Opinion : Commission d’enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées

Le mandat doit être révisé

Depuis quelques semaines, la Commission d’enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a fait l’objet de plusieurs démissions, la plus récente étant celle de l’une des commissaires, Marilyn Poitras, de la Saskatchewan.

Le 13 juillet, un article du National Post a rapporté des déclarations provenant d’une source demeurée anonyme et dénonçant les différents problèmes auxquels fait face la Commission et l’incapacité de plusieurs de ses employés d’exercer leurs fonctions et de faire un travail compatible avec les attentes pressantes des familles des victimes.

Plus tôt ce mois-ci, la grande chef du Manitoba, Sheila Wilson, représentant plus de 30 communautés du nord du Manitoba, est allée jusqu’à demander que la commissaire en chef, Marion Buller, démissionne et que le processus recommence sur de nouvelles bases.

Nous croyons effectivement que le temps est venu de faire le point sur le mandat de la Commission et de recommencer le processus sur de nouvelles bases.

Pour comprendre la situation actuelle, il importe de retourner au mandat constitutif de la Commission ou au Cadre de référence afin de saisir la mission de la Commission et sa compatibilité ou pas avec les attentes des familles. Il est stipulé au sein du Cadre de référence que la Commission devra enquêter sur les causes systémiques de toute forme de violence – y compris la violence sexuelle – à l’égard des femmes et des filles autochtones au Canada, notamment les causes sociales, économiques, culturelles, institutionnelles et historiques sous-jacentes qui contribuent à perpétuer la violence et les vulnérabilités particulières de ces femmes et de ces filles.

La Commission devra également enquêter sur les politiques et les pratiques institutionnelles mises en place en réponse à la violence à l’égard des femmes et des filles issues des Premières Nations au Canada, y compris le recensement et l’examen des pratiques éprouvées de réduction de la violence et de renforcement de la sécurité.

D’abord, le mandat de la Commission est beaucoup trop large pour être réalisé dans les délais prescrits de deux ans. Considérant le travail ardu d’entendre les différentes familles, de se déplacer à travers le pays et de requérir des opinions provenant de différents experts afin de revoir la littérature existante sur la violence coloniale et les femmes issues des Premières Nations et d’analyser les récits qui seront présentés lors des auditions, un délai de deux ans porte atteinte en soi au processus de collecte de données et à l’étude qui doit en ressortir.

Faut-il rappeler que la Commission de vérité et réconciliation a étendu son mandat pendant six années consécutives et la Commission royale sur les peuples autochtones, à cinq années avec un budget (58 millions de dollars) presque semblable à celui de l’actuelle Commission (53 millions). Pourquoi celle portant sur les femmes assassinées et disparues ne recevrait-elle pas des conditions équivalentes ?

Indépendance des commissaires

Ensuite, le nombre de commissaires et leur sélection devraient également être révisés. Afin que la Commission soit efficiente et mobile, le nombre de commissaires devrait être réduit à trois, tel que l’expérience de la Commission de vérité et réconciliation l’a enseigné. De plus, l’intégrité de la Commission dépend de l’indépendance et de l’autonomie de ses commissaires. Le fait que l’une des commissaires soit membre du Parti libéral du Canada, le parti actuellement au pouvoir ayant mandaté la commission, et candidate déchue des dernières élections est hautement préjudiciable par le conflit d’intérêts qu’il évoque.

Troisièmement, il n’est mentionné à aucun endroit dans le mandat de l’actuelle Commission d’étudier les institutions judiciaires, et notamment celles de la police.

Le fait que l’institution policière ne fasse l’objet d’aucune mention et investigation et que les dossiers des femmes et des filles assassinées et disparues ne soient pas réétudiés et rouverts est très problématique.

Il est effectivement largement reconnu, dans la littérature ainsi qu’au sein des rapports produits par l’Association des femmes autochtones du Canada, la commission Opale de Colombie-Britannique et Amnistie internationale, que le corps policier est au cœur du problème, entre autres en s’abstenant d’investiguer et en fermant des dossiers trop tôt. Ce n’est plus un secret pour qui que ce soit que le racisme systémique s’exprime à travers les institutions judiciaires qui malheureusement reproduisent encore les stéréotypes les plus dégradants envers les femmes autochtones.

Plus récemment, le décès de Barbara Kentner, à North Bay, à la suite des blessures causées par un crime haineux n’a pas été qualifié de la sorte en dépit des différents témoignages et plaintes adressées à la police locale, cette dernière stipulant qu’il est habituel d’être frappé par différents objets lancés et de se voir insulter par des automobilistes au passage lorsque des membres des communautés marchent dans les lieux publics. L’excellent documentaire Highway of Tears (2011) de Matthew Smiley portant sur les femmes assassinées et disparues sur l’autoroute 16 démontre clairement comment les dossiers d’assassinat et de disparition des femmes en Colombie-Britannique sont traités de manière différente selon que la victime soit autochtone ou pas.

Finalement, les familles des femmes assassinées et disparues ne devraient pas être reléguées à un second rôle dans la reformulation d’un mandat clair. Ces familles ainsi que les aînés qui les entourent ont passé la majeure partie de leur existence à investiguer les raisons derrière la disparition et l’assassinat de leurs proches ainsi que les différentes formes de racisme systémique auxquelles elles font face quotidiennement. Ces familles doivent impérativement être impliquées en amont du processus. Leur expertise et leur savoir, trop souvent sous-estimés, sont, cette fois-ci, indispensables au remplacement du projet colonial canadien dont les femmes demeurent les premières cibles.

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