Crise des surdoses

Faire entendre la voix du milieu communautaire

Le 22 octobre, Philippe Mercure faisait paraître le reportage « Surdoses : L’épidémie invisible ». Il témoignait de l’ampleur de la crise et de ses impacts sur les personnes utilisatrices de drogue et leurs proches. Nous tenons à le féliciter pour son travail, mais nous souhaitons apporter quelques nuances et partager des informations complémentaires.

Sur la base de la recherche pancanadienne que nous menons, « Sur la route des surdoses », nous aimerions témoigner du rôle prépondérant des acteurs communautaires dans la prévention des surdoses et dans l’intervention auprès des personnes à risque. La majeure partie des actions réalisées auprès des personnes utilisatrices de drogue sont portées par des intervenants d’organismes communautaires et malheureusement, les articles parus dans La Presse mettent peu en valeur leurs actions.

Cela est symptomatique d’un déficit de reconnaissance plus général, notamment de la part des différents ordres de gouvernement, entraînant un sous-financement des services et limitant la pérennisation des interventions, politiques et programmes structurants ou innovants. Les résultats de notre recherche, dans laquelle nous avons rencontré des intervenants sociaux, des pairs aidants, des personnes utilisatrices de services et des militants, sont alarmants tellement les défis sont grands et les besoins, criants.

Le contexte actuel oblige les organismes impliqués à repenser leurs interventions et à innover dans un court laps de temps, trop souvent avec peu de moyens.

À cet égard, la Stratégie nationale de prévention des surdoses nous laisse dubitatifs. Tout d’abord, elle laisse dans l’ombre les inégalités sociales et les autres crises qui agissent en synergie à celle des surdoses, comme la crise du logement. Elle relaie la lutte contre les inégalités à des politiques plus générales concernant l’ensemble de la population. Elle limite aussi le rôle de soutien et d’accompagnement des acteurs du milieu en proposant des actions ciblées qui font fi d’une approche globale.

Pourtant, les intervenants, pairs aidants et militants, grâce à leur proximité avec les personnes à risque de surdose, travaillent à rebâtir et maintenir des ponts entre les individus et la société. Ils forment un filet social qui vient en rempart aux situations de rupture, de discrimination et d’oppression que vivent plusieurs personnes.

Stigmatisation

Enfin, nous souhaitons rappeler que les organismes rejoignent ceux que le réseau de santé et les services sociaux n’arrivent pas à joindre, souvent à cause de la stigmatisation ou d’une offre de services inadaptée aux contextes de vie des personnes. En discutant avec ces dernières, il est consternant d’apprendre à quel point leurs droits sont brimés. À titre d’exemple, les interactions avec les policiers demeurent difficiles, malgré la loi sur les bons samaritains, limitant le recours à leurs services lorsqu’une personne vit une surdose. Ce sont plutôt les intervenants, à travers la relation qu’ils établissent, qui vont agir comme rempart et « réparer » le lien social effrité par une méfiance qui s’est installée à la suite d’interactions traumatisantes avec les institutions.

Comme nous mentionnait une personne rencontrée dans un organisme : « Il manque de personnel et de services parce que le gouvernement ne donne pas assez de subventions à ces gens-là. Il y a beaucoup de choses qui pourraient être réglées par le communautaire et enlever une charge, par exemple aux policiers. Les policiers ne sont pas équipés pour intervenir socialement parlant, ils sont équipés pour d’autres choses et sont utiles dans bien des circonstances, mais pour ce niveau-là, ils ne l’ont pas. »

Malheureusement, nous craignons que les expériences vécues par les personnes utilisatrices de drogue demeurent invisibles alors que la nouvelle stratégie reste presque muette sur ces enjeux et que le phénomène des surdoses semble intéresser bien peu le milieu politique québécois. En tant que société, lutter pour la justice sociale d’un groupe de personnes profite au bien-être de tous. Octroyons le soutien nécessaire à ceux œuvrant aux premières loges de la crise des surdoses et qui, après tout, détiennent l’expertise de la situation !

1. Lisez le dossier de Philippe Mercure

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