recommandé. Ça nous a donné plus de matériel pour préparer les Jeux. »

– Marcel Patenaude, directeur de la délégation québécoise

Un étudiant de l’UQTR accompagnera la délégation québécoise, à l’Île-du-Prince-Édouard, pour recueillir de nouvelles données. Notamment, sur le niveau de fatigue des athlètes pendant la compétition.

Et après ?

« La recherche pourra prendre différents tournants, indique Jean Lemoyne. Nous allons étudier la performance des deux équipes, vérifier qui a connu un bon ou un mauvais tournoi, et tenter de voir quels paramètres auraient pu prédire leurs performances. »

Il est réjouissant de constater que Hockey Québec fait équipe avec des chercheurs dans un projet d’envergure comme celui-ci. Souhaitons qu’il y ait des suites, et que ces travaux aident un jour le Québec à reprendre sa place dans l’élite mondiale du hockey.

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