911

Désengorger les urgences, un appel à la fois

La Montérégie a réussi un véritable tour de force depuis l’été 2021 : désengorger les urgences et épargner des centaines d’heures de travail à ses services paramédicaux. Comment ? En mettant au point un nouveau service qui permet à des infirmières d’orienter les patients non urgents qui joignent le 911 vers les services appropriés. La Presse s’est rendue sur place.

Dans les locaux d’Alerte Santé, à Longueuil, l’infirmière clinicienne Maude Dagenais est installée devant son ordinateur. Devant elle défile les appels en temps réel faits au 911 pour des motifs de santé non urgents. Son but : orienter les patients, si possible, ailleurs qu’aux urgences ou les inviter à y aller sans ambulance.

10 h. Une octogénaire contacte le 911 pour de la diarrhée de teinte orangée et une faiblesse à la suite d’une opération récente aux intestins. « Normalement, avec les antibiotiques que vous prenez, ce n’est pas étonnant d’avoir la diarrhée, mais la couleur orangée, ce n’est pas ce à quoi on s’attend », explique Maude Dagenais à sa patiente, après lui avoir posé quelques questions sur son état de santé.

Pour avoir plus d’informations sur son dossier de santé, Maude Dagenais propose à la dame de joindre sa pharmacienne et de la rappeler ensuite. Au bout du fil, la pharmacienne confirme à l’infirmière que la teinte orangée n’est pas normale. « Possiblement qu’il y a du sang dans les selles », explique-t-elle.

Ces possibles saignements ne sont pas à prendre à la légère, estime Maude Dagenais, qui recontacte sa patiente et lui conseille de se rendre aux urgences. « Si c’est un saignement au niveau de votre intestin, on ne veut pas passer à côté de quelque chose qui pourrait devenir critique », dit-elle.

Des centaines d’heures épargnées

Avant l’implantation du projet en juin 2021, un appel au 911 pour besoin médical n’avait qu’une trajectoire de service possible : l’ambulance vers les urgences, peu importe la gravité de l’état du patient. Dans la dernière année, parmi les appels évalués par ces infirmières, près de 60 % ont pu être dirigés ailleurs qu’aux urgences ou transportés autrement que par ambulance.

À la fin de l’appel, Maude Dagenais décide qu’elle n’enverra pas d’ambulance chez sa patiente. Elle confirme plutôt avec elle qu’un membre de sa famille est en mesure de la conduire aux urgences. Dans 24 heures, elle la rappellera pour vérifier qu’elle s’est bien rendue et qu’elle se porte bien.

Les motifs de santé peu urgents occupent environ 10 à 12 % du volume d’appels de la centrale. Ce nouveau triage offre la possibilité, si la situation le permet, d’être orienté vers une clinique, le soutien à domicile ou de simplement recevoir des conseils d’autosoins.

Récemment, une femme de 90 ans a appelé le 911 pour son conjoint malade, donne en exemple Maude Dagenais. « On suspectait des symptômes d’allure grippale, donc j’ai fait livrer à leur maison des tests COVID-19 », se remémore-t-elle.

L’infirmière les a assistés à distance pour faire le test. « C’était bien un patient COVID-19 positif et il a pu rester à la maison. J’ai fait un suivi 24 heures plus tard et il allait déjà mieux. Ça nous a permis d’éviter un transport de paramédicaux », se réjouit-elle.

Depuis le début du projet, on compte plus de 600 heures de transport ambulancier épargnées. « On réussit souvent à trouver d’autres moyens pour les transporter aux urgences. Pour la clientèle plus âgée, on utilise un transport alternatif comme un taxi ou un transport adapté offert par le CISSS Montérégie-Ouest », indique Claude Marie Hébert, cheffe de division clinique du groupe Alerte Santé.

Place au travail d’équipe

Si un appel au 911 est considéré comme prioritaire, les infirmières ne le trient pas, et des paramédicaux sont envoyés directement sur les lieux. « Si les paramédicaux arrivent sur place et réalisent que ce n’est pas urgent, ils peuvent appeler les infirmières et effectuer une coévaluation de la situation du patient », explique Simon Jeanneau, technicien ambulancier paramédic et chef d’équipe à la Coopérative des techniciens ambulanciers de la Montérégie (CETAM).

Le technicien ambulancier paramédical met alors son téléphone en mode mains libres pour avoir une discussion avec l’infirmière et le patient, afin de déterminer une solution de rechange aux urgences.

« Au début, certains paramédics avaient des appréhensions, car ils craignaient que ça prenne plus de temps de rester sur les lieux qu’amener un patient à l’hôpital », dit M. Jeanneau.

« Rapidement, on s’est rendu compte que c’est bien mieux de passer 15 minutes avec le patient que d’attendre 2 à 3 heures à l’hôpital. »

— Simon Jeanneau, chef d’équipe à la Coopérative des techniciens ambulanciers de la Montérégie

Ce service de coévaluation entre les infirmières et les paramédicaux, une première au Québec, est en place sur le territoire du CISSS de la Montérégie-Ouest. Il devrait être étendu dans les prochains mois à l’ensemble de la Montérégie.

Les infirmières de l’équipe Alerte Santé sont en poste de 7 h à 23 h, du lundi au vendredi. Les effets de leur travail se font sentir dans le réseau de la santé. « La cheffe des urgences du Suroît [à Salaberry-de-Valleyfield] me disait qu’on le sent quand la régulation n’est pas là, car il y a des ambulances qui arrivent avec des cas peu urgents qui n’ont pas été filtrés », dit Geneviève Demers, chargée de projet à la régulation au CISSS de la Montérégie-Ouest.

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