Cher Tchekhov

La lettre d’amour de Michel Tremblay aux acteurs

Tout au long de sa prolifique carrière, Michel Tremblay a eu ses muses et ses porteurs de mots privilégiés, qui savaient rendre sur scène toute la fulgurance de ses écrits. C’est à tous ces interprètes et à leurs semblables que le dramaturge québécois rend hommage avec sa plus récente pièce, Cher Tchekhov.

Le titre laisse présager un salut affectueux à Anton Tchekhov, grand auteur russe adoré depuis toujours par la gent théâtrale. Ce n’est pas totalement faux. Mais la pièce qui clôt la saison du 70e anniversaire du Théâtre du Nouveau Monde (TNM) traite de sujets beaucoup plus intimes et universels que la vie ou l’œuvre de l’auteur de La mouette…

Avec énormément d’humilité, Michel Tremblay nous ouvre ici ses pensées en racontant ses doutes d’auteur, sa quête infatigable de pertinence, sa crainte d’être dépassé. Toutes choses qui finissent par émerger chez l’humain vieillissant.

Par le truchement de son alter ego scénique incarné avec humour et beaucoup de sensibilité par Gilles Renaud, Michel Tremblay lève aussi le voile sur son processus de création. Car pendant que l’auteur s’adresse au public et fait partager ses questionnements, une pièce de théâtre se déploie tout à côté. Il s’agit d’une pièce inachevée que le dramaturge a décidé de ressortir de ses tiroirs des années plus tard.

La pièce va comme suit. Une famille d’artistes – des acteurs en grande majorité – se réunit à la maison d’enfance pour l’Action de grâces. Mais l’orage gronde : Claire, la grande vedette adulée du public, a invité son copain de l’heure pour l’occasion. Ce dernier est un critique de théâtre, qui manie le mépris avec dextérité et a éreinté le dernier texte de Benoit, l’un des membres du clan. Dire que ce critique n’est pas le bienvenu est un euphémisme ! Mais Claire n’en a toujours fait qu’à sa tête… au grand dam du reste de la fratrie.

Devant les yeux des spectateurs, Michel Tremblay/Gilles Renaud remanie ce texte, rature les répliques ou les fait passer d’une bouche à une autre. Sur scène, les interprètes s’exécutent. « Est-ce que c’est ennuyant de savoir comment se construit une pièce ou un roman ? », s’interroge d’ailleurs l’auteur à un moment. Au contraire ! Il y a quelque chose de fascinant – et de très drôle – à voir cette distribution de haut calibre (nous y reviendrons) devenir une matière mouvante au gré des désirs du créateur. D’autant plus que Michel Tremblay possède un formidable talent de dialoguiste, que le passage des années n’a pas émoussé.

Le plus célèbre des dramaturges québécois a toujours adoré les acteurs, il l’a dit à maintes reprises dans sa vie. Il le prouve une fois encore en mettant les interprètes de théâtre au centre de ce texte, en jetant sur leur sensibilité exacerbée une lumière pas toujours flatteuse, mais tellement aimante.

On sent son admiration pour leur courage de remonter sur scène soir après soir, leur volonté à pousser leur art toujours plus loin, leur refus d’abdiquer qui fait écho à la propre détermination de Michel Tremblay à poursuivre son œuvre malgré sa stature de légende vivante.

Pour porter les personnages théâtraux sur scène, le metteur en scène Serge Denoncourt a fait appel à des acteurs de renom : Anne-Marie Cadieux (lumineuse dans les habits de Claire), Maude Guérin, Henri Chassé (très fougueux dans le rôle de Benoit), Isabelle Vincent, Patrick Hivon, Hubert Proulx (touchant) et Mikhaïl Ahooja (malheureusement un peu trop caricatural dans le rôle du critique). Ici, plusieurs se retrouvent à endosser des rôles plus effacés qu’à l’accoutumée, mais la conjugaison de tout ce talent brut — à laquelle s’ajoute la présence imposante de Gilles Renaud — s’avère l’une des nombreuses raisons qui font de Cher Tchekhov un grand moment de théâtre.

Cher Tchekhov

De Michel Tremblay. Mise en scène de Serge Denoncourt

Au Théâtre du Nouveau Monde, jusqu’au 28 mai

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