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L’homme qui fuit

Marie-Hélène Girard croyait épouser un juriste spécialisé en droit pénal international. C’était plutôt un homme en fuite, soupçonné d’avoir enlevé sa propre fille au Guatemala. Comment les autorités canadiennes ont-elles pu laisser filer Carlos Arnoldo Reyes Rivas pendant aussi longtemps ?

UN DOSSIER D’ISABELLE HACHEY

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L’IMPOSTEUR

Marie-Hélène Girard avait des idéaux plein la tête. En ce mois de septembre 2009, elle rentrait d’un voyage au Guatemala et voulait s’impliquer pour ce pays d’Amérique latine. Alors, elle a cogné à la porte d’Amnistie internationale, à Montréal. C’est là qu’on lui a présenté Carlos Reyes, coordonnateur pour le Guatemala au sein de l’organisme de défense des droits de l’homme.

La perle rare.

Carlos Arnoldo Reyes Rivas était cultivé, séduisant et doté d’une intelligence exceptionnelle. Avocat spécialisé en droit pénal international, il était observateur de l’ONU au procès du criminel de guerre rwandais Désiré Munyaneza. Il côtoyait des professeurs de renom de l’UQAM, de McGill et de l’Université Laval. Il était le père dévoué d’une fille de 11 ans, Michelle. Pour couronner le tout, il était le richissime héritier d’oligarques guatémaltèques.

Tout le monde y a cru. Les militants d’Amnistie, trop heureux de pouvoir compter sur le travail bénévole d’un tel cerveau. Les juristes québécois, impressionnés par la feuille de route de leur distingué confrère. Et Marie-Hélène Girard, bien sûr. Conquise par ce brillant humaniste, elle lui a passé la bague au doigt le 8 mai 2010, huit mois après l’avoir rencontré.

Ce jour-là, Marie-Hélène Girard ne se doutait pas que le piège tendu par Carlos Reyes venait de se refermer sur elle. Qu’en l’épousant, elle avait aidé un présumé criminel, recherché par la police guatémaltèque, à fuir la justice de son pays.

Que l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) était à ses trousses. Que la GRC faisait enquête pour enlèvement d’enfant. Que d’autres femmes étaient tombées dans ses filets. Et en faisaient toujours des cauchemars.

Joint par La Presse, Carlos Reyes a refusé de donner sa version des faits.

HARCELÉE SANS RELÂCHE

Il a fallu quatre ans à Marie-Hélène pour découvrir qu’elle avait marié un imposteur. Et pour l’admettre. Quatre ans pendant lesquels il a vécu à ses crochets, soutient-elle. Marie-Hélène Girard s’est endettée pour satisfaire le luxueux train de vie de son mari : à lui seul, le loyer de leur appartement s’élevait à 4000 $ par mois. Carlos Reyes promettait sans cesse à sa femme que ses millions, bloqués au Guatemala, finiraient bientôt par affluer.

Plus les doutes de Marie-Hélène Girard grandissaient, plus sa relation avec Carlos Reyes s’envenimait. Plus elle posait des questions, plus son mari se montrait agressif envers elle. Un jour, elle a découvert que les courriels envoyés par son mari lors de ses fréquents voyages d’affaires à l’étranger provenaient… de Terrebonne. Elle a senti la panique l’envahir. « Je ne savais pas qui il était. J’avais vraiment peur. J’avais passé quatre ans avec un étranger. »

Marie-Hélène Girard s’est enfuie. Mais Carlos Reyes n’avait pas l’intention de la laisser partir si facilement. Il s’est mis à harceler sa famille, ses amis, ses collègues et ses professeurs, explique-t-elle.

Il a multiplié les plaintes auprès de nombreuses instances. Il a déclaré, en autres, qu’elle avait plagié ses travaux en rédigeant son mémoire de maîtrise en traduction, à l’Université de Montréal.

La plainte s’est révélée être sans fondement. Mais l’Université de Genève, où Marie-Hélène Girard venait d’être admise au doctorat, a tout de même plié devant « l’obsession » et la « virulence des attaques » de M. Reyes envers son personnel enseignant. L’institution suisse a fortement recommandé à son étudiante québécoise de prendre une année sabbatique, le temps que la poussière retombe.

Marie-Hélène Girard était atterrée.

« M’enlever Genève, c’était un peu sa victoire. C’est la meilleure université du monde dans mon domaine, la traduction. Il a touché une corde sensible. J’avais la certitude qu’il voulait m’écraser pour m’empêcher de parler, mais je ne savais pas de quoi. Je me doutais que c’était en rapport avec sa fille, Michelle. »

Les autorités canadiennes ne lui révélaient que des bribes du dossier, sous prétexte qu’il était confidentiel. Alors, Marie-Hélène Girard a mené sa propre enquête. Puisque son mari l’avait forcée à interrompre ses études, elle avait tout le temps de le faire.

D’AUTRES FEMMES UTILISÉES

Au fil de ses recherches, Marie-Hélène Girard a découvert avec effroi qui était vraiment l’homme avec qui elle avait partagé quatre ans de sa vie.

Loin d’être un éminent juriste, Carlos Reyes n’avait pratiquement jamais travaillé. Il avait fraudé l’aide sociale, escroqué des propriétaires de logement, omis de payer les honoraires de ses avocats et les droits de scolarité de sa fille Michelle.

Pire encore, Carlos Reyes était recherché pour vol et fraudes au Guatemala lorsqu’il s’est enfui à Montréal, en septembre 2002, arrachant Michelle à sa mère, Isabelle Auclair. Malgré des années d’efforts désespérés, cette citoyenne française n’a jamais réussi à récupérer sa fille (voir textes suivants).

Carlos Reyes a tenté d’obtenir le statut de réfugié au Canada, sans succès. Il avait épuisé tous ses recours et était visé par une mesure de renvoi lorsqu’il a épousé Marie-Hélène Girard. Cette dernière est convaincue qu’il s’est servi d’elle pour éviter l’expulsion et obtenir sa résidence canadienne.

Il n’en était pas à sa première tentative. Rosalie Caron est tombée sous le charme de M. Reyes en 2002, quelques semaines après l’arrivée du Guatémaltèque à Montréal. Mais les choses ont tourné au vinaigre lorsque cette mère célibataire a refusé de le parrainer. « Il est devenu possédé, machiavélique, tellement agressif… cela faisait peur, dit-elle. Il m’a fait des menaces. Il s’est introduit chez moi, il me suivait partout en ville. Je passais mon temps à changer les pneus de mon auto. Ils ont été crevés 11 fois ! »

Rosalie Caron a changé ses serrures, loué une place de stationnement surveillée au centre-ville et alerté l’école de sa fille. Elle était terrorisée. Et impuissante. « Personne ne pouvait m’aider. Pour les policiers, Carlos Reyes n’était qu’un petit malfrat. Je vivais dans un climat de peur dans ma propre ville. » En désespoir de cause, elle s’est résignée à vendre sa maison et à quitter Montréal. « J’ai refait ma vie ailleurs. »

LA DERNIÈRE VICTIME

Marie-Hélène Girard a constitué un dossier de plusieurs centaines de pages contre Carlos Reyes. Un travail méticuleux, porté à la fois par un besoin de connaître la vérité et une soif de justice. Mais elle savait que seule la mère de Michelle, Isabelle Auclair, lui donnerait la dernière pièce du puzzle.

Encore fallait-il la trouver.

Pendant quatre ans, Carlos Reyes lui avait raconté que sa première femme lui avait fait vivre l’enfer. Qu’elle avait kidnappé leur fils, Nicolas. Et qu’elle était introuvable depuis des années.

Marie-Hélène Girard a recherché Isabelle sur deux continents. Au bout de plusieurs mois, elle a fini par la retrouver – et à gagner, lentement, sa confiance. Son histoire, crève-cœur, est racontée sous le quatrième onglet de ce dossier. En l’écoutant, Marie-Hélène Girard a su que son instinct ne l’avait pas trompée : Isabelle Auclair aussi avait été victime de Carlos Reyes . Et Michelle l’était toujours.

« Il a utilisé toutes les femmes de sa vie. Michelle est sa dernière victime », constate Mme Girard qui s’est mis en tête de sauver l’adolescente de 17 ans de son propre père. « C’est ma façon d’obtenir justice. Si je parviens à sortir Michelle de là, je n’aurai pas perdu quatre ans de ma vie pour rien. »

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ATTRAPE-MOI SI TU PEUX

Aux yeux de ses victimes, Carlos Reyes a toujours su se faufiler entre les mailles du

filet et à se jouer des autorités canadiennes et guatémaltèques. Sa cavale, en cinq temps.

CIUDAD DE GUATEMALA GUATEMALA

Carlos Arnoldo Reyes Rivas est né le 11 décembre 1969, à Guatemala. Il a été élevé dans un quartier très modeste. Sa mère avait réussi à l’inscrire dans une école située dans un secteur plus riche de la capitale. Mais le jeune Carlos avait honte de ses origines et s’était inventé un personnage de riche héritier auprès de ses camarades, selon son ancienne femme, la Française Isabelle Auclair. Le couple a eu deux enfants au Guatemala : Michelle et Nicolas.

SAN SALVADOR SALVADOR

Carlos Reyes était soupçonné d’escroqueries – liées à des loyers impayés et à des chèques sans provision – lorsqu’il s’est enfui à San Salvador avec sa fille de 3 ans, à l’automne 2001. Isabelle Auclair a remué ciel et terre pour retrouver Michelle, en vain. Malgré les efforts de la police guatémaltèque, de l’ambassade de France et des détectives privés, le père et la fille sont restés introuvables.

MONTRÉAL QUÉBEC

Carlos Reyes a demandé le statut de réfugié lors de son arrivée au Canada, le 8 septembre 2002. Le processus s’est étiré pendant des années. Il avait épuisé tous ses recours lorsqu’il s’est marié, en 2010, avec Marie-Hélène Girard, qui a accepté de le parrainer. C’est ainsi que Carlos Reyes a obtenu sa résidence permanente en juin 2013… tout en étant visé par un avis d’expulsion de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC).

SAINT-GÉDÉON QUÉBEC

En février 2012, Carlos Reyes habitait Saint-Gédéon, au Lac-Saint-Jean, avec Marie-Hélène Girard, native de la région. Croyant toujours avoir épousé un éminent juriste, Marie-Hélène ignorait que son mari se cachait alors de l’ASFC. Arrêté dans un barrage routier de la Sûreté du Québec, Carlos a été placé en détention avec sa fille Michelle, en attente de leur expulsion prochaine vers le Guatemala. Après deux jours, toutefois, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié lui a rendu sa liberté sous conditions.

CALGARY ALBERTA

Le 6 juin 2016, Carlos Reyes a été arrêté par la police de Calgary après une cavale de plusieurs jours. Il est accusé de fraudes et de vol d’identité. Selon la police, il se faisait passer pour un ingénieur afin de louer de luxueux appartements meublés. Une fois installé, il refusait de payer le loyer. Depuis 2014, il aurait ainsi fraudé six propriétaires de 30 800 $. À 17 ans, Michelle vient à peine d’apprendre la vérité sur son père.

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Deux choix déchirants

LE CHOIX D’ISABELLE

Le 20 septembre 2001, Isabelle Auclair a été confrontée au choix le plus déchirant de sa vie. Un choix qui, depuis, n’a jamais cessé de la hanter.

La veille de cette journée fatidique, la Française s’était disputée avec son mari, Carlos Reyes. Il y avait déjà longtemps qu’elle ne reconnaissait plus l’homme charmant qu’elle avait rencontré en Allemagne, neuf ans plus tôt, et dont elle était tombée amoureuse, au point de le suivre au Guatemala et de lui donner deux enfants.

Trop longtemps, Isabelle Auclair avait laissé traîner les choses. Elle n’en pouvait plus : avec Carlos, c’était bel et bien fini.

La dispute avait été violente. Quand Mme Auclair lui avait annoncé qu’elle ferait appel à un avocat pour obtenir la garde des enfants, Carlos Reyes aurait explosé de rage. Selon Isabelle Auclair, il l’aurait bousculée, lui aurait tiré les cheveux et l’aurait menacée à la pointe d’un couteau dans la cuisine.

« Ensuite, il a sorti un pistolet du tiroir de la table de chevet dans la chambre. Il jouait avec le cran d’arrêt en me regardant. J’ai hurlé et j’ai réussi à m’enfuir. Je me suis réfugiée chez des voisins. »

— Isabelle Auclair

Le lendemain, Isabelle Auclair a attendu que Carlos Reyes ait quitté la maison pour récupérer les enfants, Michelle et Nicolas. « Ma belle-mère a compris ce que j’étais en train de faire. Le temps que je détache Nicolas de sa chaise de bébé, elle s’était emparée de Michelle et s’était enfermée dans les toilettes. J’ai essayé d’enfoncer la porte, mais quand j’ai entendu qu’elle téléphonait à Carlos, j’ai été prise de panique et je me suis enfuie avec Nicolas… »

C’est ce choix – laisser sa fille de 3 ans derrière elle pour fuir un mari violent –  qu’Isabelle Auclair regrette depuis 15 longues années. Même si, ce jour-là, elle ne pouvait pas s’imaginer qu’elle ne reverrait pratiquement jamais Michelle.

Pendant deux ans, Mme Auclair a remué ciel et terre pour la retrouver. En vain. Carlos Reyes et Michelle s’étaient volatilisés dans la nature.

Et puis, en juin 2003, elle a reçu un appel du Canada. Carlos Reyes était à Montréal depuis un an, après s’être terré pendant des mois au Salvador. Isabelle Auclair était convaincue que le Canada, un État de droit, lui rendrait sa petite fille dans les plus brefs délais. « Pour moi, il n’y avait pas de doute. »

Ça ne s’est pas passé comme ça. En avril 2004, le juge Kirkland Casgrain, de la Cour supérieure du Québec, a rejeté son témoignage et accordé la garde de Michelle à son père. « Le juge l’a cru, se désole Mme Auclair. Tout le monde l’a toujours cru. Il a un don pour embobiner les gens. »

Deux ans plus tard, en mai 2006, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a rejeté la demande d’asile de M. Reyes. À l’appui de sa demande, ce dernier avait accusé Isabelle Auclair d’être liée au crime organisé et à un réseau international de trafic d’enfants. Selon lui, des agents avaient même été envoyés à sa résidence pour l’assassiner.

Pour la CISR, cette « histoire dantesque » était « truffée d’incohérences, d’invraisemblances et de contradictions ». La réalité, c’est que Carlos Reyes avait fui avec Michelle, contrevenant ainsi à l’ordonnance de restitution qui avait été prononcée en faveur d’Isabelle par un tribunal du Guatemala.

Carlos Reyes s’était rendu coupable de l’enlèvement de sa propre fille, a conclu la CISR, lui causant ainsi « un préjudice grave et sérieux équivalant à de la persécution ». Malgré cette décision et celles qui ont suivi, Michelle n’a jamais été rendue à sa mère.

LE CHOIX DE MICHELLE

Toute sa vie, Michelle Anaïs Reyes a cru que son père était avocat. Toute sa vie, elle a cru que sa mère était perfide. C’est ce que Carlos Reyes lui avait toujours raconté. « Tu n’es pas censé douter de ce que te disent tes parents », souligne-t-elle.

Michelle a toutefois compris depuis longtemps que son père était un beau parleur.

« Il m’a beaucoup menti. Il me disait qu’on irait en Afrique du Sud et en Allemagne. Il me disait qu’on avait un chalet à Mont-Tremblant ; on n’est jamais allés… »

— Michelle Anaïs Reyes

La relation de Carlos Reyes et de sa fille s’est détériorée lorsqu’ils ont quitté Montréal pour Calgary en 2014. L’adolescente a déniché un emploi dans un commerce de restauration rapide. Son père, qui ne travaillait pas, lui a emprunté sa carte de débit. Il l’a gardée pendant deux mois. « Quand il me l’a rendue, il restait 2 $ dans mon compte. »

Par la suite, Michelle a régulièrement prêté sa carte de débit à son père pour lui permettre de payer l’épicerie. « Sinon, on n’aurait rien mangé. » Elle a fait le calcul : son père lui doit 6280 $.

Le 21 juin, Carlos Reyes a été accusé de vol d’identité et de fraudes. Selon les policiers, il se faisait passer pour un ingénieur pour s’installer dans des appartements meublés de Calgary, dont il refusait ensuite d’acquitter le loyer. Il a plaidé non coupable et a été libéré sous caution en attente de son procès.

Marie-Hélène Girard planifiait depuis des mois un voyage à Calgary pour mettre Michelle en garde contre Carlos Reyes lorsque ce dernier a été arrêté par la police. Mme Girard avait prévu une approche toute en douceur. Elle s’est retrouvée en plein cœur de la crise. Elle n’a pas eu à convaincre son ancienne belle-fille.

Elle lui a tout de même montré son dossier. Des photos, des lettres, des jugements accablants contre M. Reyes. Pour Marie-Hélène Girard, il était crucial que Michelle sache enfin toute la vérité sur son père. Crucial, aussi, de la mettre en contact avec Isabelle Auclair. Sa mère, dont elle ne conservait aucun souvenir.

Après 15 ans de silence, Michelle et sa mère ont brisé la glace à la mi-juin par l’entremise de Facebook. « J’étais persuadée qu’elle m’en voudrait de ne pas l’avoir protégée, de ne pas avoir su empêcher ce qui s’est passé avec son père », confie Isabelle Auclair.

Mais Michelle ne lui en veut pas. Toute sa colère, elle la destine désormais à son père, avec qui elle a coupé les ponts. « Il a exploité toutes les femmes qui ont passé dans sa vie ; je suis celle qui a toujours été là, celle qui ne pouvait pas partir », constate l’adolescente avec amertume.

Michelle aimerait rattraper le temps perdu avec sa mère, mais n’aura 18 ans qu’en septembre et doit obtenir l’accord de Carlos Reyes, son tuteur légal, pour qu’on lui délivre un passeport. Isabelle Auclair, de son côté, ne veut pas brusquer les choses. « J’ai attendu 15 ans, je ne suis pas à quelques mois près. »

Bientôt, Michelle sera adulte. Et sera confrontée, à son tour, au choix le plus difficile de sa vie. « Nous avons besoin de temps pour renouer contact, pour créer un lien, dit Isabelle Auclair. Son retour parmi nous doit être un choix, une envie, pas une roue de secours. Vivre avec son père lui a été imposé, je souhaite qu’elle vive avec nous par désir. »

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QUESTION À L’IMMIGRATION

Nous avons posé cette question à Citoyenneté et Immigration Canada : comment est-il possible qu’un ressortissant étranger qui a épuisé tous ses recours devant la Commission d’immigration et du statut de réfugié et qui est visé par une mesure de renvoi puisse malgré tout obtenir sa résidence permanente ?

LA RÉPONSE

« Les demandes d’asile et les demandes de résidence permanente présentées au titre d’un volet d’immigration (p. ex. regroupement familial, immigration économique) sont deux processus distincts comportant des exigences et des évaluations qui leur sont propres. Le fait qu’une demande d’asile soit refusée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada n’empêche pas la personne concernée de présenter également une demande de résidence permanente au titre d’un autre volet d’immigration, comme la catégorie du regroupement familial. 

« Pour toutes les demandes de résidence permanente, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) procède à un contrôle de sécurité afin de s’assurer que les demandeurs ne posent aucun risque pour la sécurité des Canadiens. Aux fins du contrôle de sécurité, le demandeur doit soumettre un certificat de police ou un document de vérification du casier judiciaire dans le cadre du processus de demande. Cependant, des condamnations ou des accusations au criminel à l’étranger n’empêchent pas nécessairement une personne d’obtenir la résidence permanente au Canada. […] Le processus consistant à déterminer l’équivalent canadien des actes ou des accusations ou condamnations au criminel se fait au cas par cas. »

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Que font les autorités ?

Carlos Arnoldo Reyes Rivas a obtenu sa résidence permanente au Canada en juin 2013, alors même qu’il était visé par une mesure de renvoi dans son pays d’origine, le Guatemala. Comment expliquer cette incohérence ? « Le problème, c’est que personne ne se parle, dit Marie-Hélène Girard, qui a mené sa propre enquête sur son ex-mari. Un tas d’organismes publics ont des dossiers contre Carlos, mais ne se partagent pas l’information : l’Agence des services frontaliers du Canada, Citoyenneté et Immigration Canada, la GRC, le SPVM… » Dans ce dossier, Marie-Hélène Girard a eu l’impression que les différents organismes « ne connaissaient pas toute l’histoire » au moment de rendre leurs décisions. Un travail en vase clos qui semble avoir joué en faveur de Carlos Reyes. Voici les principales étapes de son parcours au Canada.

8 SEPTEMBRE 2002

Carlos Reyes arrive au Canada avec sa fille de 4 ans, Michelle. Il demande l’asile et déclare à l’agent d’immigration que sa femme Isabelle et son fils Nicolas « se cachent chez des amis » au Guatemala et viendront bientôt les rejoindre. Plus tard, il se contredira en racontant qu’il a fui sa femme qui voulait l’assassiner.

13 MARS 2003

Le Solliciteur général du Canada intervient dans la demande d’asile de Carlos Reyes et soulève la possibilité de son exclusion. Il a des raisons sérieuses de penser que Carlos a enlevé sa fille.

21 AVRIL 2004

La Cour supérieure du Québec rejette la version des faits d’Isabelle Auclair et accorde la garde de Michelle à Carlos. Le juge Kirkland Casgrain conclut que la mère se préparait à quitter le Guatemala avec ses deux enfants et que, par conséquent, la fuite de Carlos avec Michelle au Canada n’était « pas déraisonnable ».

11 MAI 2004

À la suite du jugement de la Cour supérieure du Québec, le Solliciteur général du Canada retire son avis d’intervention en ce qui concerne l’exclusion de Carlos Reyes.

3 MAI 2006

Contrairement à la Cour supérieure du Québec, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) conclut à « un enlèvement international de l’enfant par son père » et refuse à Carlos Reyes et à Michelle le statut de réfugié.

13 MARS 2007

La Cour fédérale infirme la décision de la CISR et ordonne le retour du dossier devant un panel nouvellement constitué. Carlos s’évanouit dans la nature avec sa fille.

2008

La GRC ouvre une enquête pour enlèvement d’enfant à la demande d’Interpol Guatemala. Les enquêteurs suivent « chaque petite piste pour les retrouver », assure la porte-parole de la GRC, Camille Habel. Mais Carlos et Michelle sont introuvables.

8 MAI 2010

Carlos Reyes se marie avec Marie-Hélène Girard et fait une demande de résidence permanente auprès de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) sur la base du regroupement familial. Marie-Hélène ignore que la GRC est aux trousses de son mari.

1er FÉVRIER 2012

Alors qu’ils habitent avec Marie-Hélène, Carlos et Michelle sont arrêtés à Saint-Gédéon, au Lac-Saint-Jean. Ils sont détenus au centre de surveillance de l’immigration de Laval. L’ASFC avise Isabelle Auclair que sa fille est sur le point d’être expulsée au Guatemala. « Après, je n’ai plus eu de nouvelles », se souvient Isabelle.

3 FÉVRIER 2012

La CISR remet Carlos et Michelle en liberté sous conditions. Le commissaire Louis Dubé rappelle à Carlos qu’il est visé par une mesure de renvoi et lui enjoint de signaler tout changement d’adresse à l’ASFC et à CIC.

JUIN 2013

CIC accorde la résidence permanente à Carlos Reyes, bien qu’il soit visé par une mesure de renvoi de l’ASFC. « Ce n’est pas nécessairement contradictoire. Le statut de réfugié et la résidence permanente sont deux démarches séparées », soutient Rémi Larivière, porte-parole de CIC. La décision pousse la GRC à fermer définitivement son enquête.

22 DÉCEMBRE 2014

Marie-Hélène Girard obtient le divorce pour cruauté mentale et physique. Elle est convaincue que Carlos Reyes l’a épousée dans le seul but d’obtenir la citoyenneté canadienne.

2 JUIN 2016

La police de Calgary lance un avis de recherche pour Carlos Reyes. Retrouvé quatre jours plus tard, il est accusé de vol d’identité et de fraudes. Selon l’ASFC, les étrangers reconnus coupables d’un crime « doivent purger leur peine avant d’être renvoyés du Canada ».

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