santé mentale

génération en détresse

La détresse psychologique de la « génération alpha », soit les enfants nés depuis 2010 et ayant toujours vécu avec les écrans, inquiète les psychiatres du Québec, qui réclament des cours d’éducation à la santé mentale dès la maternelle. « Si on ne s’attaque pas à ce qui est en train de se passer comme société, on n’y arrivera jamais », plaide la psychiatre à l’origine d’un important mouvement de réflexion sur la question.

Explosion de la détresse chez les jeunes

Les psychiatres du Québec réclament un cours d’éducation à la santé mentale

Inquiète pour la santé mentale des jeunes de la « génération alpha », soit les enfants nés depuis 2010 dont l’existence est marquée par l’utilisation des écrans, l’Association des médecins psychiatres du Québec lance un important mouvement de réflexion et souhaite implanter dans les écoles des cours d’éducation à la santé mentale.

« La demande de services augmente, augmente, augmente. […] À ce rythme, on ne parviendra pas à aider tous ceux qui en ont besoin », affirme la présidente de l’Association des médecins psychiatres du Québec, la Dre Karine Igartua, instigatrice du mouvement Alphas connectés.

Sur le terrain, la hausse de la détresse chez les jeunes est manifeste.

Proportion de jeunes du secondaire aux prises avec un niveau élevé de détresse psychologique

2016-2017 : 29 %

2010-2011 : 21 %

Source : Institut de la statistique du Québec

Prévalence des troubles anxieux chez les jeunes

2016-2017 : 17,1 %

2010-2011 : 8,6 %

Source : Institut de la statistique du Québec

« Les pédopsychiatres disent que de 40 % à 50 % des cas qu’ils voient maintenant aux urgences, ce ne sont pas des cas de maladies mentales, ce sont des cas de crises sociales comme “mon chum m’a laissée” ou “j’ai coulé un examen”, illustre la Dre Igartua. […] On a des jeunes sous pression et ils n’ont pas l’air d’être capables de gérer leur pression. Qu’est-ce qu’on fait comme société qui fait que nos jeunes sont si malades ? »

D’où l’idée du mouvement Alphas connectés, qui vise à s’interroger sur les « normes sociales et les habitudes de vie qui se sont développées au fil des ans et qui nuisent au développement des jeunes et à leur bien-être ». Déjà, des organismes comme la Fédération des médecins spécialistes du Québec se sont joints à l’initiative.

Présidente de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec, Guylaine Ouimette appuie l’initiative. « Chez les 6-8 ans, il y a plus de déprime et de détresse. C’est absolument terrorisant », affirme Mme Ouimette, qui espère que le mouvement amènera la société à être « plus consciente du problème » et à « trouver des solutions ».

Certes, la psychiatrie est le « parent pauvre » en santé et ne reçoit que 6 % du budget de la santé au Québec, souligne la Dre Igartua. « Mais outre le fait qu’on est sous-financés, la demande est en train d’augmenter. Si on ne s’attaque pas à ce qui est en train de se passer comme société, on n’y arrivera jamais », plaide la psychiatre.

Génération écran

Alphas connectés s’intéresse à la génération dite « alpha », composée des enfants nés à partir de 2010 – une génération pratiquement née avec un écran dans les mains qui « devra avoir les outils pour gérer l’impact psychologique de la vie numérique ».

Car l’utilisation constante des écrans a des conséquences sur la santé mentale des jeunes, rappelle la Dre Igartua. Le temps d’écran gruge entre autres des heures de sommeil, diminue la propension des jeunes à faire de l’activité physique et réduit leurs interactions sociales, autant de facteurs qui augmentent les risques de souffrir de troubles mentaux.

La Dre Igartua espère que ce mouvement suscitera des discussions. 

« Parlons à la maison avec nos enfants. Essayons de les appeler de vive voix au lieu de les texter. On a perdu l’habitude de se parler. Les employeurs peuvent aussi adopter des politiques pour favoriser la conciliation travail-famille… »

— La Dre Karine Igartua

Elle invite les parents à réfléchir à leur propre utilisation des écrans. Une étude publiée dans la revue américaine Child Development a montré que près de la moitié des parents interrompent leurs activités avec leur enfant pour consulter leur téléphone cellulaire au moins trois fois par jour, souligne la psychiatre.

La tendance à la surprotection et à la surstimulation, qui fait diminuer le temps de jeu libre chez les jeunes, doit aussi être remise en question. « Les jeunes ne sont plus capables d’être et d’exister sans être stimulés constamment, dit la Dre Igartua. On est tous coupables de ça. Les jeunes n’ont plus d’espace mental pour rêvasser, s’ennuyer… de juste faire une chose à la fois. »

La Dre Igartua se défend de rejeter la faute sur les parents. Elle rappelle que 48 % d’entre eux ont souvent ou toujours l’impression de courir toute la journée, selon l’Enquête québécoise sur l’expérience des parents d’enfants de 0 à 5 ans. « Mais il faut trouver des solutions pour mieux les soutenir. […] Ça fait partie des mœurs d’être toujours branché. Les parents sont aussi victimes de ça que les jeunes. »

Un cours dès la maternelle

La proposition principale du mouvement Alphas connectés est d’instaurer un cours d’éducation à la santé mentale de la maternelle jusqu’à la fin du secondaire. Les tout-petits pourraient entre autres apprendre à reconnaître et gérer les quatre émotions de base (joie, colère, tristesse et peur). 

Les élèves du secondaire pourraient apprendre les causes et les facteurs de risque des troubles mentaux, approche qui a porté ses fruits ailleurs dans le monde et permis d’apprendre aux jeunes à mieux faire face aux aléas de la vie, affirme la Dre Igartua. Mais au-delà de ce cours, l’Association des médecins psychiatres espère que des solutions seront implantées dans toutes les sphères de la société. « C’est le problème de tous », dit la psychiatre. 

Témoignage du fils du député Harold Lebel

« Le quotidien est étouffant »

Fils du député de Rimouski, Harold LeBel, Joseph-Étienne LeBel ressent de l’anxiété « depuis toujours ». Une anxiété paralysante, qui l’a longtemps empêché de savourer pleinement la vie.

« Mon stress est beaucoup philosophique. Je me demande tout le temps ce que je vais faire la semaine prochaine. Si je suis à la bonne place. Pendant longtemps, ça me paralysait au point de me clouer au lit », dit-il.

Le jeune homme aujourd’hui âgé de 23 ans estime que la société actuelle contribue à accentuer le stress chez les jeunes. « La société fait partie à 100 % de mon problème. Pourquoi veut-on autant performer ? Je ne comprends pas. Et je ne suis pas le seul », dit-il.

Pas un cas unique

Pour le jeune homme, « le quotidien est étouffant ». « Pour moi, des choses simples comme faire l’épicerie sont angoissantes. Je me demande si j’ai assez d’argent, assez de temps pour y aller… Et on se fait dire : “Pourquoi tu n’es pas capable de faire une chose si simple ?” », illustre-t-il.

Joseph-Étienne LeBel n’est pas le seul dans sa situation. Les psychiatres du Québec s’inquiètent de la hausse de la détresse et de l’anxiété chez les enfants. Ils estiment qu’une grande réflexion de société doit avoir lieu pour aider les jeunes, dont ceux de la génération « alpha », nés à partir de 2010 et ayant toujours vécu avec les écrans, à avoir une santé mentale plus épanouie.

Même s’il ne fait pas partie de cette génération, Joseph-Étienne LeBel estime qu’une réflexion s’impose. Pour lui, il est clair que l’usage des technologies fait entre autres partie du problème.

« Tout le monde est joignable tout le temps. Il faut tout le temps être dans l’action. Quand quelqu’un ne répond pas, on se demande pourquoi. Pour quelqu’un qui a de l’anxiété, c’est trop. Ton hamster roule tout le temps. »

— Joseph-Étienne LeBel

Motion à l’Assemblée nationale

Hier, le député Harold LeBel a déposé une motion à l’Assemblée nationale pour notamment « bonifier les ressources en santé mentale et octroyer une aide financière supplémentaire aux organismes en place, dans les meilleurs délais, pour rendre les traitements des troubles anxieux accessibles à tous ».

En point de presse, le député péquiste a affirmé que la société est mûre pour une réflexion. Et les politiciens ne font pas exception. « On est tout le temps sur nos cellulaires. En train de tweeter ou de regarder les tweets des autres. Les jeunes nous regardent aller et embarquent dans le même système », dit-il.

M. LeBel a raconté avoir vécu des moments difficiles quand son fils, en voyage dans l’Ouest canadien, l’a appelé en pleine crise de panique.

Joseph-Étienne LeBel se souvient parfaitement de ce jour-là. Il avait 20 ans et était parti en autostop dans l’ouest du pays. 

« J’ai fait une grosse crise de panique. J’étais couché au bord de l’autoroute. Je ne pouvais plus rien faire », raconte le jeune homme.

Au bout d’un certain temps, il a repris le contrôle de la situation. Il a beaucoup voyagé depuis : « J’ai réalisé qu’en faisant des choses qui me font peur, je comprends que c’est pas si pire. Ça m’aide. » Il travaille aujourd’hui dans la restauration et gère bien le stress de ce milieu.

S’il avait un conseil à donner aux plus jeunes vivant de l’anxiété, Joseph-Étienne LeBel leur dirait « d’en parler à quelqu’un ». « Ça a l’air niaiseux, mais ça aide. Et juste le fait que les gens en parlent de plus en plus, ça aide. Savoir que c’est un problème qui dépasse notre seule personne, ça rassure. »

La motion de M. LeBel a été adoptée à l’unanimité, hier, à l’Assemblée nationale. Une motion de « sensibilisation », selon le député, qui espère que la discussion se poursuivra sur le sujet.

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