J’appelle souvent au 311, la ligne de la Ville de Montréal. Pour savoir quand aura lieu le prochain ramassage de déchets verts. Pour demander une vignette de stationnement ou signaler un nid-de-poule. Depuis jeudi, je peux aussi appeler à ce numéro pour pratiquer mon anglais !

Et tout ça, grâce à l’entrée en vigueur le 1er juin de la loi 96 qui modifie la Charte de la langue française et, selon le texte de la loi, a « pour objet d’affirmer que la seule langue officielle du Québec est le français ».

Jeudi matin donc, j’ai appelé mon 311 bien-aimé. Après m’avoir souhaité un bref « bienvenue à la Ville de Montréal » en français et m’avoir donné l’option d’appuyer sur le 1 pour continuer ma communication dans la langue de Pauline Julien, le système téléphonique automatisé s’est immédiatement lancé dans une longue explication — en anglais — des nouvelles règles en vigueur pour recevoir des services dans la langue de Leonard Cohen.

« Nous serons heureux de vous donner des services en anglais si vous affirmez en toute bonne foi faire partie d’une des exceptions suivantes… », poursuit le message unilingue anglophone avant d’énumérer lesdites exceptions : être autochtone, être un nouvel immigrant arrivé au Québec au cours des six derniers mois, être admissible à l’enseignement en anglais, appeler de l’extérieur du Québec ou avoir exclusivement communiqué avec la Ville de Montréal en anglais avant le 13 mai 2021.

« Si vous l’affirmez en toute bonne foi, appuyer sur le 2 », suggère l’enregistrement

Cet enregistrement maladroit de la Ville de Montréal — qui inflige un long message en anglais aux francophones et demande aux anglophones de rentrer dans des petites cases — démontre bien comment les nouvelles règles imposées par le gouvernement de François Legault seront difficiles à mettre en application dans la vie de tous les jours. Et tout particulièrement dans les milieux les plus diversifiés de la province.

À Montréal, où 24,2 % de la population rapportait lors du dernier recensement parler l’anglais à la maison, où arrive la grande majorité des nouveaux immigrants, où vit le plus grand nombre d’autochtones en milieu urbain au Québec et où se trouve la plupart des 304 000 enfants admissibles à l’enseignement en anglais et, par la bande, leurs parents, le mot « exception » est mal choisi.

Pensez-y bien. Si on demandait aux francophones représentant 22,8 % de la population canadienne de s’autodécrire comme des « exceptions » lors d’un appel au gouvernement fédéral, plusieurs pousseraient les hauts cris.

Et imaginez si on vous demandait en plus de certifier ce statut d’exception « en toute bonne foi », comme si vous passiez un test de polygraphe téléphonique, vous vous sentiriez probablement quelque peu surveillé, infantilisé. Et tout ça pour recevoir des services pour lesquels vous payez des taxes municipales et des impôts.

Et il n’y a pas qu’au téléphone que ça paraît. Le malaise est tout aussi évident sur le site web de Montréal, où l’on annonce que la Ville se « conformera progressivement » à la loi. La version anglophone du site est toujours accessible, mais on stipule que son utilisation est réservée aux mêmes « exceptions ». Les autres, fermez-vous les yeux pour ne pas enfreindre la loi !

La situation est la même à Laval.

La ville de Longueuil a pour sa part fait complètement disparaître l’anglais de son site web lors de sa refonte en 2021. Sous l’onglet « langue », on propose aux anglophones de traduire le site web grâce à Google Translate. On donne même la procédure à suivre pour y arriver.

Est-ce que les quelque 15 000 Longueuillois qui ont l’anglais comme seule langue maternelle vont considérer que l’utilisation d’un logiciel de la Silicone Valley équivaut à recevoir des services dans leur langue ? Permettez-moi d’en douter !

Encore une fois, si on m’imposait le contraire en français, je ruerais dans les brancards.

Loin de moi l’idée de dire qu’il ne fallait rien faire pour protéger davantage le français au Québec. Un des objectifs de la loi est d’envoyer un message clair sur le rôle central du français dans la vie publique. Cependant, il est évident depuis le début du débat que la décision de limiter les services offerts à la population en anglais ne se fera pas sans heurts.

Bien sûr, jeudi était le jour 1 de l’entrée en vigueur des nouvelles normes. Il aurait été surprenant que les réformes trouvent immédiatement leur meilleure incarnation. Cela dit, les premières maladresses attestent qu’il est plus facile de faire adopter des lois à l’Assemblée nationale du Québec que de faire face à la réalité d’un Québec qui ne sera jamais homogène. En toute bonne foi.

Précision
La Ville de Longueil n’a pas fait disparaître l’anglais de son site web le matin du 1
er juin, comme l’affirmait la chronique originale, mais en 2021. Nos excuses.