« Ça fait peur »

Quatre des cinq personnes ayant succombé à la COVID-19 habitaient la même résidence pour personnes âgées de Lanaudière. Le spectre d’un foyer d’éclosion s’est matérialisé, apportant avec lui son lot d’inquiétudes. Alors que de plus en plus de mesures d’isolement sont mises en place pour protéger tous les aînés de la province, certains, dont des proches aidants, craignent les contrecoups de la solitude sur leur santé mentale.

Résidence EVA de Lavaltrie

« On dirait que cet endroit est rendu un nid à virus »

La situation tant redoutée s’est produite. Le premier ministre François Legault a annoncé hier que quatre des cinq décès liés à la COVID-19 étaient survenus dans la même résidence pour personnes âgées de Lanaudière. Comment éviter que l’éclosion ne se propage ? Doit-on revoir les consignes afin de mieux protéger les résidants ? Doit-on tous les tester ?

Quatre des cinq personnes mortes des suites de la COVID-19 habitaient la Résidence EVA de Lavaltrie, qui accueille des personnes âgées. C’est dans cet établissement que Mariette Tremblay, première personne dans la province à avoir succombé à la COVID-19, menait une vie paisible.

Selon les informations fournies en point de presse samedi par le directeur national de santé publique, le Dr Horacio Arruda, l’autre décès est « de nature communautaire ». Il s’agit donc de quelqu’un « qui n’était pas dans cette résidence-là, […] qui n’était pas nécessairement en résidence, mais qui était chez elle ».

La direction de la santé publique de Lanaudière est sur un pied d’alerte et guette l’apparition du moindre symptôme de la COVID-19 chez les résidants. Puisque l’établissement est maintenant un foyer d’éclosion, ses occupants sont actuellement isolés dans leurs appartements. Ceux qui présentent des symptômes seront testés, confirme la Dre Joane Désilets, de la direction de la santé publique de Lanaudière. Samedi soir, il n’y avait aucun autre cas sous investigation pour l’établissement visé.

La résidence a revu ses mesures pour éviter la propagation et prévenir de nouveaux cas. «  […] On appelle les résidants, il y a un suivi quotidien très strict. Des mesures de confinement écrites ont été émises pour chacun des occupants », explique la Dre Désilets. Un agent de sécurité se trouve sur place afin de faire respecter la mesure.

Inquiétude généralisée

La situation sème néanmoins l’inquiétude. En début d’après-midi samedi, un résidant de l’établissement de Lavaltrie n’avait toujours pas reçu d’information au sujet des cas suspects.

Une citoyenne de Lanaudière a confié à La Presse avoir peur pour son père qui habite la résidence EVA. Il connaissait la première victime, Mariette Tremblay, depuis de nombreuses années. « Ça fait vraiment peur. On dirait que cet endroit est devenu un nid à virus », a-t-elle dit.

Le duo discute au téléphone environ cinq fois par jour. Le père et la fille ne peuvent se voir et l’homme peine à cacher sa crainte de contracter le virus. Ce stress s’ajoute à celui d’être confiné entre les quatre murs de son petit appartement.

« Maintenant qu’on sait qu’il y a quatre morts, ils devraient faire passer le test à tout le monde pour qu’on sache qui l’a, qui ne l’a pas. Ceux qui sont vraiment malades, ils pourraient les isoler », pense la fille du résidant.

Normand Godcharles, président du groupe Edifiom, propriétaire de la résidence EVA, n’a pas voulu commenter cette possibilité ni les annonces de samedi. « Nous travaillons tous ardemment à gérer cette crise majeure de façon responsable et proactive et nos efforts se concentrent en ce sens », a-t-il indiqué dans un communiqué.

Il avait confirmé vendredi à La Presse que certaines personnes pouvaient encore sortir de l’établissement malgré la consigne de rester en quarantaine. « Le contrôle est difficile, car les autorités et encore moins mon personnel ne peuvent empêcher physiquement un résidant de sortir de son logement. La grande majorité respecte la directive », avait-il écrit dans un courriel. Des gardiens de sécurité ont ensuite été embauchés par la résidence pour faire respecter la directive.

Une femme qui a requis l’anonymat s’est rendue à la résidence EVA il y a 10 jours pour visiter ses beaux-parents. La mort de Mariette Tremblay a ébranlé sa famille. Elle se retrouve d’ailleurs en quarantaine, au cas où elle présenterait des symptômes du coronavirus « Pour l’instant, on est corrects, mais ça cause beaucoup de stress à notre famille », a-t-elle dit quelques heures avant d’apprendre que d’autres résidants avaient perdu la vie.

« Si vous êtes de Lavaltrie, faites attention. Malheureusement, beaucoup de personnes de la résidence se sont promenées dans les dernières semaines dans les commerces avoisinants. »

— Une femme dont les beaux-parents habitent à la Résidence EVA

« La résidence qu’on investigue actuellement, on s’organise pour qu’elle ne devienne pas… pour que ça ne sorte pas dans la communauté », a toutefois expliqué le Dr Horacio Arruda samedi après-midi.

État des lieux dans les résidences

« Il faut garder un équilibre pour ne pas inquiéter les résidants. Avec ce qui est arrivé [samedi], certains se mettent à faire de l’anxiété », a plaidé Yann Costello, directeur de la résidence Rouville d’Ange-Gardien. Dans cet établissement de l’Estrie, 28 personnes, certaines âgées de 70 ans et plus, sont privées de visites.

« Les visites sont interdites chez nous et on va avoir dorénavant deux services pour les repas, pour limiter le nombre de gens réunis. » M. Costello ne pense pas que cloîtrer chacun dans sa chambre soit bénéfique. « Si on enferme tout le monde entre quatre murs, on va créer d’autres problèmes en détériorant la santé mentale des résidants. » Pour le moment, la soirée cinéma a toujours lieu, ce qui remonte le moral des aînés. On s’assure qu’ils soient à bonne distance les uns des autres.

Nul besoin de consignes plus sévères, pense également Yves Desjardins, président du Regroupement québécois des résidences pour aînés. Celles déjà énoncées suffisent. Il faut les rappeler chaque jour et veiller à ce qu’elles soient appliquées. Au lieu de serrer la vis, il faut taper sur le clou. Il y a 1750 résidences pour personnes âgées au Québec, avec des clientèles très différentes et il y a un travail énorme qui se fait de la part des propriétaires, selon lui.

Est-ce que ça va rondement partout ? Non », a-t-il répondu sans tergiverser à La Presse samedi soir.

Dépister la maladie chez chacun des occupants d’une résidence s’avérerait inutile, croit-il. Selon les directives de la Santé publique, il n’est pas nécessaire d’être testé si on ne présente pas de symptômes ou si on ne revient pas de voyage. Il faut se fier à l’honnêteté des gens et des employés. « Le beau-frère qui arrive de Floride et que vous avez rencontré, il faut le dire », ajoute M. Desjardins.

Des discussions sont en cours avec Québec concernant la santé mentale des aînés, mentionne M. Desjardins. L’isolement préventif s’ajoute à la solitude déjà présente bien avant la pandémie. « On parle de détresse psychologique tant pour les employés que pour les résidants. Quand ça va faire trois semaines d’isolement, il va falloir y penser. »

Directives du Ministère 

Selon le ministère de la Santé et des Services sociaux, les personnes de 70 ans et plus devraient prendre leurs repas dans leur appartement ou dans leur chambre. Pour les autres résidants, les repas peuvent être pris dans des lieux communs. Toutefois, il est important de réunir le moins de personnes possible dans un même lieu en étalant les heures de service des repas et en laissant des tables libres entre chaque table occupée.

COVID-19

« On souffre »

Des proches aidants vivent des jours difficiles depuis que les visites dans les CHSLD et les hôpitaux sont interdites

Québec — Privés de contact avec leur mère ou leur père, des aidants naturels racontent vivre des moments d’angoisse depuis que le gouvernement a interdit les visites dans les CHSLD et les hôpitaux pour endiguer la pandémie.

« Penser que ma mère pourrait dépérir ou même mourir sans qu’on puisse la voir, ça va me tuer, ça. Ça me cause beaucoup d’anxiété », raconte Tania Festekdjian, la voix brisée par l’émotion.

Sa mère de 76 ans est atteinte d’alzheimer et ne pèse plus que 80 livres. Ses enfants avaient l’habitude de passer la nourrir quotidiennement. La dame a du mal à déglutir. Le repas peut durer une heure.

Ce rituel instauré depuis des années a pris fin abruptement le 14 mars. Ce jour-là, le premier ministre a décrété dans son allocution quotidienne l’interdiction des visites dans les hôpitaux, les CHSLD, les ressources intermédiaires et les résidences privées pour personnes âgées.

La mesure vise à freiner la propagation du virus dans ces endroits dédiés aux aînés, où il pourrait faire des ravages et entraîner des morts.

Tania Festekdjian n’est donc plus admise au CHSLD Les Cèdres, dans l’arrondissement de Saint-Laurent à Montréal. Il lui est impossible de parler à sa mère, qui n’est pas en état d’utiliser un téléphone ou un ordinateur pour communiquer.

« S’ils ne veulent pas que j’entre, je suis prête à payer 30 $ l’heure une préposée qui la nourrisse. Mais on refuse tout. C’est un excès de zèle », dénonce Mme Festekdjian.

« Elle a besoin de nous. On ne sait pas comment elle se porte. On souffre, monsieur. »

— Tania Festekdjian, dont la mère est en CHSLD

Ruth Chriqui est dans une situation semblable. Elle avait engagé une préposée aux bénéficiaires pour nourrir sa mère au Centre gériatrique Donald Berman Maimonides à Côte-Saint-Luc. Mais aujourd’hui, même la préposée est interdite de visite depuis samedi, relate la dame.

Mme Chriqui explique qu’elle a reçu un appel mercredi pour l’avertir que l’état de santé de sa mère s’était dégradé.

« Au cinquième jour, ils m’ont appelée pour me dire qu’elle ne répondait plus, qu’elle était sous intraveineuse avec un cathéter et sous antibiotiques. Elle était complètement déshydratée. Je suis très inquiète. »

Une politique plus souple en résidence ?

Plusieurs aidants naturels à qui La Presse a parlé avaient du mal à saisir en quoi consiste la politique gouvernementale qui régit leurs visites. C’est que mercredi, le premier ministre avait tenu des propos qui donnaient à croire à plusieurs que des exceptions seraient possibles.

« C’est du cas par cas. Quelqu’un qui fait du travail de bénévole ou d’aidant naturel, bien oui, effectivement, on a besoin d’aide, mais il faut prendre des mesures puis il faut, bon, connaître un peu ça. Donc, on fait des exceptions », a alors avancé François Legault.

Mais après vérification, la consigne gouvernementale est claire : les proches aidants n’ont droit à aucune visite. Des exceptions ne sont prévues que pour des patients à l’article de la mort.

« Cette directive touche effectivement les proches aidants, et ce, même s’ils prodiguent des soins à un proche hébergé en CHSLD », a confirmé Marjaurie Côté-Boileau, attachée de presse de la ministre responsable des Aînés et des Proches aidants.

« Nous sommes conscients qu’il est difficile pour les proches aidants de ne pas aller visiter les personnes hébergées », a ajouté Mme Côté-Boileau. 

« Il s’agit d’une décision crève-cœur, mais nous nous devons de la prendre afin d’offrir un environnement le plus sanitaire possible aux personnes aînées hébergées ainsi qu’au personnel de la santé. »

— Marjaurie Côté-Boileau, attachée de presse de la ministre responsable des Aînés et des Proches aidants

Des résidences pour aînés que nous avons sondées appliquent une politique plus souple à l’égard des proches aidants. Certaines prévoient des exceptions et autorisent même les visites.

« Chaque résidence applique plus ou moins sévèrement ces règles. Tout le monde veut être une exception. Mais tout le monde n’est pas une exception », explique Yves Desjardins, président-directeur général du Regroupement québécois des résidences pour aînés.

Tiraillés

Les proches aidants à qui nous avons parlé sont tiraillés. Ils disent comprendre la mesure gouvernementale et la nécessité d’endiguer la pandémie. Mais la souffrance et l’inquiétude qu’ils ressentent sont bien réelles.

Dans le Bas-Saint-Laurent, Erica Lévesque avait l’habitude de manger presque chaque soir avec sa mère atteinte de démence.

« Va-t-on empêcher les familles de visiter leurs proches pendant des mois ? Il manque souvent de personnel et on fait appel à des travailleurs d’agences de partout dans la province pour combler la pénurie. Alors, pourquoi refuser l’aide des proches aidants ? », demande-t-elle.

L’Appui, organisme de soutien aux proches aidants d’aînés, dit recevoir un nombre d’appels de plus en plus important sur sa ligne téléphonique Info-aidant.

« Les mesures sont tout à fait justifiées. On recommande de respecter les règles du gouvernement. Mais c’est difficile pour plusieurs familles et ça peut être très stressant », convient Guillaume Joseph, directeur général de l’organisme.

« Pour les proches aidants, c’est extrêmement difficile, parce que ces gens vivent pour deux, explique Judith Gagnon, présidente de l’Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées.

« Et là, ils ne savent pas si la personne qu’ils aiment a tout ce qu’il faut en ce moment. »

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