En guerre économique contre la Russie

La puissante contre-attaque occidentale ne parviendra pas à stopper l’agression barbare subie par les Ukrainiens, mais imposera à la Russie un lourd tribut. Tous les pays pâtiront du conflit, certains plus que d’autres.

Vladimir Poutine affirme que l’Ouest a déclaré une guerre économique à la Russie. Pour une fois, il dit vrai. Nos gouvernements ont imposé les sanctions les plus sévères, décuplées par la réaction des marchés et des entreprises.

La première ronde de mesures a frappé les oligarques, le président et son cercle rapproché avec des interdictions de séjour et le gel de leurs avoirs à l’étranger.

Ensuite, on a débranché plusieurs banques russes du réseau mondial de messagerie SWIFT, qui facilite les transactions interbancaires. À noter, l’exception faite aux deux institutions par qui transitent les paiements européens pour les livraisons de pétrole et de gaz russes.

Le coup spectaculaire, promu par le Canada, a été de geler 60 % des énormes réserves de change de la banque centrale de Russie, soit la portion qu’elle détient dans les pays occidentaux. En défendant aux grandes institutions financières de négocier avec elle sur le marché des changes, on l’empêche de soutenir le rouble ou de financer les importations.

Les interdictions de vol au-dessus de l’Union européenne et de plusieurs pays ont bloqué la plupart des vols internationaux reliant la Russie. Les vols intérieurs seront aussi touchés, car on a également proscrit la vente des pièces nécessaires à l’entretien des avions Boeing et Airbus.

Plus critique sur le long terme, l’Occident a coupé l’accès à sa haute technologie, des microprocesseurs à l’équipement de forage.

Une offensive complémentaire et sans précédent est venue des 300 multinationales qui ont volontairement annoncé la cessation temporaire ou permanente de leurs activités en Russie.

Bref, l’ensemble de ces actions plongent l’économie russe dans une profonde récession et la condamne à une croissance anémique pour de nombreuses années.

Pour tenter de limiter les dégâts, la Russie a doublé son taux d’intérêt à 20 %, imposé un contrôle des capitaux et fermé la Bourse de Moscou, ce qui n’a pas empêché le rouble de perdre 36 % de sa valeur face au dollar américains, ni la chute des actions russes aussi cotées à l’extérieur du pays. Il en va de même des obligations d’État libellées en dollars et en euros, sujettes à un probable défaut.

Les pertes financières des investisseurs et des entreprises occidentales seront significatives, mais pas si graves en raison du poids généralement faible de la Russie dans les portefeuilles et les chiffres d’affaires, même si Poutine menace maintenant de saisir les actifs des firmes qui cessent leurs opérations en Russie.

Une grosse station-service

La Russie a beau être une superpuissance militaire avec ses 5000 ogives nucléaires, son PIB est 25 % plus petit que celui du Canada. Elle est « incroyablement sans importance dans l’économie mondiale, excepté pour le pétrole et le gaz », a expliqué à la BBC Jason Furman, professeur d’économie à Harvard. « C’est essentiellement une grosse station-service ! »

Ce pays est le plus grand exportateur de gaz au monde et le deuxième en pétrole. Malheureusement, l’Union européenne en dépend pour 40 % de sa consommation de gaz et pour 27 % de son pétrole.

Avant la guerre, les cours de l’énergie étaient déjà en hausse avec la reprise économique. Le prix de gros du gaz en Europe est aujourd’hui 20 fois plus élevé que l’an dernier, tandis que celui du Brent a grimpé des deux tiers. La Russie en profite amplement, ce qui lui permet de financer sa coûteuse guerre en Ukraine.

Pour briser cette relation tordue, l’Europe vient d’annoncer son intention de réduire des deux tiers ses achats de gaz russe d’ici la fin de l’année en important plus de gaz liquéfié d’ailleurs, en accélérant les investissements en énergies renouvelables et en réduisant sa consommation.

Le plan pour remplacer le pétrole russe reste flou, car il n’y a pas de solution miracle à court terme. Seuls des pays peu ou pas dépendants comme les États-Unis et le Canada y renoncent facilement.

Le second choc inflationniste provoqué par la guerre touche les céréales. La Russie et l’Ukraine produisent 30 % du blé mondial et en sont respectivement le premier et le cinquième exportateur. Le prix du boisseau est en hausse de 37 % depuis le début du conflit.

Des conséquences mondiales

L’inflation mondiale s’aggrave. Pire, elle mine la confiance des consommateurs et ralentira la croissance économique. En Europe, le risque de récession est élevé. En Amérique du Nord, ce risque est en partie compensé du fait que les producteurs d’hydrocarbures et de céréales profitent des prix élevés. Les pays pauvres importateurs de pétrole souffriront, de même que les faibles salariés dans les pays riches, car l’alimentation représente une grande partie de leurs dépenses.

En d’autres mots, l’économie mondiale est confrontée au retour probable de la stagflation, un phénomène qu’on n’a pas vu depuis les deux chocs pétroliers des années 1970.

Bien que, de nos jours, le pétrole joue un rôle bien moindre dans l’économie, la combinaison d’une inflation élevée et d’une croissance faible ou négative posera un dilemme aux banques centrales : choisir le frein ou l’accélérateur ?

Les gouvernements seront aussi confrontés à des choix déchirants : de combien faut-il augmenter les dépenses militaires dans des budgets sous pression ? Comment concilier la sécurité énergétique et la nécessaire décarbonation de l’économie ?

Bannie du monde occidental, la Russie cherchera refuge dans les bras de la Chine, mais jusqu’où ira leur récente alliance ? Pour l’heure, malgré les déclarations réconfortantes du président Xi, la Chine refuse de livrer les pièces de Boeing et d’Airbus dont Poutine a besoin pour ses avions.

Le champ de bataille est noyé dans le brouillard de guerre décrit par le général prussien Carl von Clausewitz. Il est beaucoup trop tôt pour trouver réponses à ces questions. En attendant, on ne peut qu’espérer le meilleur pour les braves Ukrainiens.

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