Doit-on sauver l’opéra au Québec ?
L’art lyrique ne se porte pas bien au Québec. C’est le triste constat que fait le baryton Marc Boucher, directeur du Festival Classica, qui aura lieu du 27 mai au 19 juin à divers endroits de la Rive-Sud. À long terme, c’est toutefois la création d’un Nouvel Opéra métropolitain qui l’occupe. Une voie de salut pour l’opéra en terre québécoise ?
« Il y a eu un âge d’or de soirées professionnelles d’opéra au Québec au début des années 2000 », se rappelle le chanteur, qui est lui-même dans le métier depuis cette époque.
Selon son propre décompte, le nombre de soirées serait passé d’une cinquantaine à une vingtaine depuis le passage au troisième millénaire.
« On se retrouve aujourd’hui avec moins de travail pour une génération. C’est paradoxal, parce qu’en même temps, il y a une génération tout à fait exceptionnelle de chanteurs lyriques. On devrait donner à ces personnes-là le moyen de vivre de leur art au Québec. »
— Marc Boucher, baryton
« Il n’est pas seulement question de revenir au niveau des années 2000. Moi, je veux aller encore plus loin », lance celui qui dit viser jusqu’à 80 soirs d’opéra professionnel par année avec la création de son Nouvel Opéra métropolitain, qu’il voit en résidence dans une salle de 870 places qui serait construite sous peu sur la Rive-Sud, un projet que l’administrateur qualifie de « tout à fait concret ».
Mais comment faire pour attirer de nouveaux publics, alors que les principales institutions lyriques (Québec et Montréal) peinent parfois à remplir leurs salles ? « Vaste question, répond Marc Boucher. S’il y a moins de représentations au Québec, on connaît moins les artistes. Dans le fond, c’est un peu la poule et l’œuf. »
« On est une quinzaine, peut-être une vingtaine d’artistes québécois qui travaillent en France. On est plus connu là-bas qu’ici ! Il faut amener les gens à découvrir et à aimer nos artistes, à s’identifier à eux », plaide le baryton.
« C’est clair que ce n’est pas sans risque, mais si on n’essaie pas, la réponse à ça, c’est : fermons les facultés de chant ! Comment ça se fait que le théâtre, avec environ 400 productions par année au Québec, soit si populaire et que nous, les artistes lyriques, soyons à peu près absents du paysage médiatique ? »
— Marc Boucher, baryton
Parmi les moyens d’attirer le public mélomane, Marc Boucher milite pour un grand retour de l’opérette, un genre qui a connu ses beaux jours au Québec, notamment avec les Variétés lyriques, dans les années 1930 à 1950. L’Opéra de Québec s’y est également essayé avec succès il y a une dizaine d’années.
« Quand j’étais stagiaire à l’Opéra de Montréal, on faisait de l’opérette, et l’opérette avait beaucoup de succès. Je pense que ça fait partie de l’ADN du Québec », assure le chanteur.
Pour l’instant, le Festival Classica, qu’il dirige depuis 12 ans, annonce d’emblée trois opéras au programme de son édition 2023 : L’homme qui rit, une création d’Airat Ichmouratov à partir du roman éponyme de Victor Hugo, L’adorable Belboul, une opérette de Massenet redécouverte en 2017, et Miguela, le dernier opéra de Théodore Dubois, jamais donné en version complète.
Ne sera-t-il pas difficile, avec ces partitions on ne peut plus nichées, d’attirer un public qui a déjà du mal à s’intéresser à l’art lyrique dès qu’on sort du canon Carmen-Traviata-Bohème ? « Je fais le pari qu’en proposant ces œuvres-là, le public va être au rendez-vous », répond simplement Marc Boucher.
Et l’argent reste, comme toujours, le nerf de la guerre. Le directeur de Classica compte évidemment sur les subventions publiques dont profite déjà son organisation, mais également sur les économies d’échelle induites par le modèle de troupe qu’il veut adopter pour son Nouvel Opéra métropolitain : au lieu de n’engager que des chanteurs pigistes, le théâtre compterait quelques artistes en résidence qui jouiraient d’un salaire pour participer à plusieurs productions chaque année. L’utilisation de décors plus légers et polyvalents, avec le secours des arts numériques, permettrait en outre, selon lui, de rendre l’opération viable.
Un projet ambitieux, concède le principal intéressé, mais essentiel pour faire vivre nos artistes et remplumer l’art lyrique québécois.