Opinion : Nord-est de l’Amérique

Pour un libre-échange en électricité

Dans la foulée de la réunion virtuelle de Washington sur le climat à laquelle ont participé la grande majorité des grands pollueurs de la planète et où bien des pays ont annoncé des objectifs très ambitieux de décarbonisation à horizon 2030, une occasion historique se présente aux gouvernements provinciaux de l’est du Canada, au premier chef ceux de Terre-Neuve, du Québec et de l’Ontario, de proposer et réaliser un programme de libre-échange en électricité dans le nord-est de l’Amérique (NEA).

Ces gouvernements devraient proposer officiellement aux gouvernements des États américains voisins un marché commun intégré de l’électricité avec propriété commune et partagée des interconnexions et des institutions réglementaires permettant des échanges fluides et une efficacité, une efficience et une transparence accrues.

L’historique des importants ajustements dans la production d’électricité observés dans le NEA au cours des deux dernières décennies permet d’anticiper qu’un marché commun intégré de l’électricité contribuerait significativement à l’atteinte des cibles ambitieuses de décarbonisation des économies canadienne et américaine.

Les complémentarités importantes entre les technologies de production régionales et la forte valeur ajoutée de l’intégration, en particulier avec l’arrivée massive des énergies renouvelables, mais intermittentes, sont susceptibles de créer une situation gagnant-gagnant pour tous les participants.

Mais le jeu est complexe et exige des dirigeants régionaux, premiers ministres et gouverneurs, une vision à long terme fondée sur des capacités complémentaires stratégiques et une concurrence ouverte et transparente au bénéfice des citoyens.

Le potentiel énergétique du trio canadien est phénoménal, non seulement en raison de ses ressources hydriques encore inexploitées, mais aussi en raison de l’expérience et de la compétence qu’il a acquises en hydroélectricité et en électricité nucléaire. Rappelons que le Québec est un exportateur net d’électricité de 3,2 TWh avec une ouverture globale au commerce (imports plus exports) de 72 TWh (2018) ; les valeurs correspondantes pour l’Ontario sont 10,1 TWh et 27,1 TWh, et pour Terre-neuve, 32,2 TWh et 32,2 TWh. Les potentiels de développement de l’hydroélectricité, grands barrages et harnachement des rivières, et du nucléaire, y compris les réacteurs nucléaires de proximité de la famille des réacteurs à sels fondus, sont encore loin d’être atteints.

Un contrôle démesuré

Cependant, diverses coalitions mal informées et malavisées de législateurs, d’entreprises et de dirigeants syndicaux exercent un contrôle démesuré sur nos ressources énergétiques. Le résultat est une politique de développement des ressources sans direction, basée sur la manipulation des prix, qui ne profite qu’aux groupes directement impliqués et gaspille les gains potentiels du libre-échange pour tous les citoyens.

La politique actuelle de bas prix au Québec – financée par une dette publique et des impôts inutilement élevés et des services sociaux sous-optimaux – n’est pas seulement une subvention inefficace aux grands consommateurs d’énergie, mais aussi un transfert régressif des plus pauvres aux plus riches.

On salue souvent ce niveau relativement bas des prix de l’électricité comme un facteur de développement économique. Rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité, car le coût réel de l’électricité n’est pas son coût de production, particulièrement bas au Québec en raison de l’historique et de l’abondance de l’énergie hydroélectrique, y compris les importations à prix très faible en provenance de Terre-Neuve, mais son coût d’opportunité. Ce coût d’opportunité qui équivaut au prix concurrentiel auquel l’électricité pourrait être exportée est nettement plus élevé.

Les bons prix reflétant les coûts d’opportunité favorisent un développement économique vigoureux, alors que les bas prix favorisent le gaspillage et un régime d’assistés économiques.

Le commerce international, tout comme le commerce intranational, interrégional et interpersonnel, peut et doit être développé pour le bien-être de tous. Ce ne sont pas les intérêts des entreprises et des travailleurs d’un secteur en particulier qui devraient être défendus et protégés, mais plutôt les principes et les mécanismes d’une saine concurrence. La défense protectionniste des intérêts des entreprises et des travailleurs d’une industrie donnée se fait toujours aux dépens des entreprises et des travailleurs des autres industries dans un jeu à somme négative.

Dans une perspective de responsabilité et d’acceptabilité sociales, les partenaires canadiens et américains devraient favoriser une ouverture de la structure du capital des entités régionales de production d’électricité et développer des mécanismes de compensation compétitifs gagnant-gagnant pour amener les populations locales à accepter résolument des projets d’investissement dans des capacités de production et de transport d’électricité favorisant la décarbonisation et améliorant le bien-être de tous.

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