Rémunération des médecins

LE QUÉBEC A DÉPASSÉ L’ONTARIO

En 2004, nos médecins étaient les moins payés au Canada. Pour rattraper l’écart, Québec a donné beaucoup. Or, vérification faite, les médecins d’ici gagnent aujourd’hui plus que la moyenne canadienne, même s’il leur reste à encaisser des versements d’ici 2020. Comment est-ce possible ? Notre chroniqueur Francis Vailles fait le point.

Rémunération des médecins

Mieux payés qu’ailleurs

Tout le débat tourne autour d’une seule question, au fond : nos médecins sont-ils encore sous-payés par rapport à leurs collègues canadiens ?

Selon l’argumentaire, les médecins sont une denrée rare et s’ils sont sous-payés, certains risquent de migrer vers l’extérieur, et le Québec en pâtirait.

En 2004, justement, nos médecins étaient les moins payés de toutes les provinces canadiennes, selon deux rapports. Une entente a donc été conclue, et un rattrapage sur plusieurs années a débuté en 2008 et se terminera en 2020.

Or, voilà que la situation s’est inversée : depuis 2014, les médecins du Québec gagnent autant, sinon davantage, que leurs collègues du reste du Canada. L’information ne me vient pas d’un quidam, mais du très crédible Institut canadien d’information sur la santé (ICIS). L’organisme compile l’ensemble des données de rémunération des médecins au Canada, et toutes les études comparatives s’en remettent à sa base de données.

Plus précisément, les médecins du Québec qui travaillent à temps plein ont gagné 331 000 $ en moyenne au cours de l’année terminée le 31 mars 2014, soit 1 % de plus que la moyenne canadienne et 8,5 % de plus qu’en Ontario.

« Essentiellement, la rémunération au Québec des médecins en équivalent temps plein est égale à celle du reste du Canada », a confirmé le chef du programme de comparaison des données pancanadiennes de l’ICIS, Walter Feeney.

L’ICIS m’a fourni toutes les données de rémunération des médecins de famille et des spécialistes de toutes les provinces canadiennes depuis 2000. Attention, il ne s’agit pas de la rémunération moyenne des médecins, puisqu’ils ne travaillent pas tous le même nombre d’heures. Il s’agit plutôt de la rémunération à temps plein et en équivalent à temps plein (appelée TPETP), selon une méthode sophistiquée de l’ICIS.

DE - 50 % À + 8 %

Le rattrapage du Québec est éloquent. En 2007, l’écart du Québec avec le reste du Canada s’élevait à 40 %, médecins de famille et spécialistes confondus. Ce désavantage a fondu à 22 % en 2010, puis à 14 % en 2012 pour finalement s’inverser en 2014 (+ 1 % en faveur du Québec).

La pente est encore plus abrupte pour les médecins spécialistes. L’écart est passé de  - 50 % en 2007 à + 8 % en 2014. Quand on compare avec l’Ontario, l’écart favorisant le Québec est plutôt de 15 % en 2014.

En ce qui concerne les médecins de famille, l’écart a été comblé avec l’Ontario, où l’avantage du Québec est de 4 %, mais pas encore avec le reste du Canada (- 9,5 %).

Que s’est-il passé ? Deux choses, essentiellement. Le Québec a accepté de verser des paiements de rattrapage à partir de 2008. Pendant ce temps, certaines provinces, dont l’Ontario, ont fait pression sur la rémunération des médecins pour équilibrer leur budget (les chiffres de l’ICIS constatent une baisse de 15 000 $, ou 4 %, en Ontario depuis 2012). La combinaison des deux explique que le fossé ait été comblé.

L’entente signée en 2007 accordait aux médecins de famille du Québec une majoration de leur rémunération de 19,3 % sur huit ans, tandis que les spécialistes obtenaient 25,3 %. Ce rattrapage s’ajoutait aux augmentations normales consenties aux employés du secteur public. La plus grande part des versements a maintenant été faite, et le reste sera étalé jusqu’en 2020.

UNE ENTENTE SIGNÉE PAR COUILLARD ET BARRETTE

L’entente avait été signée par le ministre de la Santé d’alors, Philippe Couillard, et les dirigeants de deux syndicats de médecins, dont Gaétan Barrette, aujourd’hui ministre de la Santé sous le gouvernement Couillard.

La méthode de comparaison de l’ICIS, faut-il préciser, suppose que les médecins sont payés entièrement à l’acte, ce qui exclut les paiements alternatifs (à salaire ou capitation, entre autres). Dans les faits, les trois quarts de la rémunération des médecins sont à l’acte au Québec.

Walter Feeney, de l’ICIS, juge qu’il s’agit de la meilleure méthode pour effectuer des comparaisons.

En 2004 et 2005, les deux rapports qui avaient servi à justifier la hausse avaient utilisé plusieurs méthodologies. Toutefois, les deux syndicats de médecins s’étaient ralliés autour de cette méthode des équivalents à temps plein (TPETP) de l’ICIS, jugeant qu’il s’agissait de la « méthode la plus raffinée ».

La méthode avait été adaptée pour tenir compte de certains autres modes de rémunération, entre autres. À l’époque, cette méthode avait conclu que les spécialistes gagnaient 49 % de moins qu’ailleurs au Canada en 2001 et que l’écart pour les médecins de famille s’élevait à 36 %.

Les chiffres que nous a fournis l’ICIS pour ce dossier avec la méthode TPETP n’ont pas été adaptés comme ceux des rapports de l’époque, mais les écarts demeurent semblables. Par exemple, pour l’année 2001, l’écart est de 43 % pour les spécialistes et de 27 % pour les médecins de famille.

Walter Feeney estime que la différence peut aussi s’expliquer par le fait que l’ICIS utilise une grille de tarification plus sophistiquée qu’à l’époque des deux rapports.

Par ailleurs, les observateurs comparent souvent la rémunération moyenne des médecins, et non celle en équivalent temps plein, ce qui sous-estime la rémunération au Québec. En 2014, par exemple, nos médecins touchaient en moyenne 306 000 $, soit 62 000 $ de moins qu’en Ontario, ou 20 %.

Le hic avec cette comparaison, c’est qu’elle oublie que les médecins du Québec travaillent moins qu’ailleurs. Entre autres, la profession s’est féminisée davantage au Québec (46 % contre 37 % ailleurs), et les exigences familiales, encore davantage assumées par les femmes, font en sorte que la semaine de travail est moins longue.

Rémunération des médecins

Choyés par rapport aux autres Québécois

Les médecins du Québec ont essentiellement rattrapé la moyenne canadienne. Or, à l’origine, l’objectif n’était pas de rejoindre la moyenne, mais de donner aux médecins une rémunération conforme à notre niveau de vie, plus bas que la moyenne.

Sous cet angle, les médecins sont maintenant choyés par rapport aux autres Québécois. Ils obtiennent autant que les médecins ailleurs, mais vivent dans un environnement où le coût de la vie est moindre.

Voyons voir. Pour comparer la richesse relative du Québec il y a 10 ans, les comités sur la rémunération des médecins avaient notamment utilisé un indice qui s’appelle la rémunération hebdomadaire moyenne des Québécois et des Canadiens (RHM).

En 2014, cette RHM des salariés québécois s’élevait à 849,46 $ par semaine, en moyenne, soit 13 % de moins que les salariés du reste du Canada (et 11 % de moins que les Ontariens). Pour que leur rémunération soit équitable, les médecins québécois devraient donc toucher 13 % de moins que les médecins du reste du Canada. Or, en 2014, ils gagnaient 1 % de plus que dans le reste du Canada et 8,5 % de plus qu’en Ontario, selon les données de l’ICIS.

En d’autres mots, si l’objectif est de payer nos médecins en fonction de notre richesse relative, force est de constater que leur rémunération est de quelque 14 % trop élevée (13 % + 1 %) par rapport au reste du Canada et de 19,5 % (11 % + 8,5 %) par rapport à l’Ontario.

La situation est encore plus injuste quand on compare l’évolution de ce RHM des salariés dans le temps avec la rémunération des médecins.

Sur la base de ce RHM, la richesse relative du Québec a décliné avec les années, notamment à cause du boom pétrolier de l’Ouest. Ainsi, le retard de 7 % des salariés du Québec en 2004 est passé à 13 % en 2014. Le fossé s’est donc accru de six points de pourcentage. Pendant ce temps, les médecins ont plutôt comblé un écart de 30 %, selon la méthodologie la plus fiable de l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS).

Au moment de signer l’entente de 2007 entre le ministère de la Santé et les deux syndicats de médecins, il avait été convenu de créer un comité afin de suivre l’évolution des écarts de rémunération avec le reste du Canada. Un comité devait même être formé en 2011 et présenter ses conclusions en 2014.

Or, au bout du compte, aucun comité n’a été formé et aucune comparaison n’a été faite, dénonce le Vérificateur général du Québec dans son récent rapport.

Avant de payer encore les versements promis d’ici 2020, ne serait-il pas temps de tailler nos crayons ?

Rémunération des médecins

Les omnipraticiens heureux d’être à parité

Le président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), Louis Godin, se dit heureux de voir que les médecins de famille du Québec ont rattrapé leurs collègues canadiens.

« Nous n’avons pas refait d’analyse détaillée, mais nous étions pas mal convaincus d’avoir fait du rattrapage. Nous ne sommes donc pas nécessairement surpris, mais nous sommes en même temps heureux d’avoir atteint ou d’être en voie d’atteindre la parité », a dit le Dr Godin à La Presse.

Le président du syndicat des médecins de famille n’a pas contesté la méthodologie de La Presse, contrairement aux dirigeants du syndicat des médecins spécialistes. Plus encore, il trouve injuste que les médecins spécialistes soient maintenant payés plus que la moyenne des autres spécialistes au Canada (+ 8 %), selon notre analyse, alors que les médecins de famille demeurent sous la moyenne (- 9,5 %).

« Que les spécialistes aient dépassé la moyenne canadienne nous préoccupe. D’autant que nous étions censés recevoir un traitement équitable. »

— Dr Louis Godin, président de la FMOQ

Il convient que l’Ontario, la plus grosse province du Canada, devrait servir de base de référence aux fins des comparaisons. À cet égard, la rémunération des médecins de famille à temps plein du Québec est maintenant supérieure de 4 % à celle en Ontario, selon les chiffres de l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS). L’ICIS fait une comparaison des médecins en équivalents temps plein en supposant qu’ils sont entièrement payés à l’acte.

Le Dr Godin affirme que la FMOQ fera plus tard une analyse poussée de la rémunération des médecins du Québec par rapport au reste du Canada. « Pour l’instant, nous sommes davantage préoccupés par les cibles d’accessibilité que doivent atteindre les médecins de famille », dit-il.

Rémunération des médecins

Les spécialistes contestent la méthode de l’ICIS

Les dirigeants de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) contestent vigoureusement la méthodologie de l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) qui a servi à comparer la rémunération des médecins.

« Votre conclusion selon laquelle nous serions rendus à la moyenne canadienne est certainement fausse », dit le négociateur en chef de la FMSQ, Sylvain Bellavance.

L’avocat soutient que la méthode des équivalents temps plein (TPETP) de l’ICIS ne tient pas compte de plusieurs autres formes de paiements alternatifs versés aux médecins. Par exemple, les médecins chercheurs ou enseignants sont payés par les universités en Ontario, tandis qu’au Québec, les paiements sont assumés par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ).

Autre exemple : les honoraires liés aux accidents de travail sont payés par l’homologue de la CSST en Ontario, mais par la RAMQ au Québec, ce qui viendrait gonfler les données du Québec.

Selon l’ICIS, pourtant, 84 % de la rémunération des médecins spécialistes au Québec se fait sous forme de paiements à l’acte, une proportion identique en Ontario. Aux fins de comparaisons, l’ICIS prend pour hypothèse que la rémunération est à l’acte à 100 %.

« C’est un domaine complexe et il faut faire attention avant de tirer de telles conclusions sans avoir toutes les données. »

— Sylvain Bellavance, négociateur en chef de la FMSQ

Selon lui, il existe encore un écart défavorisant les médecins spécialistes du Québec par rapport au Canada, mais il dit ne pas avoir de nouvelles études pour appuyer une telle affirmation, précisant que son constat est basé sur des discussions avec des collègues des autres provinces.

De son côté, la présidente de la FMSQ, Diane Francoeur, fait remarquer qu’il n’y a pas d’exode de médecins de l’Ontario vers le Québec. De plus, elle soutient que les hôpitaux ontariens sont réticents à prendre des patients du Québec, car nos tarifs sont trop bas.

En 2004, un comité avait analysé les écarts de rémunération avec le reste du Canada. La méthode privilégiée alors par la FMSQ, dérivé de la méthode TPETP, donnait un écart de 49 % en 2001 et de 47 % en 2004. Les chiffres mis à jour que nous a récemment fournis l’ICIS font état d’un écart très semblable pour 2001 (43 %) et 2004 (39 %).

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